Après la démission du gouvernement Karamé : Les Libanais partagés entre crainte et espoir pour l'avenir
Les Libanais sont partagés entre l'espoir et l'appréhension après la démission du gouvernement pro-syrien et s'ils aspirent à un vent de changement dans le pays, ils craignent également un saut dans l'inconnu gardant à l'esprit 15 ans de guerre civile.
Si l'heure était aux réjouissances et à l'euphorie sur la place des Martyrs, ainsi qu'à Saïda, ville natale de l'ancien Premier ministre assassiné Rafic Hariri, des miliciens pro-syriens armés ont fait de brèves apparitions dans des quartiers sunnites dans le centre de Beyrouth, tandis qu'à Tripoli, ville natale du Premier ministre démissionnaire Omar Karamé, un de ses partisans a été tué.
Quelques milliers d'hommes ont tiré des rafales de fusils mitrailleurs en l'air en signe de protestation à l'annonce de sa démission lundi soir et saccagé des permanences des partis de l'opposition.
«C'est incroyable, c'est un vrai changement», s'exclame Nada Zeini, une architecte de 40 ans qui espère que cela servira «à obtenir le départ des Syriens et amener les Libanais à apprendre à vivre tous ensemble dans ce pays et à décider de leur sort».
«L'opposition ne peut qu'aller de l'avant et non reculer», affirme un jeune chauffeur de taxi tout en estimant que le problème de la démission du chef du gouvernement Omar Karamé «est insignifiant comparé au régime dans son ensemble et des services de renseignement qui restent sous contrôle syrien».
Une sexagénaire sunnite de Baalbeck, Layla Rifaï, tente de dissiper les craintes d'un conflit inter libanais. «Je n'ai pas peur. Les musulmans et les chrétiens sont aujourd'hui unis, sauf si des groupes inféodés à la Syrie tentent de semer la zizanie», dit-elle.
Elle ne s'attend pas à ce que «le nouveau gouvernement soit neutre». Elle craint que le pouvoir «faute de trouver un candidat acceptable, ne cherche à gagner du temps et à maintenir le gouvernement démissionnaire jusqu'aux élections».
Les doutes et les incertitudes sur l'avenir sont largement partagés parmi des Libanais. «Nous sommes inquiets.
Qui accepterait de diriger un cabinet transitoire appelé à accomplir des tâches titanesques en si peu de temps : sortir les Syriens, superviser des élections et résoudre une crise économique», affirme un vendeur de magasin de prêt-à-porter à Hamra, dans l'ouest de Beyrouth, Omar Khalil. A Achrafié, Abou Georges, un quinquagénaire qui tient un bureau de taxi est sceptique sur un changement de cap. «La peur est toujours là. Tous nos ministres sont des marionnettes.
Il y a d'autres qui tirent les ficelles. Le pays est divisé et personne n'accepte l'autre. Qu'est-ce qui empêcherait que ce qui s'est produit à Tripoli ne s'étende à d'autres régions», dit-il. Il se plaint de la paralysie de la vie économique dans le pays. «Hier, je n'ai pu récolter que 10.000 LL (Livres libanaises : environ 6,5 dollars), comment voulez-vous que je subvienne à mes besoins».
Un de ses chauffeurs, Toni Nakhlé, ne pense pas que la chute du gouvernement changera quelque chose. «Les Libanais pourront s'entendre entre eux, mais il faut d'abord que les Syriens partent», dit-il. «Ce que je souhaite c'est la venue d'un gouvernement fort qui désarme tout le monde».
Un bijoutier d'Achrafieh, Abdallah Akkaoui, pense que le pays «a déjà connu le pire». «Je n'ai pas peur d'une reprise d'une guerre civile car les gens ne sont plus armés», dit-il.
Un autre son de cloche dans la banlieue chiite de Chyah. «Nous avons peur des réactions. Cette démission peut entraîner un vide et des provocations d'agents étrangers», affirme Ali Hallaoui, employé de teinturerie.
Ce père de sept enfants, qui n'arrive pas à joindre les deux bouts, compare la situation aujourd'hui à «celle qui a prévalu au Liban en 1975 à la veille de la guerre civile». «La situation est critique et il faut agir avec sagesse», dit-il. Un autre chiite, originaire du Liban-sud, Abou Ali Hammoud, vendeur de journaux, pense que «tout ce qui se passe vise à désarmer la résistance du Hezbollah». «Pour ce qui est de la Syrie, selon lui, les Américains et les Israéliens veulent le maintien des troupes syriennes au Liban».