Biographie - Aviator de Martin Scorsese : Citizen Hughes
Après l'échec de son flamboyant Gangs of New York, Martin Scorsese s'est attelé à la biographie du célèbre industriel, aviateur et producteur texan Howard Hughes. Un portrait qui fait d'abord le choix d'un classicisme ostentatoire avant de suivre les trac
LE MATIN
29 Janvier 2005
À 19:09
Orphelin très tôt, le magnat texan Howard Hughes s'est retrouvé à tête d'une fortune colossale qu'il a employée à satisfaire tous ses caprices.
Jusqu'aux plus fous : réaliser le premier film de l'histoire du cinéma tourné en extérieur et en plein ciel (Hell's Angels) ; construire le plus gros avion du monde (The Hercules), battre des records de vitesse, courtiser les plus belles actrices d'Hollywood comme Jean Harlow, Katharine Hepburn et Ava Gardner. Howard Hughes n'a pas trahi ses rêves d'enfants : il a été à la fois un industriel milliardaire, un aviateur visionnaire, un producteur audacieux et un playboy redoutable. C'est son côté pile.
Côté face, enfant névrosé il était, enfant névrosé il est resté. Ses Toc (troubles obsessionnels du comportement) et ses névroses héritées de sa mère, grandissant avec lui. Peur de la foule, phobie des microbes et des maladies, il a fini enfermé dans une pièce stérile jonchée des kleenex dont il se servait pour attraper le moindre objet. Il n'avait pas vu la lumière du jour depuis dix-huit ans. Grandeur et décadence d'un personnage composite. « Il y a trop de Howard Hughes chez Howard Hughes » regrettait Katharine Hepburn. Brillant et dérangé, intrépide et angoissé, séduisant et inquiétant, «embarqué sur un cheval emballé», Howard Hughes avait tout pour séduire un jeune comédien en quête d'un défi à la hauteur de ses ambitions.
C'est en effet Leonardo DiCaprio qui a proposé à Martin Scorsese de porter à l'écran la vie du fascinant milliardaire. Forçant ainsi le réalisateur de Raging Bull (1980) à renouer avec le biopic (biographie d'un personnage historique), genre installé à Hollywood depuis les années 30. Un projet explosif pour un Martin Scorsese mal remis de sa dernière épopée, Gangs of New York. Il a donc joué la sécurité : s'en tenir à l'ascension du personnage (ni l'enfance, ni la chute) et opter pour une mise en scène à l'ancienne, comprendre élégante et classique. Aviator tient son pari. Mais calme, poli, policé, il lui manque la fièvre qui affolait le charme furieusement shakespearien de Gang's of New York.
«Quarantaine»
D'où une première partie joliment illustrée. Aviator est un festival de gestes, costumes et décors choisis : du tournage époustouflant de Hell's Angels avec ses vingt-six caméras et ses avions filmés en plein vol, au golf de Hancock Park ; des cabines d'avions au Cocoanut Grove, mythique night-club hollywoodien créé en 1921 ; de la résidence de la famille Hepburn à la salle de projection personnelle de Howard Hughes… Sans oublier des stars d'Hollywood ressuscitées comme des déesses antiques : Martin Scorsese s'est livré aux joies de la reconstitution avec un talent qui n'est plus à démontrer. Un peu trop appuyé néanmoins. Certains, comme l'attaché de presse de Howard Hughes ou Erroll Flynn (interprété par Jude Law), sont poudrés comme pour une comédie musicale.
Quant aux astuces de montage, elles mettent trop en évidence les effets de style. Scorsese s'applique. Mieux que ça : il cherche le compliment. Ce que peu pourront lui refuser, notamment à propos de la prestation de Cate Blanchett en Katharine Hepburn et de l'incroyable scène de crash filmée façon « vous y êtes ». Sa fibre personnelle, le réalisateur l'a conservée pour la seconde partie du film. Déployant alors ce qu'il n'avait fait qu'annoncer et marchant fièrement sur les empreintes de Orson Welles, il a saisi Howard Hughes là où il était typiquement scorsésien : à l'intersection entre son génie et sa folie.
Et de la fracture entre ses exploits publics (un nouveau succès volant ou filmique) et de ses brisures mentales - il se frotte les mains jusqu'au sang, répète la même phrase à l'infini, refuse de serrer les mains et subit une première crise d'enfermement paranoïaque - le réalisateur tire une exceptionnelle tension psychologique. Il suffit d'un mot, le «quarantaine» que lui faisait épeler sa mère et via lequel le milliardaire en panique cherche à réintégrer le domaine de la raison, pour renvoyer au fameux « Rosebud » de Citizen Kane.
Si Martin Scorsese a négligé le regard extérieur sur son personnage, et sa dimension politique, il sublime en revanche ses exploits industriels face au tenant de la Pan Am. Une compagnie d'aviation unique sous monopole d'Etat ou des compagnies concurrentielles qui pourraient partir à l'assaut du marché mondial ? Martin Scorsese fait de ce combat de titans, historique aux Etats-Unis, une aventure presque plus trépidante qu'un vol stratosphérique. C'est puissants contre puissants, pourris contre pourris, et que le meilleur gagne.
Des points communs avec l'affrontement des Five Points au début de Gangs of New York ? Au moment où Howard Hughes menaçait de s'effondrer lamentablement, il renaît de ses cendres pour repartir à l'assaut avec brio. Sans laisser pour autant d'illusion sur le déclin qui l'attend. Un déclin à la (dé)mesure de son incroyable destin. Typiquement Scorsésien.