Six mois après la mort de Ray Charles, sa biographie musicale par Taylor Hackford sort sur les écrans marocains après avoir séduit l'Amérique. Un biopic soigné qui, outre la performance de Jamie Foxx, évite les écueils du genre en se calant sur un axe mus
LE MATIN
26 Février 2005
À 13:57
Devant sa famille, devant les femmes, devant la drogue, la musique était ce qui comptait le plus pour Ray Charles, le "prodige aveugle ”. De même, elle constitue l'axe essentiel de la biographie que Taylor Hackford a consacrée au mythique Genius né en 1930.
Ce qui permet au réalisateur de La Bamba d'éviter les écueils du genre : narration linéaire, séquences mélodramatiques, tentation documentaire… Taylor Hackford s'est concentré sur la période la plus créative du célèbre bluesman, de 1950 à 1965 environ.
Ses années les plus explosives musicalement et sentimentalement, ses années les plus sombres aussi du fait de sa toxicomanie. Pour les relater tout en évoquant l'enfance de Ray Charles, ses liens avec sa mère, la mort de son frère, sa cécité survenue à l'âge de sept ans, l'Amérique ségrégationniste, les stars (Lowell Fulson, Quincy Jones) et labels de l'époque, Taylor Hackford observe le système du grand pianiste : pour chaque événement de sa vie, un morceau de musique.
Générique donc sur What'd I say, dont les trois premiers accords suffisent à introduire dans la bulle du Genius. Suivent Mess around, qui marque les débuts de la collaboration de Ray Charles avec le label Atlantic. Les célèbres I got a woman et Hit the road Jack, fruits de sa relation adultère avec sa choriste Margie, qui mourra d'une overdose qu'il ne se pardonnera jamais.
Unchain my heart, qui déchaîne la jeunesse américaine ou Georgia on my mind, morceau signé avec ABC, une maison de disques sans âme mais lucrative. On accusa alors Ray Charles, qui avait osé mélanger gospel (sacré) et Rythme and blues, de faire de la variété. Le pape du jazz devenant, à partir des années soixante, l'emblème de la lutte contre la ségrégation, Georgia on my mind sera déclaré hymne de l'état de Géorgie en 1979.
Des oreilles à la place des yeux "Mes oreilles sont mes yeux”, explique Ray Charles. Une aptitude développée grâce à sa mère, femme qui l'a élevé courageusement à pouvoir se débrouiller seul. " Tu es aveugle mais pas stupide. Ne laisse personne te traiter en infirme ”. Ray Charles a connu des débuts difficiles et il a vécu poursuivi par des angoisses dont seul le souvenir de sa mère parvenait à le tirer.
Sa relation avec elle et son enfance en Floride occupe une place importante dans le film, de même celle avec sa femme, Della Bea, et ses maîtresses successives. Ray Charles apparaît comme un homme volage et licencieux auquel la famille sert de repère indispensable. Son addiction à l'héroïne, son appétit pour l'argent, sa tiédeur politique contribuent à donner de lui une image en demie teinte, loin de l'hommage comme de l'auto-célébration.
Une gageure quand on sait que Ray est adaptée de son autobiographie (Ray Charles, le blues dans la peau, Belfond), et que Ray Charles lui-même a participé à l'élaboration du film, du choix du comédien qui l'incarnerait (Jamie Foxx) au premier montage visionné juste avant sa mort, le 10 juin 2004.
Quelle influence le Genius a t-il eu sur le scénario ? Ni victime (de la maladie), ni héros (de la lutte anti-ségrégation), son portrait est sans complaisance. Un fait plutôt rare à Hollywood quand il est question d'une légende américaine. Quant à Jamie Foxx, c'est Ray Charles (excepté quand il ouvre les yeux dans une des dernières séquences du film, malheureusement ratée) : il en a la démarche mais surtout le jeu.
Et c'est ce qui soutient ce long métrage de deux heure trente : rarement un film musical n'aura autant collé à sa bande originale. Jamie Foxx pratique le piano depuis l'âge de trois ans, mais il fallait aussi reconstituer les différents groupes de musiciens. Taylor Hackford s'est refusé à réenregistrer les grands classiques de Ray Charles.
Tous les musiciens jouent donc sur le plateau, même si ce sont les enregistrements originaux que l'on entend. Seuls les morceaux d'avant la signature de Ray Charles avec Atlantic Record ont été réenregistrés car trop médiocres ou inexistants. L'exploit, c'est que ça coïncide. Aussi, si Jamie Foxx brigue très justement un Oscar pour sa prestation, la performance dans ce film est en premier lieu musicale.
Ray, film américain de Taylor Hackford avec Jamie Foxx, Kerry Washington, Reginia King, Clifton Powell. Date de sortie au Maroc comme en France : 23 février. Durée : 2h32.