Comédie fantastique : Les désastreuses aventures des orphelins Baudelaire de Brad Silberling.
LE MATIN
25 Janvier 2005
À 15:55
L'A noirceur : c'est ce qui fait la particularité de la série littéraire à succès, Les désastreuses aventures des orphelins Baudelaire. Campant un univers situé entre Charles Dickens et Tim Burton, l'adaptation sur grand écran exploite assez bien cette nouvelle règle du jeu. Mais sa mise en scène, approximative et sans ambition, l'empêche de devenir une œuvre de référence.
Les romans pour enfants font leur cinéma. Après des adaptations de Joanne Kathleen Rowling (Harry Potter), Dr.Seuss (Le Grinch, 2000), Chris Van Allsburg (Jumanji, 1995 et Le Pôle Express, 2004), et en attendant la très prochaine sortie de Charlie et la chocolaterie tiré de Roald Dahl, le grand écran s'est attaqué aux Désastreuses aventures des orphelins Baudelaire. Une saga qui compte plusieurs particularités. Premièrement, elle représente un énorme succès littéraire populaire.
Les onze albums parus (dont quatre publiés en France aux éditions Nathan) sous le titre générique A Series of Unfortunate Events se sont vendus à plus de 27 millions d'exemplaires dans le monde. De quoi concurrencer l'outsider Harry Potter. Deuxièmement, un mystère est alimenté autour de l'identité de l'auteur : celui qui signe Lemony Snicket serait en réalité un romancier américain nommé Daniel Handler. Enfin, et c'est le plus important, Les Désastreuses aventures des orphelins Baudelaire prennent violemment à rebrousse-poil les paramètres du conte pour enfants. Ce que l'auteur a résumé en annonçant que tous ses livres commenceraient mal, finiraient mal et que « tout y irait mal d'un bout à l'autre, ou peu s'en faut ».
Concentré des trois premiers ouvrages, Tout commence mal, Le Laboratoire aux serpents et Ouragan sur le lac, le film ouvre précisément sur un ton lugubre. Cinq minutes d'animation où des elfes hilares bondissent à l'écran sont subitement interrompues par une voix (Jude Law) qui annonce gravement « J'ai le regret de vous dire que ce n'est pas le film que vous allez voir. Je vais vous raconter le destin funeste des enfants Baudelaire.
Un film déplaisant. Si vous préférez les elfes joyeux et les belles histoires, il est encore temps de changer de salle ». L'écrivain, dont on ne verra que la silhouette penchée au dessus de sa machine à écrire, n'a pas menti : l'enfance de Violet, Klaus et Prunille (Sunny en anglais) Baudelaire est placée sous le signe du malheur et progresse sur un parcours jonché de catastrophes. Après avoir perdu leurs parents dans l'incendie de leur maison, les trois bambins se retrouvent seuls au monde et à la tête d'une immense fortune dont ils ne pourront bénéficier qu'à la majorité de l'aînée, Violet, âgé de quatorze ans.
En attendant, ils sont placés chez un épouvantable bonhomme qui se dit leur oncle Olaf (Jim Carrey) mais n'est en vérité qu'un comédien raté et cupide, dangereusement excité par leur fortune. A chaque fois qu'il sort de sa maléfique emprise, le trio tombe sous la coupe d'un nouvel adulte irresponsable qui, sans réussir à le protéger, se fait, de surcroît, berner par l'infatigable Olaf.
Un conte noir initiatique
Pourquoi un film volontairement déplaisant ? Contrairement à ces succès où monstres et maléfices pénètrent la réalité des héros, Les désastreuses aventures des enfants Baudelaire campent trois enfants perdus dans un univers épouvantable. Comment se débrouiller avec le malheur ? pourrait être la question servant de fil conducteur. La visée est donc moins horrifique qu'initiatique : le monde est cruel, mais on peut y arriver quand même.
A cette fin, Lemony Snicket, alias Daniel Handler a pourvu chacun de ses personnages d'un don. En nouant ses cheveux, Violet décuple ses facultés d'invention. Son jeune frère Klaus est un lecteur stupéfiant qui a mémorisé l'intégralité de la bibliothèque familiale. Et le bébé Prunille possède deux dents redoutables. Conjuguant leurs atouts individuels, la fratrie parvient à se tirer in extremis des pires situations.
En sonnant la grande défaite des adultes - ici réduits à des excentriques bienveillants ou malfaisants mais d'une inutilité flagrante - et en célébrant le courage de trois enfants résolus à se tirer d'affaire, Les Désastreuses aventures des enfants Baudelaire possédaient de quoi devenir une nouvelle œuvre de référence. Sans compter que le film de Brad Silberling (Casper) jouit de l'inventivité graphique de Rick Heinrichs (Sleepy Hollow).
Parfums d'antan et apocalypse futuro-fantaisiste : les décors mélancoliques et intemporels déploient une succession d'invraisemblables bâtisses dans des paysages à la fois exaltants et troublants. Seule la lumière artificielle qui perce une nuit quasi permanente vient troubler cet univers qui évoque tantôt Charles Dickens, tantôt Tim Burton. Mais la mise en scène bien trop approximative et un manque général de charisme favorisent, dès le début, la rentabilité au détriment de l'imaginaire. N'en déplaise à Jim Carrey qui se surpasse en mimiques et métamorphoses.
Et la sourde illustration des angoisses de l'enfance s'embourbe dans une adaptation sans âme où des enfants alibis se contentent de jouer les accessoires. C'est tellement regrettable que l'excellent film d'animation qui sert de générique de fin n'a aucun mal à faire de l'ombre à ce long-métrage.
Les désastreuses aventures des orphelins Baudelaire (Lemony Snicket's a series of unfortunate events), film américain de Brad Silberling. Avec : Jim Carrey, Meryl Streep, Jude Law, Emily Browning, Liam Aiken. Date de sortie au Maroc : 26 janvier 05 ; en France : 22 décembre 04. Durée : 1h48.