Dépoussiérer l'écriture de l'Histoire pour retrouver la richesse des racines
Deux associations, l'une marocaine et l'autre française projettent de réhabiliter le cimetière chrétien de Casablanca. C'est cette belle initiative qui a motivé la publication de ces réflexions qui me tiennent à cœur depuis bien longtemps. Depuis le temps
Qu'est-ce qui rendait si agréables ces cimetières où je pouvais me promener, lire, me reposer, voire me recueillir, à mon aise ?
C'était d'abord le site, calme et apaisant. Le cimetière nippon n'est pas une dernière demeure construite n'importe où et n'importe comment. Il n'est pas fermé, caché, laissé à la merci de l'abandon. Non, il fait partie intégrante de la vie de la communauté qui lui apporte tous les soins quotidiens nécessaire à la vie des morts.
Puis, l'architecture du lieu : Des tombeaux, en gradin, sculptés dans un luisant marbre noir où ont rivalisé, avec abnégation et raffinement, les artistes sculpteurs japonais. Une originalité et une perfection sans pareil de l'art oriental. Viennent, les ombrages, les sources rafraîchissantes, et bien d'autres propretés. Bref, des espèces de cimetières-jardins. Evidemment, tout cela n'est rendu possible que par la coopération entre l'Etat et la société civile : élaboration, exécution, entretien…Quiconque veut en savoir plus sera inondé d'images des sites web du magnifique pays du Fuji Son…
Qu'en est-il de nos cimetières à nous (toutes confessions confondues) ? Dans quel état sont-ils ? N'est-il pas temps de cesser de recourir à la politique de l'autruche, en construisant des murs qui cachent, au lieu de montrer, avec fierté, ce précieux témoignage de notre passé ? Cacher veut dire: «soustraire à la vue ou à la recherche, taire», nous apprend le dictionnaire. Or, n'est-il pas préférable de remplacer les murs des trois cimetières, deux juifs et un chrétien, de Bab Doukkala à Essaouira. Ils cachent une partie de notre histoire dont nous n'avons pas à rougir.
Mettre à la place de ces enceintes d'autres clôtures en fer forgé inoxydable (à la mode nos jours). Repenser, restaurer, replanter ces espaces sacrés, accorder davantage de respect à ces «gens du livre» qui sont nés, ou ont choisi de vivre et de mourir sur notre terre, leur terre puisqu'ils y reposeront à jamais, en paix.
Un espace de convergence qui peut faire la force du Maroc
L'Afrique du Nord a connu environ huit siècles de judaïsme avant l'ère chrétienne et presque autant de siècles de christianisme avant son islamisation. N'est-il pas temps de dépoussiérer toutes les périodes de notre histoire ? Ou faut-il attendre, encore (et pour combien de temps ?) l'enracinement définitif de la Démocratie dans notre Royaume et la consolidation de toutes nos Institutions ? Sans amalgame, nous devons d'assumer, pleinement et sans sélection, le passé de notre pays, tout en continuant à combattre tous les racismes et refuser toute forme d'exclusion.
Le Maroc, «espace de convergences», hérite d'une riche histoire, à la fois africaine, judaïque, chrétienne, musulmane, arabe, berbère, etc. N'est-ce pas là justement où réside notre force ?
D'ailleurs, on a à cet égard, raison de penser à la création d'un centre d'Etudes sur le Judaïsme marocain. Notre cité est mieux placée et possède tous les atouts pour contribuer à la construction de l'édifice de la paix universelle.
Une telle initiative n'aura que des effets bénéfiques : Elle aidera, quelque part, sans aucun doute, à casser la logique de la fracture. On ne le répétera jamais assez ! Elle permettra de trouver d'autres outils de créativité afin de cultiver nos valeurs partagées de tolérance, d'instaurer un dialogue pédagogique permanent sur de nouvelles bases solides, dans le but de dépasser, ensemble , les faiblesses doctrinales révolues, dans le respect de l'essence de nos croyances et convictions réciproques.
D'autre part, pourquoi certains cimetières musulmans sont-ils voués, presque, à l'abandon? N'est-il pas possible de revoir le sort qui leur est réservé ? Ne peut-on pas en avoir une autre conception, leur donner un meilleur soin ? En faire des espaces fonctionnels, verdoyants, fleuris et parfumés ? Tenez, le grand cimetière au milieu d'Essaouira : Imaginez un peu l'avenir de cet espace cloîtré, au centre de la ville où le prix du terrain grimpe à une vitesse vertigineuse ; les renards de l'immobilier se frottent déjà les mains en attendant le quarantième anniversaire de sa fermeture.
Ceux qui veulent tout s'approprier, ou tout céder, et leurs complices, se réjouissent, de «ne laisser, même pas la place où enterrer un serpent debout». Quel serait donc le prix du mètre carré de ce cœur d'Essaouira ? Notre cité, se trompent certains, n'a pas besoin de jardins parce qu'elle est suffisamment aérée. On oubli souvent les besoins de l'œil. Les arbres et les fleurs font le plaisir des sens et apportent un plus d'esthétique qui fait agréablement varier la monotonie du paysage citadin. Espérons que l'autorité de tutelle ne cédera, jamais, sous aucun prétexte, aux divagations pécuniaires de ces esprits obtus.
Essaouira doit libérer et protéger ses remparts…
Essaouira continue à souffrir d'autres problèmes en dépit de toutes les réalisations réussies : en voici quelques uns : concernant les " boutiques " de la place des Artistes à Bab Doukkala, l'intérêt de la ville doit passer avant celui des individus. Mais, ceux qui ont donné cet espoir, d'améliorer leur condition sociale, à nos créateurs plasticiens sauront trouver la solution adéquate afin de libérer les Remparts. Je suis convaincu que justice leur sera rendue, à tous les deux : aux artistes et aux remparts.
Comble de scandale ! c'est à cet endroit même de la Muraille, que l'on cherche à nettoyer de ces «échoppes», que l'historique bastion nord-ouest s'est vu transformé en dépôt par l'occupant d'un café, sous nos regards complices. Il faut mettre un terme à tout ce qui défigure notre ville, redonner à notre médina son vrai visage, chercher et rouvrir ses anciens passages murés, etc… L'assainissement du paysage architectural d'Essaouira, patrimoine universel de l'Humanité, est un devoir de tous.
Et ce café, lui-même, qui a été construit pour fermer le seul accès de la Place des Artistes vers la mer ? Si on cherchait, à l'époque, à cacher ainsi les égouts éventrés, ce n'était guère la bonne solution.
Avant la construction de ce café, on se plaisait à se faire chatouiller par le chergui, à cet emplacement, à humer le fraîcheur des rafales sifflantes, à jouir de ce contact de la brise nocturne, glacée et cinglante, qui arrivait du large et qu'on voudrait même attraper et lui demander des nouvelles de cet ailleurs d'où elle venait. On descendait les escaliers, aujourd'hui réservés à la clientèle, pour pêcher des crabes, jouer sur le sable aux moules ; on s'amusait à taquiner les petits flots, roulant sur le galet, incapables de nous mouiller, à se faire écorcher les plantes des pieds sur les récifs, à découvrir la faune et la flore marines. On se délectait à contempler, sous un autre angle, l'admirable spectacle crépusculaire, du soleil surnageant sur l'azur océanique.
Pour quelles raisons persiste-on à nous priver du paysage maritime de Bhar Club (littoral rocheux s'étendant du Château Portugais à la Scala) ? Sera-t-il un jour, permis au public de pouvoir contourner les remparts du côté ouest de la médina ? il est possible de repenser autrement la situation de ce littoral en tenant compte de ses fonctions écologiques, entre autres.
C'est l'un des plus beaux atouts touristiques à revaloriser, pour en faire profiter les citoyens et les visiteurs de la ville. Je suis gêné, chaque fois que l'un de mes amis étrangers m'interroge au sujet de Bhar Club : peut-on y descendre ? S'y baigner ? S'y promener ? Est-ce une propriété privée ? Un espace protégé ? …etc. Parce que dans leurs cités organisées, les lieux, comme les personnes, affichent leurs identités.
… sans tourner le dos à la mer
En théorie, nous voudrions faire d'Essaouira une cité ouverte sur l'Océan Atlantique. Or, on donne l'impression de s'acharner, dans la pratique, à lui faire tourner, géographiquement, le dos à cette destination, en bouchant tous les anciens accès de la médina vers la mer. Ainsi, Bab Labhar (porte de la mer) qui servait de sortie de Derb Sandillon à Jerf Lahmam (le rocher du pigeon) est aussi fermé, voire, peut-être, en passe d'être privatisé à son tour. Tous les enfants de la médina se souviennent des belles parties de pêche, des plongeons acrobatiques, des baignades matinales et des interminables après-midi à se prélasser au soleil à l'abri du chergui.
A propos d'espace vert, encore. Nos jardins à peine restaurés et nos avenues replantées qu'ils sont saccagés. Embaucher des gardiens vingt quatre heures sur vingt-quatre, ne serait-il pas un manque à gagner ? Des opportunités d'emploi pour nos jeunes ? Ces derniers sauront entretenir, en permanence, la verdure et dissuader les badauds nocturnes qui détruisent la nuit ce qu'on a construit le jour. Sait-on pourquoi le petit jardin du Syndicat, à l'entrée du port, est-il mieux soigné ? N'est-ce pas là un bel exemple à suivre ? Hélas ! les araucarias, de ce même jardin, et les autres, attendent notre secours. Comme l'arganier, ce conifère forestier constitue un autre patrimoine commun avec le continent sud-américain.
Ces arbres, symbole de la ville, ont besoin d'être nettoyés, débarrassés de leurs branches mortes. Délaissés à la merci des intempéries, certaines de ces plantes ligneuses sont même condamnées au câble électrique, à l'occasion des fêtes qui nous amusent. Si les araucarias mâles de ce jardin venaient à disparaître, leur mort entraînerait inéluctablement celle des araucarias femelles, préviennent les connaisseurs.
Il est souhaitable, pour mener à bien de nouvelles réalisations, de continuer à encourager la pratique des approches participatives, en associant toutes les parties concernées à tous les projets, et de responsabiliser de nouvelles structures intersectorielles efficaces ou réactiver celles qui existent.
Enfin, rappelons que le développement d'Essaouira a été le résultat d'un long processus qui a débuté au début des années quatre-vingt-dix.
Cet essor ne s'est pas fait en un jour. Je tiens à rendre hommage à toutes les personnes vivantes ou disparues qui ont contribué, chacune à sa façon, durant toute cette longue période, à bâtir ce dont nous sommes, tous, si fiers aujourd'hui. De même, j'invite tous les Souiris (tous ceux et celles qui, de par le monde, se sentent un quelconque lien avec Essaouira – Mogador : naissance, résidence ou amitié) à davantage de coopération afin d'accélérer le développement d'Essaouira et de sa région.
Mes réflexion interpellent, plus particulièrement, l'Association Essaouira-Mogador sous la présidence de son président fondateur Monsieur André Azoulay, dont je salue, au passage, le courage louable.
* Abdelkabir Namir - est enseignant universitaire