Espace européen : l'illusion d'un eldorado espagnol à l'intérieur du Maroc
LE MATIN
10 Octobre 2005
À 13:52
L' espace européen est un territoire intégré, sans frontières et de libre circulation des personnes, régi par les accords de Schengen. Ce territoire est basé sur un système d'information opérationnel depuis le 26 mars 1995, appelé Système d'Information Schengen (SIS) permettant aux autorités de chaque Etat membre de disposer, en temps réel, des renseignements sur des millions d'individus qui empruntent cet espace. Les pays membres de la communauté européenne, signataires de la Convention de Schengen, pratiquent une politique commune en matière d'immigration.
Cependant, la question qui se pose, du point de vue technique et juridique, c'est qui doit assumer la protection de cet espace européen quand une partie de celui-ci est extraterritoriale ou l'intérieur d'un Etat non membre de la communauté européenne?
Le cas du Maroc, avec les deux enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, est l'un des exemples les plus symptomatiques de cette difficulté technique et juridique de l'application de la convention de Schengen. Le Maroc n'est pas membre de cet espace et de ce fait il ne peut être tenu responsable de la sécurité des frontières de toute l'Europe. Le Maroc, avec plus de 3500 km de frontières, ne parviendra jamais tout seul à assurer la sécurité Sud de cet espace et il n'a pas vocation à jouer le rôle de gendarme de l'Europe. En tant que pays en développement, le Maroc n'a pas les moyens, ni la baguette magique pour empêcher la misère du continent africain de se déverser sur les frontières européennes.
Vu sa position géographique proche de l'Europe, le Maroc est devenu une cible potentielle et permanente pour les candidats à l'immigration et une victime réelle de ce nouveau phénomène. De ce fait, il subit une double pression, celle de l'afflux massif des Subsahariens sur son territoire et celle de l'Europe qui le tient responsable de la sécurité de ses frontières. Le Maroc subit, tout seul et dans l'indifférence depuis quelques années, les conséquences dramatiques de cette politique européenne répressive en matière d'immigration, alors qu'il n'est pas l'unique territoire concerné par ce phénomène dans la région.
L'Algérie, point de transit naturel et essentiel des Subsahariens, est soupçonné par certains médias espagnols de ne rien faire pour lutter contre ce fléau, dans l'espoir de déstabiliser l'ennemi juré de l'Ouest; en tout cas, jusqu'à récemment, personne en Europe ne semble lui reprocher cette attitude, s'interrogent certains observateurs. Au contraire, les autorités de Bruxelles et de Madrid demandent incessamment au gouvernement marocain d'empêcher les immigrants clandestins de gagner l'Europe à partir de ses frontières, mais sans se soucier toutefois des pressions de ce phénomène migratoire de grande ampleur qui s'exerce sur une économie et une société en développement.
L'Europe ne veut pas seulement que le Maroc soit le gardien de ses frontières, mais également qu'il se transforme en terre d'accueil pour ces immigrants en transit sur son sol ou une base arrière de l'Europe pour le refoulement des immigrants entrés illégalement dans l'Espace Schengen. De pays de transit, le Maroc risque rapidement de devenir une terre d'accueil et une destination finale pour de nombreux immigrants clandestins. Est-ce que le Maroc est bien préparé à ce nouveau bouleversement démographique et dispose-t-il des moyens nécessaires pour assumer l'accueil décent de ces immigrés?
Le phénomène requiert nécessairement une coopération régionale
Le Maroc semble débordé face à ce nouveau problème d'immigration; les flux incessants des immigrants subsahariens dépassent largement ses capacités.
Le Maroc ne peut à lui seul supporter ce poids humain constamment alimenté par de nouveaux arrivants. La lutte contre l'immigration clandestine exige une coopération réelle au niveau régional, car elle concerne de nombreux pays limitrophes de l'Europe. Le phénomène requiert nécessairement la coopération des autres pays de transit, notamment l'Algérie, car les efforts déployés par le Maroc, face à ce phénomène, demeurent sans portée du moment que la frontière algérienne avec les pays subsahariens reste une véritable passoire.
Les politiques européennes en matière d'immigration et d'asile sont devenues de plus en plus sécuritaires. Le phénomène migratoire, très complexe, ne peut être traité uniquement sur le plan sécuritaire. Ce n'est pas avec une attitude policière que l'on peut régler un grave problème humain qui nécessite une approche socio-économique multidimensionnelle.
La gestion des flux migratoires non réguliers doit se faire dans le cadre d'une approche régionale dépassant l'aspect exclusivement sécuritaire qui a montré jusqu'à présent ses limites. Il faut convoquer une conférence régionale avec la participation de tous les pays concernés : pays subsahariens, maghrébins et européens.
Un dialogue franc entre les pays d'origine, de transit et de destination de cette immigration, est nécessaire pour aboutir à des solutions durables.
Une approche globale est nécessaire pour le traitement de cette question à long terme. Une coopération à l'échelle internationale est indispensable pour s'attaquer aux causes véritables et profondes de ce phénomène mondial. Une politique d'immigration réussie implique une coopération Nord-Sud et une véritable participation dans le développement durable des pays émetteurs de cette immigration. L'investissement dans un développement efficace de ces pays, à travers le financement des projets générateurs d'emplois et l'insertion professionnelle des candidats potentiels à l'immigration, est primordial pour stabiliser ces flux migratoires.
L'assistance des Nations unies et la contribution des organisations spécialisées sont fondamentales pour la réussite de cette approche globale des problèmes posés par cet important phénomène migratoire.
L'Union Européenne doit d'urgence se pencher sur la question et au-delà des occasions électorales et des opportunités politiciennes, car tous les pays européens sont concernés par ce drame humain. Le sujet du partenariat Euro-méditerranéen prend toute son importance au moment où l'actualité du drame des Subsahariens fait resurgir la crainte d'une dérive sécuritaire qui prendrait le pas sur toutes les autres considérations politiques, économiques et culturelles. Selon l'avis des experts et des observateurs maghrébins et européens, la Déclaration de Barcelone n'a pas rempli ses objectifs fixés en 1995. Un seul aspect est devenu dominant: le sécuritaire qui touche à l'immigration et au terrorisme.
Le drame des clandestins subsahariens
Le drame des clandestins subsahariens qui tentent d'atteindre les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla a mis en lumière la fragilité de cet espace sécuritaire et l'échec des politiques européennes en matière d'immigration.
La pression exercée par une immigration clandestine de plus en plus massive sur ces enclaves est l'une des conséquences les plus significatives de cette logique répressive par laquelle l'Europe a choisi de traiter la question de l'immigration.
Dans ce marché inhumain, fait de statistiques, de sécurité, d'ignominie, d'égoïsme et d'intérêts économiques, il y a le drame humain de ces immigrants subsahariens qui sont le plus souvent victimes des réseaux mafieux et criminels spécialisés dans la traite humaine moderne.
Cette immigration clandestine a pris dernièrement une tournure grave et tragique. En effet, il ne s'agit plus de quelques clandestins qui tentent de s'infiltrer ici et là dans l'espace Schengen, mais de milliers de personnes : femmes, enfants et hommes et parfois des familles au complet, qui prennent d'assaut les clôtures de la honte qui séparent l'Europe riche de la misère africaine. Ces assauts ont été le plus souvent tragiques pour les Subsahariens: des morts, des blessés, des humiliations, des arrestations et des conduites à la frontière.
Ces clandestins proviennent en majorité de l'Afrique subsaharienne mais aussi d'autres pays asiatiques et maghrébins. En raison de nombreux facteurs historiques, politiques, naturels, etc., et suite aux conditions sévères imposées par l'Europe pour immigrer légalement, l'immigration irrégulière est devenue la seule alternative possible pour des milliers de personnes qui fuient la famine, les maladies et les guerres.
Afin de réaliser un état des lieux de la situation des immigrants en transit au Maroc, de connaître leur profil, leur parcours et les raisons de leur départ de leurs pays respectifs, il suffit de se rendre simplement dans les principaux lieux de rassemblement de ces immigrants. Dans les montagnes, les campagnes et les villes proches des enclaves de Ceuta et de Melilla, des milliers de Subsahariens attendent dans des conditions inhumaines, et souvent au risque de leur vie, l'occasion propice pour atteindre ces enclaves, pour accéder ainsi à l'espace Schengen.
La Terre promise, pour laquelle ils ont fait un long périple à travers le Sahara, devient vite un enfer une fois arrivés à la frontière européenne.
*Ingénieur en Télédétection
Toulouse/FRANCE