Fête du Trône 2006

Jean Paul Perrier : «Les cartes d'identité sécurisées que Thales va produire pour le Maroc constituent une première mondiale»

24 Octobre 2005 À 14:06

Avec 60.000 collaborateurs dans le monde, présent dans plus de 40 pays et avec un chiffre d'affaires de 10,3 milliards d'euros en 2004, Thales est l'un des fleurons de la technologie française et européenne, aux côtés d'autres grands comme EADS ou Alcatel. Les champs de compétence de Thales sont nombreux : aéronautique, défense et sécurité.

Thales vient d'être retenu par le gouvernement marocain pour l'important marché de la carte nationale d'identité sécurisée, contrat qui a été finalisé lors de la visite au Maroc de Dominique de Villepin. Le Matin a donc jugé intéressant pour ses lecteurs de rencontrer Jean Paul Perrier, PDG de Thales International et numéro deux auprès du grand patron du groupe Thales, Denis Ranque.

- LE MATIN : En quoi consiste le contrat que Thales a remporté pour fournir au Maroc de nouvelles cartes d'identité ?

- Jean Paul Perrier :
C'est un contrat très important pour nous comme pour notre partenaire marocain, la Direction générale de la Sécurité nationale du royaume du Maroc. Son montant est supérieur à 100 millions d'euros sur quatre ans pour la production de 20 millions de cartes nationales d'identité hautement sécurisées. Le contrat porte sur la fourniture d'un système de production et de personnalisation de ces cartes et couvre la production, la garantie, la formation, la maintenance et le transfert de savoir-faire correspondant.

Des centres de production locaux seront opérationnels dans douze mois à Rabat et Marrakech. Pendant quatre ans, Thales en assurera la prise en charge.

- Quelles sont les spécificités de ces cartes ?

- Elles s'inscrivent dans un contexte marqué par le développement du terrorisme international, et la nécessité corrélative de sécuriser le contrôle des identités. Donc de rendre beaucoup plus difficile l'utilisation de faux documents d'identité. Les cartes que le Maroc va mettre en place ont le plus haut niveau de sécurité possible pour un titre identitaire. Il s'agit du premier système identitaire au monde à base de carte à puce sans contact. Il inclut des données d'état-civil et des données biométriques. La solution Thales s'interface avec le système AFIS (Automated Fingerprint Identification System) qui permet de réaliser l'acquisition des empreintes digitales et d'en assurer la comparaison par rapport à une base.
Grâce à des lecteurs de contrôle, ce système se combine avec la technologie de personnalisation graphique DTR (Data Transfer Reversal) d'Agfa).
Tout cela assure au document une sécurité maximale pour une durée de vie garantie de dix ans.

- Donc des cartes très difficiles à falsifier, et permettant des contrôles d'identité plus sûrs et plus rapides?

- Exactement.

- Et c'est une première mondiale ?

- Tout à fait. Le Maroc est le premier pays à adopter ce système, qui intègre les dernières technologies biométriques. Thales est très bien positionné aujourd'hui pour remporter d'autres marchés dans les pays qui partagent l'objectif de se doter de documents sécurisés à puce, la France en particulier.

- Ce nouveau système présente-t-il des risques pour les libertés individuelles ?

- Comme je vous l'ai indiqué, il permet de contrecarrer l'utilisation de faux titres d'identité: dont vous conviendrez qu'il ne s'agit pas précisément d'une liberté individuelle, mais d'un délit.

Ce système est mis en place avec pour objectif prioritaire de protéger les citoyens et donc de préserver leur liberté. En commençant par celle de ne pas se faire usurper son identité, cette carte évitera ce risque. Le nouveau système permettra de ce fait une relation plus facile et plus transparente entre le citoyen et l'administration.

- Des entreprises marocaines seront-elles associées à cette opération ?

- Oui. Thales développe et crée des liens avec les sociétés locales comme dans les autres pays où nous avons gagné des contrats importants. Des sociétés marocaines vont travailler avec les équipes de Thales : par exemple, Omnidata, IB Maroc, Dar Sekka….

Historiquement, Thales l'a d'ailleurs toujours fait, y compris au Maroc avec des partenaires comme la société de fabrication Radio Electrique Marocain pour le contrôle aérien ou Thales Microsonics, une entreprise locale qui fabrique les composants téléphonie.

Grâce à la collaboration de Thales avec plusieurs sociétés marocaines, ce contrat contribuera à renforcer l'emploi et le savoir-faire de l'industrie hi-tech locale qui bénéficiera de retombées directes et indirectes.

- Certains, au Maroc, s'interrogent sur les conditions d'obtention de ce contrat, et notamment sur l'absence d'appel d'offres. Qu'en est-il?

- Ce choix, s'effectuant parmi des technologies de pointe, a donné lieu à une procédure de consultation internationale, suivie d'un marché de gré à gré. Ce contrat a été attribué à Thales après plus de deux ans de consultations internationales qui ont permis au Maroc de choisir la technologie qu'il a jugée la meilleure, après avoir examiné les propositions de Thales, mais aussi de ses concurrents : Sagem, MSI, Unisys, Axalto …Thales a donc été choisi en connaissance de cause. Du fait notamment de son expérience de plus de 20 ans dans le domaine des solutions identitaires sécurisées, et de très solides références dans une vingtaine de pays.

- Un ancien cadre français de Thales,M. Josserand, a accusé votre groupe de corruption. Il affirme que les mesures prises par Thales pour se conformer à la législation très stricte imposée par les critères de l'UE et de l'OCDE ne seraient que de faux semblants pour dissimuler la pratique de «pots de vin» dans divers pays. Que répondez-vous ?

- Le groupe Thales est un leader mondial reconnu pour la valeur de ses systèmes dans de nombreux domaines. Il n'a donc aucune espèce d'intérêt à se livrer à des pratiques illicites ou contraires à l'éthique, alors que tant l'Union européenne que l'OCDE ont, à juste titre, renforcé leur réglementation en la matière. Thales s'est doté d'un ensemble extrêmement rigoureux de procédures de contrôle et d'éthique. Nous avons procédé à un effort de mobilisation très important de l'ensemble des salariés sur ces questions d'éthique et nous disposons d'un code d'éthique connu de chacun d'eux.

Des procédures de sélection très strictes des consultants et des intermédiaires commerciaux que nous rémunérons ont été mises en place.
En application de ces procédures, nous avons décidé, depuis 2000, de ne pas renouveler les contrats passés avec près de 300 intermédiaires qui ne présentaient pas de garanties suffisantes.
Un service d'audit interne contrôle scrupuleusement leur rémunération afin qu'elle corresponde à une prestation réelle.

- Mais qu'en est-il des accusations portées contre Thales?

- Ces accusations ont été proférées par un ancien salarié d'une petite filiale de Thales que nous avons, précisément, licencié pour avoir contrevenu aux règles éthiques du Groupe, et contre lequel nous avons porté plainte.

Tout ceci a été mis à jour grâce aux procédures dont je viens de parler. Les accusations proférées par Monsieur Josserand sont extrêmement graves et mensongères. Accuser notre groupe d'avoir violé l'embargo en Irak ou d'avoir organisé un système généralisé de corruption est proprement indigne et relève de la pure calomnie. Notre groupe, qui s'efforce de faire de l'éthique une priorité, a été très choqué par ces allégations qui portent un préjudice considérable à notre société. Une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Paris. Elle suivra son cours. Nous faisons confiance à la justice.

- Pour conclure, revenons au Maroc. Au-delà du contrat pour les cartes d'identité, quelles sont vos autres activités dans le Royaume?

- Thales est présent depuis de nombreuses années au Maroc dans les domaines de la défense et de la sécurité, de la radio télévision diffusion, de l'aviation civile. En particulier pour l'Office national des aéroports et pour Royal Air Maroc.

Nous sommes fournisseurs des forces armées marocaines et nous travaillons, en collaboration notamment avec Dassault et Safran, sur la modernisation des Mirages F1 de ses forces aériennes. Thales a le souhait de répondre, en partenariat avec l'industrie locale, aux besoins croissants que sont pour le Maroc les questions de sécurité : la surveillance des frontières, la sécurité et gestion du trafic aérien, la sécurité des citoyens.

Le Maroc est engagé dans un ambitieux programme de développement économique et social, il entretient des relations étroites avec la France et l'Union européenne. Nous sommes convaincus que tout cela représente des opportunités importantes pour Thales, au-delà des contrats en cours et de celui que nous venons de signer. Tout ceci explique que Thales ait décidé d'ouvrir une filiale à Rabat d'ici à la fin de l'année.


De grands chantiers tous azimuts



- LE MATIN : Pouvez-vous nous faire le portrait de votre groupe ?

- Jean Paul Perrier : Thales fournit des équipements et des systèmes électroniques pour l'aéronautique civile et militaire : premier fournisseur d'Airbus pour ses avions de transport et notamment l'A380, et aussi de Dassault pour ses avions de combat mais également d'autres grands constructeurs tels que l'américain Boeing, le russe Sukhoi, le canadien Bombardier, le brésilien Embraer. Nous fournissons également des systèmes de contrôle du trafic aérien : un avion sur deux dans le monde décolle et atterrit en toute sécurité grâce à nos systèmes !

- Mais vous ne travaillez pas que pour l'aéronautique…
- En effet. Nous sommes très présents dans d'autres secteurs de la Défense : communications militaires, optronique, systèmes navals, systèmes de défense aérienne, systèmes de missiles, systèmes terrestres. Nous avons ainsi gagné de très grands programmes de maîtrise d'œuvre comme celui des porte-avions britanniques ou des systèmes de drones également au Royaume-Uni, mais aussi celui des sous-marins Scorpène dans certains pays d'Asie ou encore le programme des frégates multi-missions franco-italiennes FREMM. Nos systèmes ont aussi de nombreuses applications civiles dans la sécurité des transports, des sites, des transactions. Ils ont été choisis pour la sécurisation des métros de nombreuses villes du monde, pour la billettique en Asie, en Hollande et au Danemark, et pour la sécurité des documents identitaires dans de nombreux pays du monde.

- Thales est donc un groupe très international ?
- Tout à fait. Thales emploie 60.000 personnes dont la moitié hors de France : 12.000 en Grande-Bretagne, 3.000 en Allemagne, mais aussi aux Etats-Unis et en Australie, 2.500 aux Pays-Bas, 1.000 en Corée... Son chiffre d'affaires est de 10,3 milliards d'euros et son résultat d'exploitation est de 729 millions d'euros. L'un et l'autre ont doublé en cinq ans. Point très important, nous consacrons près de 20% de notre chiffre d'affaires à la recherche et au développement.
Enfin, le capital de Thales, qui est coté en bourse, est majoritairement français. L' Etat a 31,3%; Alcatel : 9,5 % ; Dassault : 7,5% ; actionnariat salarié : 5,1%. Le reste, 48 %, est le « flottant ».

- Quels sont les principaux concurrents de Thales ?

- Ils sont très différents selon les secteurs, mais ils sont quasiment tous américains, et bénéficient comme vous le savez d'un marché domestique très important.

- Et que faut-il penser des rumeurs de rapprochement entre Thales et EADS, Alcatel ou encore - l'Italien Finmeccanica ?

- Je ne souhaite pas commenter ces rumeurs. Je ne ferai que redire ce que Denis Ranque répond à cette question. Thales est une entreprise qui va bien, dont le bilan est extrêmement solide. Comme le montrent nos dernières très importantes prises de commandes, la stratégie de Thales porte ses fruits et fait de nous le champion européen des grands systèmes électroniques destinés à la défense, l'aéronautique et la sécurité. Nous pouvons très bien continuer notre route sans nous rapprocher de tel ou tel. Mais à l'inverse Thales n'est pas isolationniste! Si la possibilité d'élaborer un projet qui conforte nos atouts se présente, nous le regarderons sérieusement.
Copyright Groupe le Matin © 2024