Karim Selouane : «Le désert est synonyme d'une complexité écologique, humaine, historique et géographique»
Karim Selouane est géomorphologue naturaliste. Il a mené de nombreuses études sur le Sahara. Il a aussi le mérite d'avoir actualisé les connaissances et les approches concernant le Sud marocain.
LE MATIN
19 Novembre 2005
À 13:51
Le Matin du Sahara : Vous êtes considéré comme celui qui a mené le plus de recherches et d'études sur le Sahara et le sud marocain. Comment est née cette passion ?
Karim Selouane : Tout d'abord, je ne suis pas celui qui a mené le plus d'études mai je suis le premier à avoir remis à jour les connaissances scientifiques laissées par les Espagnols et les Français lors de l'époque coloniale. D'autre part, je suis effectivement le premier à avoir pu traverser la totalité du grand sud marocain tant sur le littoral que le long de la ceinture militaire.
Cette idée est venue tout naturellement par un intérêt pour le désert et notamment ce territoire du Sud qui nous est convoité et est disputé depuis plus d'un siècle. Ainsi, je voulais participer à ma manière à travers une approche scientifique à la reconnaissance de ce territoire et le faire partager à un plus grand nombre en dépassant les arguments géopolitiques. Ce souhait est matérialisé par ma thèse en cours d'achèvement et la réalisation d'un livre en co-rédaction avec Moustafa Nissabouri et le soutien de l'Agence du Sud et de son directeur M.Ahmed Hajji.
Comment, imaginiez-vous, personnellement, le désert ?
J'ais toujours imaginé le désert à travers les Hommes et les Femmes nomades. C'est la musique sahraouie et Touareg qui on été mes accroches pour le désert durant mon adolescence. Je m'imaginais nomade dans ma tête. Et à travers la lecture de leur culture et histoire, j'ai perçu une image très objective du désert et j'ais compris, dès le collège, que le désert n'était pas synonyme de sable et de dattier mais d'une complexité écologique, humaine, historique et bien entendu, géographique. Des fois, je me disais que j'aurais pu être ethnologue et vivre un bout de temps avec les nomades.
Quels ont été les moments forts dans vos recherches sur le terrain dans le Sahara ?
Mes moments les plus forts ont été les longs moments passés dans la solitude pendant près de 2 ans sur le terrain sans connaître qui que ce soit au préalable, sans financement et en me demandant si j'allais trouver une réponse à mes questions. Le terrain a été une réelle étape dans ma vie et il m'a permis de connaître des gens sans qui je n'aurais rien pu faire. C'est ainsi qu'à la suite de ma première publication sur Dakhla ( la presqu'île et la baie de Dakhla, CNRS et paru à la Bibliothèque Nationale François Mitterrand de Paris), j'ai pu connaître des personnalités qui m'ont soutenu tel que M.Orbi de l'INRH, M. Cherki Rjimati (BRPM de Laâyoune), les différents services des Forces Armées Royales (sans qui 80 % de mon travail sur le terrain n'aurait pu être réalisé) et M Hajji Ahmed (directeur général de l'Agence du Sud). Ainsi, indépendamment de l'aspect scientifique, l'immensité du Sahara m'a fait grandir intellectuellement et m'a permis d'apprécier le sens profond du mot «Mektoub».
Lors d'une conférence que vous avez animée à l'IMA, vous avez dit "quand on connaît la nature des dunes dynamiques, et qu'on sait comment sont faits les couloirs de sable, on peut déjà savoir où et comment construire". Concrètement, que proposez-vous pour construire dans ces espaces tout en respectant les spécificités du désert?
Effectivement, ce constat est une des applications des résultats (en cours de rédaction) de ma thèse de doctorat. L'objectif de mon intervention était de démontrer qu il suffisait de bien observer le paysage du Sahara et toutes ses subtilités morphologiques pour anticiper et prévoir des plans d'aménagements les moins pénalisants en termes de risque d'ensablement mais également en terme d'instabilité de terrain. Or, il s'avère que certains plans sont (ou ont été) effectués par des ingénieurs qui ne maîtrisent pas le fonctionnement de l'environnement et les résultats se traduisent par des infrastructures non intégrées à la dynamique du paysage saharien.
En tant que géologue, que vous a appris le désert ?
Je suis plus précisément un géomorphologue naturaliste… Le désert m'a appris la simplicité des relations humaines, mai également l'immensité de notre patrimoine naturel. On se rend compte immédiatement que l'Homme et la nature sont étroitement liés dans ce milieu très fragile qui, s'il n'est pas respecté, peut anéantir un ensemble socio-économique. Or, comme nous le montrent les vestiges paléolithique, néolithique et l'étude associée des paléo environnements, le Sahara persiste mais c'est l'homme qui doit s'y adapter et non pas l'inverse.
Vous venez de co-signer avec le poète Nissaboury un livre sur le désert. Pouvez-vous nous en parler un peu plus ?
Le projet de livre que je co-signe avec le poète et ami Moustafa Nissaboury est une idée qui est née à Paris en avril 2003 et que j'avais soumise à une maison d'édition française. Cependant, je ne voulais pas rejeter la marocanité du Sahara dit «occidental» et je me suis donc tourné vers le Maroc. J'ai donc soumis l'idée à Ahmed Hajji en avril 2004 qui a tout de suite était emballé et m'a soutenu dans ce projet artistique. Nous avons, dans un deuxième temps, fait appel à Archimedia qui nous a présenté M. Nissaboury.
Ensuite, une aventure est née à travers mon projet, qui a su fédérer, avec l'aide de l'Agence du sud et Archimedia, des photographes, des nomades, des poètes, des architectes, des passants, des associatifs et surtout les forces armées Royales sans qui, peu de choses auraient pu être réalisées et je tenais à le souligner.
Concernant le livre, il retrace, en partie, les territoires que j'ai traversés durant ma thèse en y associant le regard croisé d'un explorateur scientifique et d'un poète.
L'ouvrage sera une première et le contenu unique tant sur la forme que dans le fond. Je prie Dieu pour que le livre sorte dans les temps et que sa publication puisse conduise les novices à découvrir le Sahara marocain dans sa diversité géographique et humaine tant au Maroc qu'à l'étranger et transcender les velléités géopolitiques. Ceci est mon souhait le plus cher….