Fête du Trône 2006

La sanction pénale

04 Janvier 2005 À 17:05

Le Maroc, prenant conscience de la montée inexorable de la demande de justice de nos sociétés contemporaines a réformé son code de procédure pénale pour le mettre aux standards requis de tout système informatique.

Poursuivant sa démarche de modernisation et d'adaptation de son appareil législatif et administratif, le pays engage maintenant la réflexion sur les politiques pénales à mettre en œuvre, les moyens à dégager pour que la justice contribue avec une pleine efficacité au rétablissement de la paix sociale, et apporter ainsi une participation décisive au maintien de la sécurité de tous.
Je remercie vivement les organisateurs et les hautes autorités marocaines, le ministre de la Justice d'avoir convié un magistrat français à évoquer le volet relatif à la sanction pénale.

Je n'ai pour ce faire aucune légitimité particulière, si ce n'est celle que confère plus de trente années d'exercice de fonctions judiciaires diverses – juge d'instruction, juge de l'application des peines, président de cour d'assises notamment . J'ai pu ainsi progressivement découvrir la problématique de la sanction pénale, de ses fondements, de son application et de son exécution.
I – La peine – ses fondements

Il n'existe aucune définition légale de la peine.
La convention européenne des droits de l'homme, norme supérieure à la loi interne, proclame en son article 5 le droit à la liberté physique de la personne. Il a pour but d'assurer que nul ne peut en être dépouillé de manière arbitraire.
Ces dispositions protègent la liberté et la sûreté de la personne contre des arrestations et des détentions arbitraires. C'est pourquoi les restrictions à la liberté sont limitativement prévues par la convention.
Article 5 – Droit à la liberté et à la sûreté
1.
Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies législatives :
a) s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
b) s'il a fait l'objet d'une arrestation ou d'une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l'exécution d'une obligation prescrite par la loi ;
c) s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci ;

d) s'il s'agit de la détention régulière d'un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l'autorité compétente;
e) s'il s'agit de la détention régulière d'une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d'un aliéné, d'un alcoolique, d'un toxicomane ou d'un vagabond ;
f) s'il s'agit de l'arrestation ou de la détention régulières d'une personne pour l'empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours;
2. Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.

3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1e du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience.

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention à le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.
Le conseil constitutionnel français dans une décision du 20 janvier 1004 (N° 93-334) a précisé que la peine privative de liberté a été conçue non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l'amendement de celui-ci et son éventuelle réinsertion.
Apparaissent ainsi clairement les fonctions de la peine :
- mise à l'écart temporaire du condamné ce qui en fait une mesure de sûreté
- fonction rétributive, c'est le prix à payer en contrepartie de la commission d'une infraction ;
- enfin , amendement du condamné ce qui sous entend évidemment l'instauration d'un suivi éducatif au cours de son exécution.

Le Code Penal Français, profondément modifié par les lois des 9 septembre 2002 et 9 mars 2004 dites Perben I et Perben II continue à énumérer l'échelle des peines, sans en donner aucune définition, sauf pour certaines peines complémentaires.
(Interdictions – Confiscations) ou modalités d'exécution (Dispense – Sursis – Aménagements).

La sensibilité politique du sujet, la versatilité de l'opinion peuvent expliquer qu'à ce jour encore, aucun grand débat n'a pu aborder sereinement la question de la peine, de ses fondements et de son utilité sociale.

- La détermination de la peine
Dans tout système démocratique, le juge peut seul prononcer une peine portant atteinte ou restreignant la liberté. A noter, toutefois, que d'autres organes administratifs peuvent infliger des sanctions pécuniaires (administration fiscale, douane par exemple), ou portant même sur la propriété en pratiquant des saisies ou confiscations de biens.
Comment le juge détermine-t-il la peine ?
Il le fait bien évidemment d'abord en fonction de la gravité des faits poursuivis, mais aussi des renseignements de personnalités, familiaux, qui figurent de plus en plus souvent dans son dossier quel que soit le mode de jugement (après instruction – comparution immédiate etc … ) Remarquons que ce juge-la collégialité n'est plus la règle en matière pénale – n'a d'ailleurs dans l'immense majorité des cas aucune formation en matière de «Sentencing». Par ailleurs, conduit à statuer en même temps par une seule et même décision (sauf cas d'ajournement du prononcé de la peine) sur la culpabilité et sur la peine, le juge français contrairement à son homologue anglo-saxon, ne motive qu'exceptionnellement la peine, privant ainsi sa décision d'une grande partie de sa vertu pédagogique à l'égard du condamné et de la victime, et de sa légitimité à l'égard de la collectivité sociale.

La montée inexorable de la délinquance, l'accroissement du taux de récidive, qui ont montré les limites de ce traitement individualiste, ont amené le gouvernement à mettre en place des dispositifs dits «politiques publique» destinés à enrayer ces phénomènes qui inquiètent à juste titre l'opinion publique.
Les nouvelles méthodes de conduite de l'action publique – le traitement en temps réel – les procédures de jugement accélérées constituent des progrès qu'il serait déraisonnable de nier.

Sous l'impulsion des pouvoirs publics, le dynamisme et l'imagination des parquets, bientôt repris par la loi, s'attachent désormais prioritairement à rendre plus efficace la première réponse à la délinquance. Cette politique de réponse pénale immédiate est complétée par des procédures rapides, alternatives aux poursuites traditionnelles ; il s'agit par exemple du rappel à la loi, de la composition pénal, des ordonnances pénales correctionnelles et maintenant de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, procédures dans lesquelles le Parquet dépassant son rôle habituel, fait irruption dans le champ d'intervention du juge.

En effet, non seulement chargé de la poursuite, il décide le principe, et le montant de la peine, dont il " négocie ” le quantum avec la personne poursuivie et son conseil. Le rôle du juge est alors réduit à homologue ou refuser la proposition du Ministère Public.

Ces nouveaux dispositifs qui visent à rendre l'intervention judiciaire plus rapide, plus lisible pour l'opinion, plus effective pour la personne poursuivie et la victime, s'inscrivent dans le cadre d'une politique voulue par le gouvernement qui a décidé d'en faire une priorité. Ceux-ci s'imposent incontestablement au Parquet soumis à l'autorité hiérarchique du ministère de la Justice. Ils ne peuvent en revanche en aucun cas être Imposes au juge, indépendant, qui reste Libre de les homologuer ou non.

Le juge du siège ne peut en effet, contrairement au Parquet, être partie, s'engager au nom et en faveur d'une Politique Publique à laquelle son indépendance lui interdit de soumettre sa liberté d'appréciation.
Son pouvoir de décision n'a pour seule limite que a loi, toute la loi, rien que la loi. A lui d'en investir toute la dimension.
III – L'exécution de la peine
L'exécution de peines n'est pas seulement un mode d'emploi technique de la sentence appliqué à l'individu. Elle doit s'envisager comme l'un des ressorts essentiels de la politique pénale.

Deux rapports remis récemment au Garde des Sceaux Français, Dominique Berben, l'un en juillet 2002 par l'Inspection générale des Services Judiciaires, l'autre par un parlementaire, Jean-Luc Warsmann, en avril 2003, formulent les propositions reprises dans la loi votée le 9 mars 2004, dit Perben II qui visent en ce domaine essentiellement à :
- accélérer la phase de l'exécution des peines en réorganisant complètement la chaîne de l'exécution, de l'audience à l'inscription au casier judiciaire (création dans chaque tribunal d'une Bureau d'exécution des Peines BEX). Les Procureurs de la République doivent présenter chaque année un rapport sur l'état de l'exécution des peines, rendu public, avant le dernier jour du mois de juin – article 709 – 2 du Code de procédure pénale ;
prise en compte de la bonne volonté individuelle dans le paiement de l'amende-article 707-2 (20% de diminution si le paiement intervient dans le mois des la condamnation).

- renforcement des peines alternatives à l'emprisonnement
- travail d'intérêt général
- réhabilitation des jours-amende
- montée en puissance du juge de l'application des peines
- valorisation du temps carcéral par :
• l'exécution en milieu ouvert – semi-liberté – placement extérieur – des courtes peines d'emprisonnement (article 723 – 15 – peine inférieure ou égale à un an d'emprisonnement)-
• recours à des modalités d'aménagement diversifiées (placement sous surveillance électronique par exemple)
• renforcement de la préparation à la sortie :
- crédit réduction de peine
- SAS de sortie.
Par ailleurs, et enfin, la loi Perben II parachève la juridictionnalisation de tout le dispositif d'application et d'exécution de la peine.
(Cf article de Francis Le Gunehec in semaine juridique Edition G 14 avril 2004 joint).
Conclusion
Si du chemin a été parcouru, il nous en reste en France aussi beaucoup à accomplir.

D'abord, nous ne pourrons continuer longtemps encore, à faire l'économie d'un large débat public sur la sanction pénale, ses fondements, ses buts, son exécution. En un mot, il faudra bien un jour que le grand débat sur le rôle social de la sanction pénale ait lieu, sa légitimité sociale est à ce prix.

Ensuite, il y a incontestablement des actions de formation à mettre en œuvre afin de préparer les juges à prononcer des peines tenant compte à la fois des exigences de politique pénale voulues par la société, et des possibilités de réinsertion de la personne condamnée. Nous devons donc tous, élus, magistration pénitentiaire, travailleurs sociaux, continuer à travailler ensemble pour passer d'une culture qui reste celle de l'enfermement à celle des alternatives à l'incarcération.

Nous avons, je crois, un réel devoir de créativité en ce domaine.
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