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Le Maroc de Gatti

22 Avril 2005 À 16:52

Que le peintre Jacques Gatti soit un maître, c'est évident ; non seulement à cause de la qualité impressionnante de ses œuvres, mais les nombreuses récompenses obtenues au cours de ses cinquante années de carrière sont là pour en témoigner. Membre de plusieurs associations culturelles prestigieuses, dont l'association des peintres de Saint-Tropez, ses toiles ont été achetées- entre autres grandes collections publiques- par la ville de Paris (1958). Mais à quelle école de peinture appartient-il ?

La critique Yann Le Sergent a qualifié Gatti d'aquarelliste de génie (dans La Cote des arts, en septembre 1985), et pourtant, ses peintures à l'huile illustrent encore davantage sa spontanéité et son sens de la lumière, en dépit de l'utilisation d'un moyen d'expression bien plus difficile à maîtriser.

Encensé pour la qualité de ses délicates représentations impressionnistes des lumineux paysages provençaux aux villages endormis (critique d'une exposition de ses œuvres à La galerie Beausoleil de Nice, publiée dans Var Matin le 5 septembre 2000), on a aussi parlé de son génie pour brosser des marines où il rend à merveille le chaud soleil et les couleurs violentes de la Côte d'Azur. (Critiques d'expositions dans Nice Matin, les 7 mai 1988 et 5 septembre 2000, ainsi que dans Derbyshire Life en août 2003).

Actuellement, Gatti nous montre un autre aspect de son talent indéniable. Dans sa première exposition au Maroc, il se révèle comme Orientaliste e plein air et héritier des grands artistes européens qui ont travaillé et prospéré dans l'empire chérifien, c'est-à-dire des peintres comme Adam Styka (1890- 1959) d'origine polonaise, Camille Boiry (1871- 1954) d'origine française, Bernard Boutet de Monvel (1881- 1949) et Henri Pontoy (1888- 1968).

Que l'œuvre de Gatti leur soit apparentée techniquement n'est guère surprenant. Il est né à Alger en 1927 dans une famille d'artistes et a été formé par des contemporains de Boiry et Pontois. Les traditions qu'on lui a inculquées étaient des traditions vivantes, et c'est ce qui rend l'Orientalisme de Gatti aussi ardent. Il est certain que son travail ne peut pas être confondu avec celui des nombreux pseudo orientalistes académiques qui fabriquent à la chaîne des croûtes de troisième ordre pour satisfaire l'insatiable demande pour les encadrement dorés d'une clientèle enrichie par le pétrole.

L'Orientalisme de Gatti est l'antithèse même de la pseudo école orientaliste de studio. Les constructions soigneusement élaborées dans un atelier- où des odalisques obèses gardées par des esclaves noirs bardés de muscles s'offrent dans des mousselines transparentes, avec en fond un décor de bazar, des chandeliers de cuivre et des tapis turcs fabriqués à Taiwan- n'ont rien à voir avec lui. Il peint le Maroc tel qu'il est, mais sans doute tel qu'il ne va pas rester encore longtemps.

Son Maroc est un mirage frémissant baigné de soleil et menacé par l'ombre du " progrès ”, une façon de vivre depuis des temps immémoriaux, mais dont les jours sont peut-être comptés, un monde encore épargné par les méfaits de la mondialisation, où les rues sont encore baignées de l'odeur des fruits et des légumes fraîchement cueillis, de celles du camphre et de l'encens, plutôt que des fumets des hamburgers et des pizzas ; de vieilles rues bordées de murs de boue séchée, où le cri du muezzin se fait entendre, plutôt que les hurlements d'une musique tonitruante.

Dans Rue de Fès et Porche de Fès, Gatti capture la tranquillité médiévale de l'ancienne capitale des Idrissides, tandis que dans Rue de Marrakech et Echoppe dans la médina, Marrakech, il parvient à faire passer la langueur de la mi-journée et le rose ocre de la cité.

Chacun de ses paysages urbains est typique de l'endroit choisi, en dépit du fait que les sujets présentent une certaine uniformité. Un rose chaud caractérise ses toiles de Marrakech, l'ambre et l'or celles de Fès, des blancs sales et la turquoise : Larache, le gris et un blanc orangé : Tanger. Son observation minutieuse des couleurs, des tonalités, et l'intangible qualité de la luminosité locale, combinées à l'attention qu'il porte à l'architecture régionale distinctive, permet à ceux qui ont beaucoup voyagé au Maroc d'identifier les endroits représentés même si les toiles ne portent pas de titre.

Né à Alger, l'un des grands ports méditerranéens, il paraît assez naturel que Gatti soit devenu un expert en marines dont les toiles sont particulièrement appréciées et recherchées. A la différence des spécialistes des marines des écoles britanniques, hollandais et allemandes, il n'est pas tant fasciné par la structure des vaisseaux que par la façon dont il font partie d'un paysage donné. C'est ainsi, par exemple, que ses toiles peintes à Tanger : le port de pêche et vue du port de commerce incorporent des vues panoramiques de la ville blanche- tandis que le port d'Essaouira représente aussi la cité fortifiée- avec ses tours de guet, style Disney-world-, qui domine le port en question.

Dans Asilah, la vieille tour portugaise est clairement visible, tout comme l'ancienne médina de Larache sert de subtile toile de fond au port de Larache.
Si Gatti choisit d'incorporer un magnifique second plan à ses marines, il n'en est pas moins évident qu'elles seraient esthétiquement harmonieuses et plairaient beaucoup par elles-mêmes.

Peu de peintres brossant des marines osent, comme il l'a fait, s'attaquer à des sujets aussi banals que le ferry qui va de Tanger à Algésiras, où à un cargo que l'on décharge, en ayant l'habileté technique et la sensibilité esthétique nécessaires pour produire deux des marines les plus exquises jamais exposées à Tanger.

Gatti est un maître. Il n'a que faire des fausses louanges, de la publicité tapageuse, ou des magnifiques catalogues en couleur pour le prouver ou pour vendre ses œuvres. Ses toiles sont un témoignage suffisant de la vérité de cette affirmation, et littéralement, se vendent seules !

Philip Arnott
Tanger, du 3 au 21 mai

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