L'humain au centre de l'action future

Le film «The Island» de Michael Bay : Chasse à l'homme

27 Septembre 2005 À 15:13

Abonné aux blockbusters patriotiques, Michael Bay s'offre avec The Island d'insolentes incursions dans la psychée contemporaine. Mais la deuxième partie du film escamote la science-fiction au profit de l'action.

Pour bien voir ce film, il faudrait en savoir le moins possible. Et surtout ignorer son sujet central pour se mieux se laisser gagner et surprendre par l'esprit tordu et troublant de l'univers futuriste, aseptisé et mécanisé que la première partie installe. Parce qu'ensuite, une fois que la mèche est vendue, The Island prend un virage à 90° et quitte résolument les méandres de la science-fiction pour regagner les autoroutes confortables du film d'action typique où les cascades esquivent la mise en scène et les dialogues.

Le plus surprenant dans ce film, ce sont ses variations, à l'image et dans l'argumentaire, sur deux motifs conjoints : l'anticipation, c'est-à-dire la projection dans un futur mental, et la publicité, soit la projection dans un virtuel marchand. Dans un univers glacé, blanc hôpital, curieux mélange de centre commercial, d'entreprise-forteresse et de salle d'attente, des hommes et des femmes tous vêtus de la même façon et contrôlés par un bracelet électronique, attendent désespérément d'embarquer pour l'Ile. Tous les jours, une grande loterie façon "loto existentiel", assène le nom des heureux sélectionnés pour le prochain voyage.

Cette île, dont des écrans projettent des images dans tous les ascenseurs, est la promesse d'une vie meilleure : la terre a subi une gigantesque catastrophe écologique qui a rendu l'air irrespirable. Les survivants ont été rassemblés dans une colonie stérile régie par des lois d'hygiène et de comportement très strictes. Le seul espoir d'échapper à l'étroite surveillance qui règne dans le sas, c'est d'être transféré sur l'île, seul espace non contaminé.

Cette belle organisation bascule le jour où un jeune homme de la colonie, Lincoln Six-Echo (Ewan McGregor), découvre l'effroyable secret de leurs origines et décide de s'enfuir avec sa camarade Jordan Two-Delta (Scarlett Johansson, découverte dans Lost in translation et La jeune fille à la perle).

Avant que The Island ne s'embarque dans une deuxième partie conforme aux poncifs du cinéma de divertissement, le scénario navigue dans un festival d'images qui sont autant d'indices à décrypter pour parvenir jusqu'à l'énigme.

Images sorties des cauchemars de Lincoln Six-Echo, images projetées sur les murs de la colonie, images en 3D de combats informatiques, et réalité stupéfiante de la vie de cette communauté (chambres cellules, self contrôlant les plateaux repas, contacts interdits, horrifiante pouponnière...) : le jeu consiste à démêler le réel du virtuel jusqu'à la dimension la plus probante possible. Entre rêve et artefact, ou s'arrête le simulacre ? L'homme ne finirait-il pas par être, lui aussi, un produit ? Quelque chose de duplicable et de commercialisable ?

Avec quelques jolis ou terrifiants moments de suspension amarrés sur la naissance, la mort ou l'enfance de la conscience, The Island reprend des thèmes chers à la science-fiction, du roman de Aldous Huxley, Le Meilleur des mondes au film de Steven Spielberg, Minority Report en passant par la nouvelle de Asimov, Face aux feux du soleil. Mais c'est au Soleil vert que ce film fait le plus clairement référence.

Le totalitarisme établi sur le mensonge, les effets pervers du progrès scientifique, ou l'individu broyé par le machiavélisme des élites qui réagit dans un sursaut de lucidité, The Island réembauche les questions que posait Richard Fleischer en 1973. Avec cette ligne directrice : ceux qui osent douter de l'ordre établi, se poser des questions et sortir des rangs peuvent conquérir non seulement la clairvoyance et la liberté, mais également en faire profiter leurs semblables. Michel Houellebecq dans son dernier roman, La Possibilité d'une île, qui - étrange coencidence - reprend une thématique similaire, ne peut pas en dire autant.

The Island, film américain de Michael Bay. Avec Ewan McGregor, Scarlett Johansson, Djimon Hounsou. Sortie au Maroc : 28 septembre 2005. Sortie en France : 24 août 2005. Durée : 2h12.
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