Le naufrage de la Nouvelle-Orléans
Le cyclone Katrina pourrait avoir fait plus de 10.000 morts en Louisiane, selon un sénateur de cet Etat, le républicain David Vitter, alors que le président George W. Bush admettait que la réaction initiale des secours avait été insuffisante.
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AFP
03 Septembre 2005
À 17:26
Il a souligné que cette remarque n'était fondée sur aucun décompte officiel. Seuls 125 morts ont été recensés officiellement jusqu'à présent dans l'Etat du Mississippi.
Ignorant le vrombissement, au-dessus d'eux, des pales de l'hélicoptère présidentiel, les laissés-pour-compte de la Nouvelle-Orléans ont volontiers décrit les meurtres, les viols, la faim et les menaces de mort qu'ils ont affrontés dans leur abri improvisé après avoir échappé au dévastateur ouragan Katrina.
Brisant l'isolement auquel ils avaient été réduits depuis le passage lundi de l'ouragan, des Gardes nationaux ont distribué des rations militaires et de l'eau à des milliers de personnes évacuées de leurs habitations inondées.
Dans le centre de conférences où certains dorment depuis lundi flottait une odeur de mort, tandis que l'on jouait des coudes, à l'extérieur, pour la distribution des rations, sous la surveillance de soldats de l'armée de terre munis de mitrailleuses. Leroy Fouchea, 42 ans, a attendu une heure sous une chaleur écrasante pour recevoir sa ration - son premier vrai repas depuis lundi - qu'il a immédiatement donnée à un ami malade.
Il a ensuite proposé aux journalistes de leur montrer les corps d'un jeune homme en fauteuil roulant - qu'il dit avoir ramené à l'intérieur quelques heures auparavant - et ceux de deux bébés de quatre et six mois. "Ils sont morts ici-même, en Amérique, en attendant qu'on les nourrisse", s'emporte Fouchea en se dirigeant vers le Hall D, où ont été stockés les corps pour qu'ils ne pourrissent pas au soleil."Si vous voulez voir des cadavres, allez en Irak"
Selon lui, on a laissé les gens mourir sur place sans leur donner de nourriture parce qu'ils sont pauvres et les premiers efforts d'évacuation ont concerné le quartier français de la Nouvelle-Orléans "parce que c'est là qu'il y a de l'argent".
Un Garde national interdit l'accès au Hall D.
"Pas besoin de voir ça. C'est une morgue improvisée", explique-t-il à un photographe de Reuters. "Nous ne laissons plus entrer personne ici.
Si vous voulez prendre des photos de cadavres, allez en Irak." La nourriture a donc fini par arriver dans le centre de conférences - le jour de la visite du président Bush dans la ville sinistrée - mais ce n'est pas de joie qu'une dame âgée et son mari se sont évanouis vendredi, c'est sous l'effet de la chaleur. "J'ai dû parcourir deux pâtés de maison pour arriver ici, or je souffre d'arthrite", explique Selma Valenti, 80 ans. Un policier en tenue anti-émeutes est occupé à réanimer son époux, allongé à côté d'elle. Le couple n'a rien mangé depuis mercredi.
Valenti et son mari, qui font partie des quelques rares blancs présents dans ce camp de réfugiés presque exclusivement noir, affirment avoir été, à l'instar d'autres Blancs, menacés de meurtre jeudi. "Ils nous haïssaient. Quatre jeunes hommes noirs nous ont dit que des cars viendraient, la nuit dernière, pour chercher les personnes âgées, alors ils voulaient nous tuer", raconte-t-elle en pleurant.
"Ils complotaient pour nous tuer et puis on a fini par renvoyer les cars parce que s'ils venaient nous serions tous tués - c'est en tout cas ce que nous ont dit ce matin les gens qui gèrent tout ça." D'autres rescapés livrent des récits terrifiants d'agressions sexuelles et de meurtre.
Assise en compagnie de sa fille et d'autres membres de sa famille, Trolkyn Joseph, 37 ans, affirme que des hommes ont rôdé la nuit dans les recoins du centre de conférences pour violer et tuer des enfants.
Des récits de violences difficiles à vérifier
Elle dit avoir trouvé le corps d'une adolescente de 14 ans à cinq heures du matin, vendredi, quatre heures après que ses parents l'eurent perdue de vue dans le centre de conférences.
"Elle a été violée pendant quatre heures, jusqu'à ce que mort s'ensuive", sanglote Joseph.
"Un autre enfant, un garçon de sept ans, a été retrouvé mort dans le congélateur de la cuisine la nuit dernière. Il avait été violé." Plusieurs autres personnes interrogées par Reuters ont fait des récits similaires sur le viol et le meurtre d'enfants, mais ils n'ont pas pu être vérifiés auprès d'une source indépendante.
Beaucoup se plaignent amèrement du peu d'aide qu'ils ont reçue depuis lundi, et ne mâchent pas leurs mots concernant le président Bush. "Je ne sais vraiment pas quoi dire au sujet du président Bush", déclare, hésitant, Richard Dunbar, 60 ans, un vétéran de la guerre du Vietnam. "Il n'a pas été lent du tout quand il s'est agi d'aller en Irak, mais pour son propre peuple, ici en Louisiane, il ne fait que parler."
Un jeune homme avoue son appréhension à l'idée de passer une nouvelle nuit dans le centre de conférences, et se demande quand la situation s'améliorera. "C'est comme une prison ici", dit-il.
"Il y a des meurtriers, des violeurs, des tueurs, des voleurs.
Tout ce que vous voulez."
L'Amérique sinistrée
Les réfugiés désespérés réclamant de la nourriture larguée par hélicoptère, les soldats armés patrouillant dans les rues et les corps flottant dans les rues sont généralement associés aux pays les plus pauvres de la planète. Ces derniers jours, ces images proviennent d'un pays doté de l'économie la plus puissante du monde. La souffrance, relayée par les médias, des rescapés de l'ouragan Katrina a ému les plus endurcis des experts en développement de la Banque mondiale, un organisme pourtant habitué à la pauvreté extrême et aux catastrophes.
"Par beaucoup d'aspects, ici c'est devenu un pays en développement", estime Margaret Arnold, experte en catastrophes naturelles à la Banque mondiale, et qui à ce titre est intervenue lors du tsunami asiatique de décembre.
"Je suis choquée que cela se produise aux Etats-Unis." Selon elle, les Américains doivent bien réfléchir au déroulement des événements ces derniers jours.
"Quand la situation se sera apaisée, beaucoup de villes américaines devront faire leur autocritique", dit-elle. Pour Arnold, dont la soeur a perdu sa maison dans l'ouragan, il est évident que la ville n'était pas prête à faire face à un tel phénomène climatique, même si des experts l'annonçaient depuis longtemps.