L'humain au centre de l'action future

Le scénario d'un film, la rédaction des images

31 Décembre 2005 À 15:04

Un bon scénario demeure encore et toujours la condition nécessaire mais non suffisante d'un bon film, les rares films qui se sont passés d'une rédaction préalable ont relevé plutôt d'un tour de force que de cas d'école ; on discutera longtemps du mérite de certains réalisateurs qui se suffisent de leur imaginaire pour pouvoir concevoir simultanénement une vision d'ensemble même dans une démarche fragmentée de plans indépendants les uns des autres ; c'est le cas du Russe Nikita Mikhailkoff qui tout en tournant "Ablomov", récupérait de la pellicule et construisit à l'insu de tous un deuxième film "Les 5 soirées de Valodine".

La question du scénario revêt toute son importance dans la pratique quand il s'agit de prendre une décision de production ou de subvention ; le projet filmique étant d'abord un scénario avec lequel le réalisateur démarche son budget et ses ressources, il y a là une assurance minimale de sérieux.

Très souvent, c'est le scénario qui constitue la pièce maîtresse de tout projet filmique, bien que, quelquefois, les producteurs ne se fient qu'aux antécédents du metteur en scène et se hasardent rarement à soutenir les nouveaux talents ; une raison de plus de prendre option pour la vraie création et de doubler d'efforts pour convaincre.

Au Maroc, le Fonds de soutien à la production cinématographique, institué auprès du Centre cinématographique marocain à partir du 1er janvier 1980, a joué un rôle important dans la dynamique de la production filmique au Maroc. Chaque année, le Centre octroie aux cinéastes, sur présentation de dossier technique et sur étude du scénario par une commission spéciale, le principal du budget nécessaire.

Mais juger (ou préjuger) sur cette base incertaine et décider l'octroi des subventions ne garantissent rien ; comme il est de coutume d'amputer les échecs filmiques aux faiblesses du scénario originel, on entérine cette idée de la prééminence du scénario.

Mais alors qu'est ce-qu'un scénario ? C'est un terme italien qui signifie le canevas d'une pièce, d'un roman et c'est devenu, par la suite, synonyme de déroulement programmé ou prévu d'une action ; au cinéma, c'est la rédaction détaillée des diverses scènes dont le film est composé.

Depuis un argument, on peut avoir théoriquement une infinité de représentations imagées, c'est ce qui fait l'intérêt d'un travail scénaristique ; entre le roman initial et ses adaptations au cinéma s'interposent d'abord plusieurs scénarios (ou scénarii): «Anna Karénine» a été reprise dans 13 films, «Hamlet» donna lieu à 49 films dont 9 parodies, «La Dame aux camélias» est le sujet de 36 films
Le scénario, se rapportant au découpage filmique en scènes, donne également toute indication minimale sur les lieux, le temps et les personnages en action. A partir d'une idée, le scénariste écrit les images (ou la succession d'images) ; il aide donc le réalisateur à construire lui-même son film et à réfléchir correctement à son déroulement ; il aide le producteur à évaluer progressivement le coût et la logistique ; il permet aux décideurs d'évaluer les montants de leur contribution et l'intérêt qu'ils peuvent porter à la thématique choisie par l'auteur.

Une idée simple peut déclencher un scénario, à condition que le scénariste aboutisse à une rédaction originale ; il lui faudra des journées de travail et une méthodologie de classement et d'analyse à partir de la structure générale; cette structure embrasse les mêmes principes unificateurs que ceux adoptés par les grandes œuvres artistiques (exposition, développement et dénouement) ; une thématique et des personnages (répartis par fonction sur le cours des événements).

Au départ, il y a l'idée, puis le synopsis et le synopsis détaillé, le traitement, le séquencier et la continuité dialoguée, ce dernier terme est la transposition française du terme anglais «script» ou italien «scenario», elle présente sous une forme quelque peu codifiée, l'enchaînement des événements du récit, scène après scène, plan après plan, réplique après réplique.

Pour les novices dans ce domaine, certains professeurs du cinéma ont confectionné des recettes générales sous forme de commandements ; alors plutôt que de vous lancer «à l'aveuglette» dans l'écriture du film - ce que fait naturellement l'auteur solitaire et inexpérimenté -, il est bon de savoir avant toute chose que l'écriture est un processus de fabrication qui, en bien des points, peut s'apparenter aux processus de fabrication qu'on rencontre dans nombre d'autres domaines même éloignés, que ce soit l'architecture, l'automobile, ou encore la science informatique.

Le principe du général au particulier

Ces processus de fabrication, au-delà du temps précieux qu'ils font gagner, visent à parvenir sans insatisfaction à bout et au bout de l'objet rêvé. Et ce n'est point une mince affaire lorsque l'on connaît les efforts et le courage qu'il faut déployer pour venir à bout d'un film ou, dans un premier temps, d'un scénario. La belle détermination du départ, alimentée par le rêve d'exercer un métier passionnant, sera aussi mise à mal par les obstacles nombreux et divers qui se dresseront sur la route du jeune auteur.

L'erreur la plus fréquente, en la matière, est de commencer sans préalable par la rédaction du scénario. Cette approche reviendrait à voir un concepteur de voiture assembler des morceaux de tôles, des vis et des boulons, sans connaître la forme, la puissance ou le style du véhicule dont il rêve. Il sera contraint de démonter, une à une, toutes les pièces patiemment et péniblement assemblées, pour régler un petit problème auquel il n'avait pas songé en commençant...
Les processus d'écriture d'un film sont divers et variés.

Il en existe «au moins» autant que d'auteurs, «au moins» car un même auteur, suivant son sujet, peut avoir recours à des processus d'élaboration très différents. D'autre part, au cours de sa vie de créateur, l'auteur affine, améliore sa façon d'élaborer une histoire et il arrive même qu'il la change un beau jour radicalement.

Le seul grand principe général qu'il convienne de suivre avec une certaine rigueur, quelle que soit la méthode adoptée, est le principe «Du général au particulier».
Il ne sert à rien de vouloir écrire un dialogue sans savoir ce qu'il doit raconter... Il ne sert à rien de définir précisément un plan si on ne sait pas ce que la scène doit comporter comme action... Il ne sert à rien de faire entrer deux personnages dans un lieu sans connaître ces deux personnages...

Il ne sert à rien de réfléchir à un détail vestimentaire sans connaître au préalable le caractère général du personnage qui doit le porter, etc.
L'Américain Robert Mackee est de ceux qui ont bâti tout un cours de scénario sur des questions de base (14 questions clés); nous en choisissons les principales :
- Quel événement enclenche mon récit de telle sorte que la crise et le climat en découlent nécessairement ?
- Quels sont les obstacles du personnage ? Quelles sont les sources d'antagonismes ? De quels niveaux de réalité émanent-elles ? Efforcez-vous de créer des récits tri-dimensionnels dans lesquels le conflit vient de trois niveaux de réalité.

Est-ce que les obstacles sont équivalents ou plus forts que le protagoniste ? Le protagoniste ne peut pas être opposé à des forces qu'il peut maîtriser ou dominer facilement. Est-ce que ces forces le mettent réellement à l'épreuve en tant qu'être humain ?
Est-ce que ces forces gagnent une telle ampleur et s'accumulent au point de tester les ultimes qualités humaines de cet individu? Lorsque le dénouement approche, devenons-nous de plus en plus pris par l'histoire ? On ne reste pas le même, on ne perd pas intérêt, mais on s'investit de plus en plus dans le récit.

Parvient-on à s'identifier avec le protagoniste, et à l'aimer ?
Chaque film est à propos d'une idée. Comment chaque scène du film exprime un aspect de cette idée, positivement ou négativement ?
Il ressort de ces questions une ligne de conduite que tout écrivain scénariste peut fructifier selon son patrimoine d'images et son sens des caractères ; il y a en particulier un certain nombre d'écueils à éviter.

Le premier reproche qu'on fait généralement aux films arabes est cette redondance qui produit un nombre incalculable de scènes et de personnages inutiles, avec à la clé des dialogues longs et ennuyeux.

Certains de nos cinéastes croient ferme qu'ils peuvent impunément écrire un scénario en français alors que le film est fait en langue arabe dialectale.
Il est vrai que la langue du cinéma est faite d'images, mais on oublie que la langue n'est pas un simple support et qu'elle comporte une part appréciable de sa culture ; quand on réfléchit en français, on transpose mal les idées censées être inscrites dans un environnement filmique marocain. Beaucoup de cinéastes arabes ont aussi fait un large usage d'adaptation (lire aussi de plagiat) dans un répertoire de films américains, ils vont jusqu'à copier des scènes entières plan par plan.

Il y a aussi le cas des réussites, comme celle de la collaboration entre cinéastes et romanciers, les deux parties gagnent à travailler ensemble et à féconder leurs domaines respectifs ; le cas le plus évident est celui du nouveau roman d'Alain Robbe Grillet qu'on a comparé au découpage filmique par excellence.

Il y a aussi cette coopération entre Najib Mahfoud et Salah Aboussif. Des exemples à méditer.

* Musicologue
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