Le vêtement, un langage des signes : Dis-moi comment tu t'habilles, je te dirai qui tu es…
Deux psychiatres analysent à travers les vêtements le rapport aux autres : parents, frères ou sœurs, amis, conjoints... Un livre bref, mais précis et passionnant, à lire sans faute à une époque où prolifèrent boutiques et magazines de mode.
Celle-ci, lorsqu'elle enfile ses bottes de python rouge, se voit femme fatale, reine de la ville, défilant fièrement devant des centaines "d'Adam émerveillés”. Celle-là se souvient des éternelles disputes avec sa sœur, à qui elle volait régulièrement robes et maquillage. Une autre garde le souvenir des armoires parfumées, pleines de cachemires et de soieries, de sa mère, dont le précaire équilibre mental ne tenait que grâce aux coûteux vêtements que lui offrait son mari.
Dans les années 1970, Barthes avait fait scandale en passant à la loupe structuraliste un sujet aussi futile que les vêtements : Système de la mode entendait décaper jusqu'à l'os les magazines féminins -conseils, photos, diktats- pour en décoder le sous-texte, ce "système des signes” qui sous-tend secrètement nos comportements, sans que, pour la plupart, nous en soyons conscients.
Catherine Jouvert et Sarah Stern ont infléchi les analyses barthésiennes vers un nouveau champ : toutes deux psychiatres, elles s'attachent ici à analyser en quoi chacun de nos comportements vestimentaires – une couleur, un vêtement fétiches, des compulsions d'achat – plus connues sous le nom de "fièvre acheteuse”) démasquent notre rapport à l'Autre.
Ainsi de la femme-python : pour les auteurs, les petites bottines écarlates, de même que la panoplie qui va avec (vêtements collants, très proches du corps), participent clairement de la volonté de maîtrise : "Le personnage de l'histoire se reconnaît dans la silhouette mince et serpentine dessiné par les vêtements collants. Elle se construit une image qui rejoint probablement un idéal largement véhiculé par la publicité et les médias : minceur et jeunesse. Cela fait naître chez elle un sentiment d'exaltation narcissique” qui se rapproche de "l'anorexie mentale”. Pour partie, le processus relève de la pensée magique.
En va-t-il de même lorsqu'une petite fille emprunte à sa mère ou à une grande sœur admirée bijoux et vêtements ? Oui, par " cela dépasse la simple imitation. Il s'agit véritablement d'incorporer quelque chose de l'autre, de façon presque magique, par le truchement des vêtements ”. Difficile dans ces conditions de s'étonner que de tels " emprunts ” se terminent souvent dans les cris et les larmes.
Phénomène inverse, dans un troisième exemple décrit par les deux psychiatres et sobrement intitulé la féminité en héritage : " On disait de ma mère qu'elle était une très belle femme. On le répétait à l'envi. J'avais quinze ans et je lui ressemblais». On me le serinait comme un compliment : " Un jour, tu seras belle comme ta mère ”.
Ici, la beauté de la mère, sa féminité travaillée cil à cil n'est plus pour l'adolescente objet d'admiration ni même d'envie, mais d'effroi et de rejet. Quel recours devant cette mère fellinienne, hyperboliquement féminine, consciente jusqu'au bout des ongles de son pouvoir de séduction ? Devenir une "ombre grise : deux jambes maigres sur lesquelles tombait un large pull marine, surmonté d'un visage chafouin ”.
Nul doute : enfiler toujours la même robe jusqu'à ce qu'elle tombe en loques, se vêtir toujours de noir, porter les vêtements de ceux qui nous ont quittés, courir compulsivement les soldes sont autant de comportements qui peuvent passer pour futiles, mais qui traduisent au même titre que d'autres – et probablement mieux – notre histoire personnelle, notre rapport aux autres et avant tout à la mère, elle-même engagée dans une tradition personnelle et familiale.
Et ces quelques exemples, du garçon manqué au pull fétiche, dessinent, tout aussi bien, une carte de notre imaginaire, rêves, passions, envies et frustrations.
Déshabillez-moi, Catherine Joubert et Sarah Stern, Hachette Littérature, 167 pages.