Les cinq vies de Lahcen Zinoun
LE MATIN
30 Décembre 2005
À 15:26
Chorégraphe, danseur, cinéaste, peintre, directeur artistique du Festival des arts populaires, Lahcen Zinoun est infatigable. A travers toutes les facettes de sa personnalité, Lahcen Zinoun poursuit le même rêve : donner la pleine mesure à la créativité et aux arts en leur offrant une meilleure visibilité. «Faux pas», le dernier court métrage que Lahcen Zinoun a réalisé a été récompensé par le prix de la presse décerné par l'association des critiques de cinéma, lors du dernier Festival du film de Tanger.
«La danse est ma vie. Enfant, je devais choisir entre la maison ou danser, j'ai opté pour la danse», explique Lahcen Zinoun. Cette petite phrase résume les combats et les luttes que le chorégraphe a dû mener, toute sa vie, pour imposer sa passion, la faire partager aux autres. C'était aussi, comme il la désigne, sa première gifle. Sa deuxième blessure remonte à 1964 lorsque, fraîchement diplômé et dûment félicité par le gouverneur de Casablanca, il sollicite une bourse et des conseils pour poursuivre sa formation académique à l'étranger. «Je fus chassé comme un gueux…» se rappelle-t-il avec amertume.
L'artiste était pourtant décidé. Il part en Europe pour réaliser son rêve: devenir danseur professionnel. «J'ai réalisé alors que j'avais raison de suivre mon rêve puisqu'en Europe, j'ai dansé dans les plus grandes compagnies, j'ai trouvé un emploi, j'ai voyagé». Il devient danseur étoile et se produit dans la cour des grands. Une carrière merveilleuse s'ouvre devant lui. Lahcen Zinoun décide pourtant de rentrer au pays, de transmettre son savoir et sa passion à des jeunes qui seraient en butte aux mêmes difficultés et aux mêmes tracasseries. En 1973, il revient au Maroc.
Au bout de trois ans, il rebrousse pourtant le chemin. «C'était les mauvaises années, dit-il simplement. Cela n'a pas marché». Il retourne pourtant au Maroc en 1979 et fonde alors, avec Michèle, son épouse, une école dédiée à la danse pour former les jeunes ainsi que ses deux fils qui ont manifesté un penchant prononcé pour cette discipline quand ils étaient tout petits. «J'ai deux enfants qui vivent en exil, actuellement, pour pouvoir s'exprimer.
L'un est aux Etats-Unis et le deuxième est danseur dans le ballet du Nord depuis quelques années déjà et je souffre de cet exil qui leur est imposé car il n'existe nullement dans notre pays d'infrastructures ou de compagnies qui leur permettent d'exercer ou de vivre de cet art», relève le chorégraphe qui regrette que «le corps pose problème dans notre société. Il est tabou. Ce n'est pas la danse, elle n'a jamais été interdite…». Lahcen Zinoun se rappelle toutes ces fêtes auxquelles il assistait lorsqu'il était enfant dans son quartier natal à Hay Mohammadi.
« La fête se déroulait dans la rue. Les gens dansaient et chantaient dans la rue. Le folklore marocain, sous toutes ses facettes, s'offrait à mon regard. Et comme tout le monde, je dansais. J'ai remarqué alors que jamais on ne dansait la même chose. Il y avait un dialogue du corps que j'ignorais complètement et dont je n'arrivais pas à déchiffrer le sens.
C'est seulement en intégrant le conservatoire que j'ai découvert la danse académique et j'ai compris que le corps avait son expression. Je me suis alors épanoui». Il signe alors «Islit, Tislit», «Adonis» et bien d'autres chorégraphies qui révèlent le talent d'un danseur qui cherche à briser tous les tabous et à permettre au corps de s'exprimer. Mais le manque d'aide ou de soutien est un handicap majeur qui freine la créativité de l'artiste.
Ses différentes recherches l'incitent à se pencher sur le patrimoine et le folklore marocain. Il met sur les rails une troupe des arts traditionnels. «Je me suis dit alors que j'étais sur la bonne voie, car ce spectacle a remis en question tout le monde. Je pensais que la réussite allait commencer car il était temps que le corps s'exprime au Maroc et trouve sa place», se souvient Lahcen Zinoun. Cet espoir ne se concrétisera pas. «A travers moi, on a brisé un élan porteur d'espoir. C'est une blessure qui saigne toujours». L'émotion étreint le chorégraphe lorsqu'il repense à ce rêve inachevé, assassiné.
C'est à cette époque-là qu'il se tourne vers la peinture pour reprendre goût à la vie. Ses toiles, aux couleurs subtiles et au réalisme criant, l'aident à surmonter cette crise. Le cinéma l'aidera à compléter cette thérapie et à exorciser ses vieux démons. «J'ai toujours aimé faire du cinéma. D'ailleurs, j'ai une conception chorégraphique assez cinématographique sur scène. J'ai aussi beaucoup intégré l'image dans mes spectacles. En plus, je me suis dit que c'est la meilleure façon de rendre service à la danse.
J'estime que seul un chorégraphe saura restituer toute sa beauté à un corps en mouvement». Cet autodidacte exerce, avoue-t-il, ce métier avec amour. Ses trois courts métrages témoignent de la facilité avec laquelle Lahcen Zinoun parvient à interroger toutes les formes de l'art et à y exceller.
La danse contemporaine passionne tout autant le chorégraphe qui a lancé, il y a quelques années déjà, un festival dédié à cet art.
Contre vents et marées, Zinoun maintient cette manifestation, invite des artistes de renommée internationale au Maroc pour que la danse contemporaine puisse exister, vivre et se développer. «Je pense que le festival est un acquis précieux pour l'image moderne des arts au Maroc et il est nécessaire de le préserver», dit-il simplement.
L'autre satisfaction dans la vie de Lahcen Zinoun est d'avoir pu mettre la main à la pâte au festival des arts populaires de Marrakech. Là aussi, l'artiste déploie cette même énergie pour que le patrimoine folklorique puisse s'épanouir, tout en gardant «son originalité, son authenticité et la pureté des chants, des danses». Dans ce sens, Zinoun caresse un éternel rêve, celui de la création d'un Institut des arts populaires qui aura pour objectifs de «répertorier le patrimoine marocain, notamment la danse et de le faire évoluer». Marrakech pourrait alors très bien devenir le cadre approprié pour cette manifestation. A soixante ans passés, Lahcen Zinoun a gardé son âme d'enfant.
Il continue à transmettre son art et sa passion aux petits et jeunes qui fréquentent son école. «Un pays doit exaucer le rêve de ses enfants», conclut celui qui a vécu, jusqu'au bout, sa passion pour la danse.