Les lumières de Hamid Anouar
L'exposition des peintures de Anouar Hamid, la première dans sa vie de peintre, est placée sous le signe de Lumière. Une trentaine de travaux, H. Anouar préfère les considérer comme des études picturales.
Il s'agit de paysages bleus «abstraits» à travers lesquels H. Anouar cherche à explorer cette substance complexe, ce thème grave et mystérieux qu'est la lumière. Cette exploration ne donne lieu ni à une approche spirituelle, ni à une spéculation possible sur des catégories esthétiques telles que le féerique, le fantasmagorique ou le merveilleux, mais se présente comme une démarche interrogative portant sur l'expérience du visible et de l'invisible.
Suppositions : mettez le noir à la place du bleu et vous aurez des Rabiaâ et des Soulages, remplacez le bleu par le gris et vous aurez des Bellamine miniaturisés, changez le support, traitez la couleur autrement et vous aurez des Kacimi, ajoutez d'autres matières, vous aurez des Bourkia et des Ghrib…
Affinités électives ? Filiations ? Arbre généalogique ? Imitations ? S'engager dans la voie de la recherche d'une probable filiation pour les travaux de H. Anouar, et donc d'une quelconque légitimation réelle ou supposée, est ici inutile et comporte des risques incalculables.
Car il s'agit d'une expérience intérieure. Voilà un peintre, qui, dans l'endurance et le doute, dans un geste très discret, à l'heure des illuminations meurtrières, à l'heure où les illuminés vivant parmi nous et avec nous produisent l'horreur et la terreur, au nom de leur lumière absolue à eux, choisit de nous livrer son expérience du voir comme événement individuel.
Acte de résistance ? Arrachement à soi ? Délivrance ? A regarder de plus près les réalisations picturales de H. Anouar, que voit-on ? Une forme-matrice que H. Aouar reprend d'une étude à une autre à l'aide de larges touches superposées. Dans cet agencement apparemment chaotique, H. Anouar laisse par endroit le papier blanc vierge.
Ce sont ces endroits noyés généralement dans le bleu qui se détachent et laissent échapper juste «une lumière» qui attire l'œil. Voilà ce qui advient : un ensemble de paysages à caractère abstrait. Rappelons que H. Anouar tire maints bénéfices de la qualité du papier utilisé ici, à savoir le papier en petit format destiné au tirage des photos, mais périmé.
Cette série de réalisations picturales fondées sur le principe de la sobriété est à considérer comme une variation sur le même motif, de telle sorte qu'elles fonctionnent comme de petits écrans où s'agite une lumière qui voudrait jaillir d'un arrière-pays dérobé à l'œil.
Les Allemands ont un mot superbe pour désigner le lieu où le soleil se lève, l'Orient : Morgenland, la «terre du matin». Pour désigner l'Occident, Abendland, la «terre du soir». Depuis son enfance, H. Anouar séjourne dans l'Abendland. Dans son éternel Abendland, dans sa terre du soir, auprès de la mer, il n'a jamais vu que la lumière crépusculaire que le bleu infini dévore.
Qu'est-ce qu'un homme dont l'œil est habitué à la lumière du Crépuscule ? Mais le Crépuscule (crepusculum), en français, se dit de la lumière qui reste après le coucher du soleil, mais il se dit aussi pour la lumière qui précède le lever du soleil. H. Anouar peut être considéré comme le peintre du Crépuscule, de l'entre-deux, d'une lumière qu'il n'a jamais vue naître et d'une lumière qui s'éteint chaque jour devant ses yeux.
Est-ce par ce détail (anecdotique) tiré de la vie du peintre qu'on peut justifier sa pratique de la peinture ? Peut importe. Peindre n'est pas opérer la mise en scène fantasmatique de l'intimité perdue-retrouvée. Ces toiles peintes n'imitent pas des paysages mais donnent à voir à H. Anouar le paysage de la lumière crépusculaire. C'est ce qu'on trouve encore dans une série de petites toiles en couleurs brunâtres appelées terre d'ombre que H. Anouar vient de réaliser à l'aide du brou de noix.
Le potentiel plastique de ces études picturales en format réduit se transformera en une création concrète le jour où H. Anouar optera pour les supports variés de grand format, et approfondira et enrichira ses formes-matrices. Ce jour ne tardera pas à venir.
Kamal Toumi (critique)