Les sœurs fâchées, film français de Alexandra Leclère : Duo dissonant… au niveau du casting

Catherine Frot contre Isabelle Huppert : pour Les Soeurs fâchées, son premier long métrage, Alexandra Leclère confronte deux contraires du cinéma français. Mais le scénario et la mise en scène sont si prévisibles qu'ils brident le talent de ces comédiennes sans parvenir à les accorder.


Alexandra Leclère croisait Isabelle Huppert tous les jours sur le chemin de l'école : leurs enfants étaient scolarisés dans le même établissement. Réalisatrice débutante, elle a écrit le scénario des Sœurs fâchées spécialement pour cette comédienne et Catherine Frot. Le défi, c'était de faire accepter aux deux vedettes un projet venue d'une inconnue qui s'attelait à son premier long métrage après un film court, Bouche à bouche, également sur l'histoire de deux soeurs. Dans le cinéma français, Isabelle Huppert donne souvent l'image d'une femme distinguée mais tragiquement raide ou perverse (Pas de scandale, La comédie de l'innocence, Huit femmes), en dépit de rôles assez fiévreux (Madame Bovary, La vie promise, Ma mère). Catherine Frot, c'est tout le contraire. Rattachée à l'univers de la comédie, elle incarne plutôt des personnages de femmes douces marquées au fer par le stéréotype de la petite bourgeoise nunuche, prisonnière des codes et des convenances. Si Isabelle Huppert évoque Maurice Pialat (Loulou), Claude Chabrol (Une affaire de femmes, Merci pour le Chocolat), ou Michael Haneke (La Pianiste, Le Temps du loup), la deuxième renvoie vers Cédric Klapisch (Un air de famille), Francis Veber (Le Dîner de cons), Pascal Thomas (La Dilettante), Merzak Allouache (Chouchou), ou Didier Bourdon (7 ans de mariage). Rien à voir donc, dans les styles comme dans les registres : pour son premier film, Alexandra Leclère a choisit exprès un duo détonnant. Mais, échouant à tirer parti du talent de ses comédiennes, elle s'embourbe dans une mise en scène des plus prévisibles que les dialogues ne viennent pas rehausser. Si Catherine Frot s'en tire avec ses ressources habituelles, Isabelle Huppert, en pleine outrance, réussit même à jouer faux.

Crises de nerf

L'histoire était peut-être trop " sur mesure ” : Louise (Catherine Frot), esthéticienne au Mans, débarque chez son aînée, Martine (Isabelle Huppert), bourgeoise parisienne qui n'a jamais travaillé de sa vie. La première est euphorique : le manuscrit qu'elle a écrit la nuit, en marge de son travail, lui vaut un rendez-vous chez Grasset, un des grands éditeurs de Saint-Germain-des-Prés. Elle en profite pour passer le week-end avec sa sœur qu'elle n'a pas vue depuis trois ans, aller chez le coiffeur, manger des crêpes sur le trottoir et se rendre à l'Opéra. La seconde est sur les nerfs : elle ne sait rien faire de ses dix doigts, passe son temps dans des instituts de beauté, admoneste son employée de maison, néglige son petit garçon et ne supporte plus son mari. Rien ne l'intéresse, tout la dégoûte, à commencer par elle.

Aucune métamorphose en vue : Alexandra Leclère utilise cette rencontre pour dresser un portrait de deux femmes en miroir. La provinciale contre la parisienne, la douce contre la méchante, la naïve contre la lucide, la gourde ma attifée contre la beauté classe etc… Mais en dépit de quelques efforts de contrastes (Louise est mois idiote qu'il n'y paraît, Martine est plus malheureuse que cruelle), le film s'en tient à des généralités sans grandes conséquences pour le problème de fond : que veut dire " réussir sa vie ” ? Le duel Isabelle Huppert - Catherine Frot ne fonctionne pas bien.

Dissonantes, elles ont rarement l'air de figurer sur la même pellicule. Hormis sur quelques plans comme celui (ironique ?) où elles chantent " Nous sommes des sœurs jumelles ” en chemise de nuit devant le téléviseur qui diffuse Les Demoiselles de Rochefort. Quant aux personnages secondaires : le mari (François Berléand), la copine (Brigitte Catilllon) ou le petit garçon, ils restent parfaitement sous-employés. Ce qui sauve Les Sœurs fâchées, c'est sa mauvaise humeur, son malaise latent et son souci d'éviter tout discours moral. Mais dérision ou drame, Alexandra Leclère n'a pas su choisir. La dernière scène, une des plus justes, parvient pourtant à ce concentré de noirceur et de tendresse que l'ensemble du film attendait.

Les sœurs fâchées, film français de Alexandra Leclère. Avec Catherine Frot, Isabelle Huppert, François Berléand, Brigitte Catilllon. Sorti au Maroc le 16 mars 2005, et en France le 22 décembre 2004. Durée : 1h33.