Mettre en œuvre les engagements pris à Copenhague en 1995
AFP
12 Février 2005
À 16:17
Des spécialistes internationaux des affaires sociales se livrent depuis mercredi et pour 10 jours, au siège de l'Onu à New York, à une évaluation de la situation de la planète sur le plan social qui s'annonce morose, sur fond de recul social quasi-général.
Selon les organisateurs de ces journées, il s'agit essentiellement de faire le point de la mise en oeuvre des engagements pris par les dirigeants mondiaux à Copenhague en 1995, lors du premier Sommet sur le développement social organisé sous les auspices de l'Onu, et de proposer éventuellement des lignes d'action pour de meilleurs résultats.
A Copenhague, les gouvernements avaient décidé que "l'élimination de la pauvreté, la promotion du plein-emploi et l'intégration sociale étaient les trois objectifs à réaliser d'urgence en vue d'édifier des sociétés sûres, stables et équitables". Ces trois objectifs étaient les éléments essentiels d'un programme d'action en 10 points qui prévoyait également d'oeuvrer pour l'égalité entre les femmes et les hommes, l'accès universel à l'enseignement et aux soins de santé primaires et l'accélération du développement de l'Afrique.
Dix ans après, "si ces espoirs ne sont pas complètement anéantis, ils sont assurément ébranlés par la marche des choses qui va à l'encontre du développement social", constate amèrement le secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, dans un rapport publié à l'occasion de ces journées.
Selon M. Annan, les objectifs de Copenhague sont menacés "par la misère sociale et économique, les inégalités entre individus, catégories sociales, populations entières, pays, voire continents".
De plus, ajoute-t-il, "les menaces qui pèsent sur les libertés civiles, sous prétexte de garantir la sécurité, ne font que se multiplier".
De fait, selon des statistiques de l'Onu, un nombre record de 186 millions de personnes étaient sans emploi en 2003, soit 6,2% de la population active, contre 140 millions il y a dix ans.
Le niveau des ressources consacrées à l'aide publique au développement a reculé, de 0,33% du PNB des pays donateurs dans les années 1987-91 à 0,29% en 1992-96, à 0,23% en 2001-2002. En même temps, les dépenses militaires mondiales, qui avaient baissé de 1993 à 98, ont recommencé à augmenter et leur montant a probablement atteint 950 milliards de dollars en 2004, près de 20 fois le niveau de l'aide au développement. Sur cette toile de fond, ministres, experts et organisations non gouvernementales (ONG) vont plancher sur les moyens de redonner vie aux idéaux sociaux du Sommet de Copenhague mais sans grande illusion, selon plusieurs sources à l'Onu.
Même si certains des engagements de Copenhague ont été repris dans les Objectifs de développement du Millénaire adoptés en 2000, les anciens acteurs du sommet social sont quelque peu désenchantés.
"La liberté économique suscite des inégalités, c'est normal", a déclaré à l'AFP Jacques Baudot, ancien haut fonctionnaire de l'Onu et secrétaire exécutif du Sommet de Copenhague.
Protocole de Kyoto
Le protocole de Kyoto sur le changement climatique, qui entre en vigueur le 16 février et que les Etats-Unis ont refusé de ratifier, est le plus contraignant de quelque 250 accords mondiaux sur l'environnement.Conclu le 11 décembre 1997 à Kyoto (Japon), il impose des réductions d'émissions de six gaz à effet de serre, CO2 (gaz carbonique ou dioxyde de carbone), CH4 (méthane), protoxyde d'azote (N20) et trois gaz fluorés (HFC, PFC, SF6).
Les réductions varient selon les pays industriels visés: -6% pour le Japon et le Canada, 0% pour la Russie, -8% pour l'UE-à quinze qui s'est répartie le fardeau (-21% Allemagne, -12,5% Royaume Uni, -6,5% Italie, 0% France, +15% Espagne). Elles seront calculées sur la moyenne 2008-2012, qui sera comparée à 1990. Le Sud a seulement des obligations d'inventaire.
Elles doivent conduire à diminuer l'usage des énergies fossiles, charbon, pétrole et gaz, qui représente 80% de ces rejets réchauffant l'atmosphère.
Cet usage augmentant avec la croissance économique, le protocole représente un effort considérable pour certains pays par rapport à la croissance naturelle de leurs rejets. C'est le cas du Canada et du Japon, où les rejets se sont déjà envolés depuis 1990 de 20% et de 8% respectivement.
Les Etats-Unis, qui auraient dû réduire leurs rejets de -7%, escomptent une hausse de 35% en 2012, ce qui explique leur décision en 2001 d'abandonner Kyoto. Ce pays pesant 40% des émissions des pays industriels et 21% des émissions mondiales, la portée de l'accord sera limitée après leur défection, suivie de peu de celle de l'Australie.
La baisse globale d'émissions sera d'environ 2% vers 2012 par rapport au niveau de 1990, contre 5,2% initialement prévu. Elle représente tout de même un effort de diminution de 15% pour les 36 pays industriels restant en lice par rapport à la hausse prévisible de leurs émissions.
Le protocole a déjà été ratifié par 141 pays dont 30 pays industriels. Faisant la part belle aux gros pollueurs dans ses règles de ratification, sa survie a longtemps dépendu de Moscou, après le retrait américain. La ratification russe, effective le 18 novembre dernier, sera officialisée le 16 février par l'ONU, dépositaire du traité.
«Plus que 10 à 20 ans»
La communauté internationale "n'a plus que 10 ou 20 ans pour agir" et prévenir un changement climatique dévastateur, a mis en garde cette semaine un réseau de 340 ONG écologistes, le Réseau action climat (RAC-CAN).
Le RAC inaugurait à Paris une série de manifestations à l'occasion de l'entrée en vigueur, le 16 février, du protocole de Kyoto, un accord international visant une réduction des gaz à effet de serre des pays industriels de 5,2% d'ici 2012.
"Pour limiter la hausse de la température moyenne mondiale à 2 degrés en 2100 et avoir une marge de sécurité, il faut stabiliser la concentration du CO2 à 400 ppm" (parties par million) contre 379 ppm actuellement, a affirmé au nom du RAC Laetitia de Marez.
"Pour y parvenir nous n'avons plus que 10 à 20 ans pour agir", a-t-elle ajouté.
Selon le RAC, les émissions mondiales doivent atteindre leur maximum en 2020 au plus tard, avant de diminuer ensuite de moitié d'ici 2050 si on veut éviter des impacts dévastateurs.
Selon des scientifiques réunis la semaine dernière à Exeter (Angleterre), une hausse de 1 degré des températures aurait un impact destructeur sur les coraux, et à 2 degrés supplémentaires, la fonte possible du Groënland entraînerait une forte élévation du niveau de la mer.
Dans l'immédiat, l'essentiel de l'effort doit venir des pays industriels, estime le RAC: ils doivent adopter de nouveaux objectifs contraignants à l'échéance de Kyoto (2012), en vue d'abaisser leurs émissions de 30% d'ici 2020 et 75% d'ici 2050.
Pour le réseau écologiste, des pays émergents à revenu par tête élevé ou assez élevé comme l'Arabie Saoudite et la Corée du Sud devraient prendre dès 2013 des engagements de réduction.
Les grands pays en développement comme la Chine et l'Inde devraient, avec l'aide financière et technologique du Nord, s'engager dès maintenant dans la production industrielle et énergétique "propre". Ils ne prendraient que progressivement des engagements de maîtrise de leurs émissions.
Washington fait cavalier seul
L'administration Bush n'a pas changé d'attitude sur les incertitudes liées au changement climatique et sur le protocole de Kyoto qu'elle a rejeté dès son arrivée aux affaires en 2001, souligne un responsable américain de passage à Paris.
Le réchauffement climatique des dernières décennies est avéré, déclare Harlan Watson, haut fonctionnaire du département d'Etat responsable du dossier climat, dans une interview accordée à l'AFP le 27 janvier. "Mais nous ne savons pas quelle est la part des causes naturelles et quelle est celle des activités humaines", souligne-t-il.
M. Bush avait rejeté en mars 2001 le protocole de Kyoto, citant son coût et jugeant "injuste" que la Chine et l'Inde, comme tous les pays en développement, soient exonérés des réductions d'émissions de gaz à effet de serre prévues par l'accord. Il avait également relevé par la suite les incertitudes entourant la contribution humaine au réchauffement planétaire.
En février 2002, il avait annoncé un programme national, fondé sur la recherche d'énergies "propres" comme l'hydrogène, et une réduction de 18% en dix ans de "l'intensité (de l'économie) en gaz à effet de serre".
Cet objectif technique ne réduira pas les émissions américaines de CO2 et autres substances réchauffant l'atmosphère qui se sont envolées d'"environ 14%" depuis 1990, concède M. Watson, en citant des estimations pour 2003. Mais il ralentira de "4%" la hausse prévisible qui aurait atteint sinon "30 à 35%" en 2012 (par rapport à 1990).
L'administration "est complètement mobilisée" par la mise en oeuvre du programme national américain. Elle rejette dans l'immédiat toute participation à des négociations internationales visant à renforcer la lutte contre l'effet de serre après 2012, l'échéance de Kyoto.
"Nous n'avons jamais dit que nous n'envisagerions jamais" un accord futur négocié sous l'égide de l'ONU, "nous avons seulement dit que démarrer les négociations dans un an ou deux était prématuré", rappelle-t-il.
Le quota américain (-7%) avait été accepté dans une "sous-estimation des efforts à consentir" pour le respecter, admet aujourd'hui Jonathan Pershing, un des négociateurs de l'administration Clinton.
Entre-temps, l'économie américaine s'est envolée et avec elle les gaz à effet de serre, liés surtout à l'usage de l'énergie.
En privé, les responsables américains taxent les Européens d'"hypocrites". Le quota américain aurait exigé une baisse d'émissions d'un tiers en dix ans alors que le quota européen (-8%) était et sera bien plus facile à respecter sur fond de croissance économique anémique, observent-ils.
Plus prudent, M. Watson souligne seulement qu'"un certain nombre de pays partie auront beaucoup de mal à respecter" Kyoto, dans une allusion au Canada, au Japon mais aussi à des pays européens comme l'Espagne et le Danemark où les émissions dérapent.
Il relève par ailleurs la forte croissance des émissions des pays émergents. "Si on veut accélérer les choses (sur l'après-2012) et impliquer les pays développés, voire même les pays en développement où les émissions augmentent, ce sera probablement inacceptable pour beaucoup de parties" au protocole, avertit-il.
Interrogé sur les Etats américains qui cherchent à réduire les émissions de CO2, M. Watson les qualifie de "grands laboratoires". La législation californienne limitant les émissions de CO2 des véhicules neufs est attaquée par les constructeurs et la bataille judiciaire "ira finalement jusqu'à la Cour suprême".
Réduire les émissions de gaz, un impératif vital
Le réchauffement climatique est avéré mais son ampleur future est difficilement prévisible, compliquant la tâche des politiques qui ont adopté le protocole de Kyoto pour le combattre.
Selon l'IPCC, un groupe de 3.000 experts rassemblés par l'ONU, la température moyenne mondiale a augmenté de 0,6 degré au 20ème siècle. Et ce réchauffement est probablement dû, au moins en partie, aux rejets de gaz à effet de serre résultant des activités humaines contemporaines (voitures, chauffage, industrie, agriculture intensive).
Les conclusions du dernier rapport de l'IPCC (2001) sont soutenues par "l'immense majorité" de la communauté scientifique mondiale, relèvent plusieurs climatologues français.
Les gaz en cause, dont le principal est le CO2 (gaz carbonique ou dioxyde de carbone), s'accumulent dans la basse atmosphère. Comme les vitres d'une serre, ils emmagasinent la chaleur en empêchant les rayons infrarouges, émis par la Terre à partir de l'énergie solaire, de s'échapper vers l'espace.
Ils sont rejetés dans l'atmosphère, principalement par la combustion des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz).
Ayant souvent une longue durée de vie, ils y demeurent longtemps après avoir été émis. Ainsi, si l'on parvient un jour à stabiliser les rejets de CO2, la concentration de ce gaz dans l'atmosphère continuera d'augmenter "pendant 100 à 300 ans", calcule l'IPCC. Et les températures continueront de grimper plus longtemps encore, pendant "quelques siècles".
La concentration atmosphérique du CO2 a été stable pendant 5.000 ans à 280 parties par million (ppm). Elle a augmenté à partir de 1850 avec l'accroissement des émissions lié à l'industrialisation et atteint aujourd'hui 380 ppm.
Cette hausse explique "probablement la majorité du réchauffement" des dernières décennies et a vraisemblablement accru l'intensité des canicules et des inondations? alors qu'aucun lien de cause à effet ne peut être établi pour d'autres phénomènes extrêmes (ouragans, cyclones tropicaux).
Les émissions mondiales de CO2 ont cru de 15% depuis 1990 et pourraient encore progresser de 60% entre aujourd'hui et 2030, selon l'Agence internationale de l'énergie.
Les stabiliser à leur niveau actuel ne suffirait pas, avertit l'IPCC. "In fine, déclare-t-il, il faudra réduire les émissions de CO2 jusqu'à un faible pourcentage" des émissions de 1990.
Manière de dire que le protocole de Kyoto n'est qu'un modeste début. Il ne vise que les rejets des pays industriels (60% du total) et la réduction demandée (5,2% en 2008-2012 par rapport à 1990) n'a aucune chance d'être atteinte depuis la défection des Etats-Unis. Limiter la concentration du CO2 à 550 ppm en 2100, niveau difficile à éviter compte-tenu des tonnages déjà rejetés dans l'atmosphère, exigera "dix fois Kyoto", une baisse d'émissions mondiales de 50% dès 2050-2060 pour le CO2 et cinq autres gaz du protocole.
La hausse moyenne du thermomètre oscillera alors entre 1,4 et 3,5 degrés en 2100 (par rapport à 1990), selon les scénarios.
D'autres simulations de l'IPCC prévoient un réchauffement jusqu'à 5,8 degrés en 2100 avec une concentration du CO2 atteignant 970 ppm.
Depuis 2001, des perspectives encore plus apocalyptiques ont vu le jour. Une étude britannique récente n'exclut pas une envolée de température jusqu'à 11 degrés pour une concentration du CO2 de 550 ppm.
A titre de comparaison, la hausse moyenne de température pour 2003 en France, où la canicule a fait 15.000 morts, a été de 0,17 degré seulement par rapport à 1994, la deuxième année la plus chaude enregistrée dans le pays.