Mokhtar Aït Omar : «Si la cadence actuelle se maintient, on finira par n'avoir plus de salles de cinéma»
Mokhtar Aït Omar, président du ciné-club de Kénitra nous éclaire dans cet entretien sur les véritables causes du désintérêt du public kénitréen pour les salles de cinéma.
LE MATIN
14 Novembre 2005
À 15:22
Le Matin : Le public kénitréen a déserté les salles de cinéma, quelles en sont selon vous les raisons ?
Mokhtar Aït Omar : Le cinéma subit la désaffection du public kénitréen. C'est un phénomène qui n'est pas spécifique à la ville de Kénitra mais qui, comme en témoigne la régression du nombre des salles de cinéma, s'étend à l'ensemble du Maroc. Si nous prenons l'exemple de la ville de Kénitra, il est devenu très difficile d'aller au cinéma surtout le soir où les gens préfèrent rester tranquillement chez eux. Plusieurs d'entre eux sont par ailleurs découragés par le manque de moyens de transport adéquats.
Le cinéma " Fantasio ", située au centre-ville, est la seule salle opérationnelle de la ville. Conséquemment à cela, rien ne laisse imaginer qu'un cinéphile des quartiers de Saknia, de Ouled Oujih ou de Aïn Sebaâ accepte le déplacement surtout la nuit ? En réalité, les raisons aussi multiples que complexes ont fait le bonheur de la télévision et des chaînes satellitaires à la défaveur du cinéma.
Les nouveaux moyens audio-visuels ont- ils leur part de responsabilité eu égard à cette situation ?
Dans le cas du Maroc, on ne peut répondre que par l'affirmative et dire ainsi que leur influence est grande.
Or, dans un autre pays comme l'Angleterre, les recettes des salles obscures n'ont cessé d'augmenter ; et rien que pour l'année 2005, on enregistre une augmentation de l'ordre de 15% alors que les moyens audio-visuels sont, dans ce pays, répandus à une grande échelle. Chez nous, le phénomène s'explique largement par une absence de culture cinématographique appropriée. Il s'explique aussi par le niveau des revenus généralement en deçà des besoins du citoyen qui préfère aller dans un café où éventuellement sont projetés sur de grands écrans des films de toutes sortes au mépris de toute concurrence légitime et légale.
Le propriétaire d'une salle de cinéma paie la taxe de spectacle alors que celui d'un café se permet de projeter des films en dérogeant aux règles juridiques et parfois même éthiques. Dans ce cadre de concurrence déloyale, les salles en pâtissent et voient leurs recettes et le nombre de cinéphiles se réduire en peau de chagrin.
La fermeture des salles de cinéma à Kénitra est-elle liée, à votre avis, à ce phénomène que l'on peut appeler " cafés-cinémas " ?
Bien sûr, le lien existe, mais ce phénomène ne constitue pas pour autant le seul et l'unique facteur. Il va sans dire que d'autres facteurs entrent en jeu ; certains même ont trait à une culture prônée par des mentalités rétrogrades qui tiennent le cinéma pour un lieu profane. Cela est étonnant en 2005 si l'on sait que dans les années soixante et les années soixante-dix les spectateurs se rendaient en familles dans les salles de cinéma pour voir un film ensemble.
Au risque de me répéter, je dirais que ce phénomène de fermeture de salles de cinéma n'est pas spécifique à la ville de Kénitra, mais il concerne l'ensemble du pays. Les chiffres semblent être éloquents à ce sujet.
En effet, le nombre de salles de cinéma au Maroc, qui était de l'ordre de 250, est passé à 100 salles. La tendance semble persister, et si la cadence actuelle se maintient, on finira certainement par n'avoir plus de salles d'ici peu de temps. La situation ne semble pas être ignorée par les responsables du Centre Cinématographique Marocain (CCM). Ils disposent des statistiques à cet effet. Ce qui est paradoxal, c'est que le phénomène de fermeture des salles intervient à un moment où la production cinématographique marocaine connaît un certain essor.
L'handicap est sérieux pour le cinéma national puisqu'un film produit a de faibles chances de parvenir au spectateur marocain. La situation est si délicate qu'elle a besoin d'une réelle volonté pour renverser la tendance.
Quel remède le ciné-club de la ville de Kénitra, dont vous êtes le président, est capable d'apporter à une situation que vous qualifiez de délicate ?
Le rôle du ciné-club, il faut le reconnaître, est assez limité. Après tout, nous faisons en sorte que le spectateur ne perde pas contact avec le cinéma. C'est dans cette optique que nous organisons des projections au profit des élèves et de l'enfant en général. Il est bien regrettable de constater que des jeunes âgés de vingt ans n'ont jamais mis les pieds dans une salle de cinéma. Nous cherchons par conséquent à développer chez le jeune spectateur une culture cinématographique. Nous espérons par-là contribuer à redonner aux salles de cinéma de la ville de Kénitra leur éclat d'antan.
Comment voyez-vous l'avenir des salles de cinéma à la ville de Kénitra ?
Il ne faut pas céder à un optimisme béat : actuellement, seul le cinéma " Fantasio " offre les conditions d'une véritable salle et le cinéma " Palace " est en cours d'aménagement. Nous espérons que l'initiative de rénover cette salle permettra de renouer avec une tradition cinématographique que la ville a perdu depuis fort longtemps.
Je lance un appel aux opérateurs économiques de la ville à investir dans le secteur en créant des complexes cinématographiques à l'instar des complexes Dawliz et Mégarama qui connaissent des affluences importantes en raison de la qualité des services qu'ils offrent aux spectateurs.