Nouvelles révélations sur les violations du passé
La sixième édition des auditions publiques des victimes des graves violations passées des droits de l'homme organisée à Marrakech, a permis la révélation d'événements et de faits nouveaux dans l'histoire des Droits de l'homme au Maroc, ont fait constater
La 6e édition de ces auditions tenue mercredi dans la cité ocre, a confié à la MAP Driss El Yazami, membre de l'Instance équité et réconciliation (IER), s'est caractérisée par " le soulèvement de questions concernant certains groupes de résistants et membres de l'armée de libération, dont le groupe « le Croissant Noir », ainsi que sur les événements de la fin des années 50, en plus des témoignages émouvants de certaines mères de détenus sur leurs souffrances.
Les témoignages entendus lors de cette séance tenue au siège de la Chambre de commerce, d'industrie et des services (CCIS) de Marrakech, a ajouté M. El Yazami, ont permis également d'évoquer le cas des militants de gauche du mouvement " Ittihadi " dans les années 60 et 70 et le rôle essentiel joué à l'époque par les mères des détenus et leurs proches confrontés à la problématique des droits de l'homme.
Il a de même abordé les abus commis dans certains centres de détention secrets comme ceux de Derb Moulay Chérif et du " Corbis ", dont la séance de Marrakech a présenté de nouvelles données y afférant, précisant que certains témoignages ont soulevé des problématiques sur lesquelles l'IER devrait porter sa réflexion. De son côté, l'avocat, Me Abderrafiï Jouahri a déclaré à la MAP, que cette 6ème édition a permis de lever le voile sur les durs moments vécus par cette région du Royaume et s'est caractérisée par la diversité tant pour ce qui est des témoins que pour ce qui concerne la nature des témoignages.
Les révélations de certaines mères de victimes et de syndicalistes ont illustré différentes formes de souffrances subies par diverses catégories de la société marocaine durant les années de plomb, a relevé Me Jouahri, qui a qualifié de " saine et mûre" la ligne de conduite adoptée jusqu'à présent par l'Instance Equité et Réconciliation.
M'barek Bouderka, membre de l'IER, a tenu quant à lui, précisé à la MAP, que cette 6ème édition se place sur les mêmes ondes de longueur des précédentes séances des auditions publiques, précisant que les dix anciennes victimes des violations des droits de l'homme, dont trois femmes, ont insisté sur la nécessité d'appréhender sereinement l'avenir.
Pour les auteurs de ces témoignages, les réformes politiques ne suffisent pas à elles seules, mais méritent d'être accompagnées par de profondes réformes économiques et sociales, une répartition équitable des richesses nationales et une lutte permanente contre tous les phénomènes négatifs pouvant conduire à la reproduction de pareils dépassements et abus en violation des droits de l'homme.
La 6ème édition, rappelle-t-on, a été consacrée notamment aux violations des droits de l'Homme qu'avaient connues les villes de Marrakech, Agadir et Safi en relation avec le mouvement Ittihadi en 1963 et 1973, le grand procès de Marrakech et des Marxistes et ce qui a été appelé "l'organisation du croissant noir" ainsi que les manifestations de 1984.
Ont pu exprimer leurs témoignages, Mmes Widad El Bouab et Zahra Lakhdar, mère de feu Mohamed Grina, et Batoul Tarouat, ainsi qu'Abderrahmane Choujar, Mohamed Atlas Belhaj, Abdeljalil Tlimat, Salah Atik, M'ham kiram et Mohamed Mahri.
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Abdlejalil Toulimate : « Les acquis en matière de liberté
ne peuvent être reniés »
Les acquis réalisés par le Maroc depuis la fin des années 90 en matière de libertés ne peuvent être reniés, puisqu'ils ont mis l'ensemble des acteurs politiques, les militants des droits de l'homme et la société civile devant la responsabilité de préserver ces réalisations, a affirmé l'ancien détenu Abdeljalil Toulimate.
M.Toulimate, qui livrait son témoignage à Marrakech a appelé à oeuvrer pour tourner de façon définitive la page de ces violations, reconstituer la mémoire historique collective et dynamiser le nouveau concept de l'autorité.
Il a plaidé également pour "la réhabilitation de l'action politique et sa moralisation, et le renforcement et l'approfondissement des réformes en cours dans le domaine de l'éducation et de la formation", appelant à "ouvrir les dossiers relatifs à la perversion dans les domaines administratif, économique, électoral et judiciaire, dans la mesure où elle constitue un danger pour le développement, le progrès et la démocratie".
Evoquant les années de sa détention, M. Toulimate a rappelé qu'il a été incarcéré à deux reprises.
La première en 1977 alors qu'il était étudiant en deuxième année de philosophie à la faculté des lettres et des sciences humaines de Rabat.
Il a affirmé être transféré immédiatement après son arrestation au centre de Derb Moulay Chrif où il reste en détention durant 6 mois. Présenté par la suite à la prison civile de Meknès, il a été incarcéré pendant trois ans avant d'être remis en liberté provisoire pour passer en jugement devant le tribunal qui va l'acquitter.
Arrêté de nouveau le 25 janvier 1984 à Abi Jaad où il travaillait en tant qu'enseignant de philosophie, M. Toulimat a indiqué que "cette fois la détention est survenue en raison du choix de l'organisation du 23 mars en tant que stratégie de lutte pour la démocratie et pour une action dans le cadre de la légitimité".
M. Toulimat a ajouté que lors de sa détention il a subi différente forme d'"abus et d'injustice" avant d'être condamné à un an de prison ferme à Khouribga.
Par ailleurs, il a estimé que la réconciliation avec soi-même et avec l'histoire, après une série d'autres réconciliations sur plusieurs niveaux, s'inscrit dans le cadre d'une continuité qui nécessite de hisser le niveau d'entente politique à celui des principes humains et civilisationnels
Widad Bouab : «l'Etat doit écarter les coupables»
Une ancienne détenue politique a demandé à l'Etat d'écarter de leurs postes des responsables de tortures et autres abus commis pendant les années de plomb au Maroc, lors des témoignages publics organisés à Marrakech.
"J'ai demandé à l'Etat de faire en sorte que les tortionnaires n'occupent plus de postes à la tête d'un parti politique ou d'une administration quelconque", a souligné Mme Bouab dans un commentaire à l'AFP.
"Je demande également à l'Etat de présenter des excuses pour le non respect de la loi durant cette période de l'histoire du pays", a-t-elle ajouté.
"Dans n'importe quel pays du monde, des arrestations à caractère politique peuvent survenir, mais ce pour quoi je demande des excuses de l'Etat, c'est la transgression de la loi et des règles juridiques", a-t-elle souligné.
Ancienne militante de gauche, Mme El Bouab a été arrêtée en 1977 à Marrakech alors qu'elle était étudiante. Elle a été transférée au centre de détention secret de Derb Moulay Cherif à Casablanca où elle avait passé six mois, subissant "différentes formes de torture physique et morale".
Libérée après trois ans de prison, Mme Bouab a dû encore faire face à des tracasseries, raconte-t-elle. Ce n'est qu'en 1995 qu'elle pu obtenir un passeport.
Les associations de défense des droits de l'Homme, notamment l'Association marocaine des droits humains (AMDH), qui ont critiqué le fait que les témoins ne doivent pas citer les noms des responsables de leurs souffrances.
Elles ont régulièrement dénoncé le maintien dans des postes importants de personnes soupçonnées de graves abus - une liste de ces derniers avait été publiée par l'AMDH en 2000.
Mohamed Mahri : «La voie vers l'édification démocratique»
Mohamed Mahri a affirmé que "S.M. le Roi Mohammed VI a ouvert la voie devant l'édification démocratique et le peuple doit soutenir le Souverain dans le renforcement de ce processus".
Dans un témoignage livré, mercredi à Marrakech, M. Mahri a rappelé le calvaire qu'il a vécu lors de sa détention en 1964 à Casablanca, soulignant que, dès lors, il a été convaincu que "l'édification d'un Maroc démocratique est tributaire de l'instauration de l'Etat de droit et de la symbiose entre le peuple et le Trône".
M. Mahri a indiqué que son arrestation avait eu lieu alors qu'il s'apprêtait à passer l'examen du baccalauréat le 25 juin 1964. Conduit au centre de détention de Derb Moulay Chrif où il avait séjourné une période de quatre mois, l'ancien détenu a affirmé avoir subi "différentes formes de tortures" dans ce centre avant d'être transféré le 10 octobre 1964 à la prison civile de Casablanca, puis le 21 janvier 1967 à la prison civile de Marrakech.
Présenté au tribunal vers la fin du mois de janvier de la même année parmi le groupe connu sous le nom de "Mohamed El Haloui et Cie", il avait été condamné à trois ans de prison, avant d'être libéré en avril 1967.
M. Mahri a indiqué qu'au cours de sa détention, il avait réalisé que les tortionnaires n'étaient que des gens à "la solde du colonisateur" qui ont profité du "vide politique et administratif qui sévissait dans le pays au lendemain de l'indépendance" pour "procéder à la liquidation de la résistance nationale et à l'enrichissement illicite".
M. Mohamed Mahri, né en 1944 à Casablanca, a exercé en tant qu'instituteur dans le secteur de l'enseignement primaire pendant 36 ans, jusqu'à sa retraite.
Mohamed Lemrabtine : «Il faut ouvrir le Corbis au public»
Mohamed Lemrabtine a appelé à l'ouverture au public du centre de détention "Corbis", situé à l'aéroport d'Anfa à Casablanca, pour que l'opinion publique soit informée des graves violations des droits humains dont ont été victimes plusieurs détenus durant les années 1960 et 1970.
Dans un témoignage, livré mercredi soir à Marrakech, M. Lemrabtine, qui a été arrêté pour la première fois en 1964 à la gare routière de Casablanca où il est mis en détention secrète pendant une semaine, a précisé que ce centre de détention qui représente "un point noir dans l'histoire du Maroc", a vu la mort de plusieurs prisonniers et a abrité nombre de symboles du mouvement national.
M. Lemrabtine, qui a été transféré ensuite au centre de détention secret Dar El Mokri pour une période d'une semaine puis à l'école de police à Bouknadel, aux environs de Salé, où il séjourna deux mois, s'est appesanti sur le climat politique tendu ayant marqué cette période, avant de rappeler les circonstances de son enlèvement à Casablanca, ainsi que son arrestation à plusieurs reprises entre 1973 et 1979 à cause de ses activités politiques et syndicales à Safi.
Transféré en compagnie d'un groupe d'autres détenus au centre de police de Jamaâ Lefna à Marrakech où il a été déféré devant le juge d'instruction près la cour d'appel, M. Lemrabtine a été incarcéré à la prison civile de Boulmharez pendant environ sept mois.
M. Lemrabtine, arrêté pour la 3ème fois en mars 1973, a été gardé au commissariat de Safi pendant 17 jours avant d'être transféré au centre de détention secret "Corbis" où il sera détenu pendant 11 mois, a évoqué la marginalisation dont a souffert la ville de Safi, qui accueillait une importante classe ouvrière, et son militantisme avec des fils de cette cité en vue de la délivrer du blocus économique et social, ce qui a conduit, a-t-il ajouté, à "la confiscation de leur liberté durant de longues années".
Mis en liberté provisoire, le 12 octobre 1974, il a été acquitté par la cour d'appel de Marrakech en juin 1976, M. Lemrabtine a appelé à l'encouragement de l'adhésion à la vie politique pour contribuer à l'édification de l'Etat de droit et au développement du pays.
Arrêté de nouveau en 1979 au siège de la Confédération démocratique du travail (CDT) à Safi, dans le cadre de la grève nationale engagée par les secteurs de l'enseignement et de la santé publique, M. Lemrabtine a passé une semaine de détention avant d'être libéré sans être jugé.