Fête du Trône 2006

Opinions & Débâts : Le mal journalisme

Très rares sont les Marocains qui lisent leur presse !
>Nous sommes moins de 300.000 à acheter chaque jour un quotidien. Seuls treize marocains sur mille ont accès à la presse. Nous sommes bien en deçà du taux de pénétration mondial : 90 journaux pour m

04 Avril 2005 À 16:14

Une heure de chat coûte trois fois plus cher qu'un quotidien. Les enseignants, les ingénieurs, les médecins, les architectes…, toute la crème du pays disposant des moyens financiers et intellectuels pour acquérir la presse, ne le fait que rarement ou pas du tout. Tous, sont hors zone de couverture du cycle des idées qui traversent le Maroc en marche. Tous risquent de rater un rendez-vous avec l'histoire.

Si la presse marocaine ne se ressaisit pas, nous serons encore moins nombreux à l'acheter. Si elle ne le fait pas, le capital étranger le fera à sa place. Et c'est le processus démocratique et pluraliste qui en pâtira.
Or la presse marocaine va mal. Elle va même très mal.

La presse a mal à sa crédibilité :
Un journal n'existe que parce qu'il apporte à son lectorat une information aux standards de qualité universellement admis : actualité, véracité, accessibilité, recoupement, mise en contexte, mise en perspective. Qu'en est-il sur les colonnes de nos journaux ? Du " déjà vu/lu ”, du coupé collé, du réchauffé, de l'approximatif, du difficilement ou pas du tout vérifiable. Dans la majorité des cas, une bonne partie des pseudo informations qui meublent les colonnes des différents journaux ne sont que de simples supputations, de vagues allégations… La rumeur, la diffamation et la vindicte populaire sont hissées au rang d'exercice de style. Les journaux se font le palet sur les malheurs des uns et des autres. Ils font du rafistolage là où la norme est à l'investigation et à la quête de la vérité.

Entendons-nous bien sur le fait que ces dépassements sont, c'est vrai, plus insufflés par le modèle éditorial de l' "entreprise ” de presse, que par des pratiques émanant du propre chef du journaliste. A maintes reprises, le journaliste commet des manquements à l'éthique et aux normes journalistiques. C'est vrai aussi que beaucoup le font avec préméditation. Ils s'engouffrent dans la spirale du caniveau et du prêt à écrire. Résultat irréversible : ils compromettent leur crédibilité et prennent en otage toute une profession.

Rares sont les journalistes marocains qui peuvent se prévaloir d'une qualité basique en journalisme : écrire pour son lecteur. Or écrire pour son lecteur suppose qu'on le connaisse. Combien de journaux marocains peuvent-ils se targuer de disposer de données sur la traçabilité de leur lectorat. Le courrier de lecteurs, baromètre d'image primaire, ne sert plus qu'à boucler des pages en malremplissage. Certains supports n'hésitent pas à le préfabriquer. Alors pour qui écrivent nos journalites ? Ceux qui écrivent pour leur patron ne sont pas les plus nombreux. Ces patrons lisant rarement, ou pas du tout leur propre canard.

Certains écrivent pour remplir de l'espace. Le journal étant déjà amorti et rentabilisé. Avant d'être vendu à ses lecteurs, un journal est déjà vendu à ses annonceurs ou à ses bâilleurs de fonds. D'autres écrivent pour flatter leurs sources. Ils le font pour s'assurer un approvisionnement régulier et préférentiel et infos/biscuits. Et… plus quand affinités. D'autres, et leur nombre n'est pas anodin, écrivent pour épater leur alter ego ou celui de certains de leurs compères. Leurs tirades kilométriques, leurs chevauchées interminables trahissent une flagrante erreur de casting. Ne dit-on pas que le journalisme est le métier de ceux qui n'en ont point ?

Le sympathique " Rubio ”, le plus célèbre vendeur de journaux du Maroc, l'a si bien dit cette semaine sur 2M : "les journaux marocains écrivent pour un lectorat virtuel. Ce n'est pas celui qui vit dans nos contrées ”. Eloquent !
La presse a mal à ses patrons !

Leurs profils sont hétéroclites. D'abord, les journalistes. Très rares. Ils écrivent peu ou pas du tout. Ils s'inventent de nouveaux métiers : dircom. Ils passent le plus clair de leur temps à courir plus derrière les annonces que derrière l'info. Chez eux, l'info a un prix, la Une est hors de prix, et la bénédiction des média planeurs n'a pas de prix. Il y a ensuite les politiques. Directeurs de la rédaction, kiyadi fi… à plein temps, parlementaire à mi-temps. Plus rompus aux joutes oratoires de l'hémicycle, aux discours marathon des commissions, sous commissions, supra commissions… ils développent une allergie chronique et métastasique à la clarté, à la concision, et à la densité.

Au journalisme quoi ! Arrivent ensuite les moul chokara : ceux-ci ont de l'argent pour investir dans l'info sans avoir les moyens de s'y investir. Ils vendent des canards comme on vendrait des figues de barbarie. Ils ne connaissent de proximité que celle de leur maître à penser et de leur banquier. Ils maîtrisent à la perfection les micmacs des lignes de crédit, sont des analphabètes en matière de ligne éditoriale et ne se risquent point aux lignes rouges. Ils sont directeur, rédacteur en chef, directeur ès flou artistique, journaliste, et … lecteurs réels et potentiels!
Et les intellos ? Leur bouillon (invendus) n'a rien de culturel.

Il est généralement supérieur au tirage initial (hic?). Ils consacrent l'idée communément répandue d'un homme ou d'une femme/un journal. Il y a aussi les négriers (au sens propre et figuré) , les snobs, les abonnés au droit de cuissage, les paranos …
Cette sociologie des patrons de presse n'est bien évidemment ni exhaustive ni scientifique. Une chose est sûre, tous se soucient peu de l'être et du paraître de leurs journalistes. Ils négligent leur droit au confort matériel et intellectuel. Ils ignorent leur aspiration à être bien portants pour exercer leur métier /mihnat al mataib dans les règles de l'art. Le journalisme est parmi les rares corps de métier où les pratiquants traînent des maladies latentes ou chroniques faute de couverture médicale. Certains perdent très prématurément cheveux, dents … C'est de l'indécence que de continuer à s'étonner qu'ils y perdent leur âme et conscience.

La presse a mal à son entreprise :
Secteur économique à part entière, la presse emploie quelque 30.000 personnes. Des cadres universitaires principalement. 70 % du marché est détenu par la presse nationale. La publicité, principal bailleur de fonds de nos journaux, reste très timide. Mal répartie, distribuée au gré du copinage et de clientélisme, elle est appelée à un développement conséquent.
Malgré tous ces indicateurs, la presse marocaine continue à rechigner à se structurer.

Entreprise moderne de presse (rarement), non entreprise (souvent), entreprise artisanale, entreprise familiale, PME … les formules se suivent et finissent par se ressembler. Vivement le contrat programme pour mettre de l'ordre dans cet immense capharnaüm. Un seuil minimum est à assurer pour se prévaloir de la qualité d'entreprise de presse : structuration, transparence, management, autorégulation. Sous d'autres cieux, l'entreprise de presse s'achemine vers la certification de l'offre rédactionnelle. Des notions comme stratégies de développement et de la fidélisation client habitent, chaque jour que dieu fait les promoteurs.

Oui, après Skhirat tous les espoirs sont permis. L'espoir de ne plus entendre parler de salaires qui ont donné le tournis à tous les participants aux assises de la presse (Skhirat, 11 – 12 mars 2005). Des journalistes à qui on demande de participer au façonnement du Maroc nouveau, d'accompagner le changement, de baliser les voies du progrès et de la modernité … touchent moins de 1500 DH/mois.

Les supra journalistes, (de rares Casablancais), qui touchent des salaires astronomiques, variant entre 9000 et 25 000 DH, (appréciez le décalage honoraire! ), vivent des situations aléatoires. Ils pratiquent le nomadisme à longueur de carrière. Changent de ligne éditoriale comme on changerait une chemise. Troubadours des temps qui courent, ils subissent l'humeur instable d'une profession en manque de structuration. Ils pratiquent la navigation à vue et ne sont guère à l'abri des aléas divers.
La presse marocaine a mal à son inflation !

Trop de titres paraissent au Maroc. La presse est certainement le secteur d'activité au Maroc où il y'a le plus d'intrus, de pique-assiettes et de brebis galeuses. Il est de coutume de dire que la presse est le métier de tous ceux qui n'en ont pas. Il est temps de mettre un terme à cet anachronisme qui ajoute au discrédit de cette profession. Une société où il n'y a que 300 000 acheteurs de quotidiens peut-elle se permettre d'en voir éditer 600 ? Sincèrement non.

Nous ne sommes pas l'apôtre d'une quelconque limitation à la liberté d'expression. Nous disons tout simplement ceci : la presse est un métier. Elle ne saurait être le métier de ceux qui n'en ont pas. Mieux, c'est une véritable industrie. Comme toutes les autres, l'Etat se doit de lui garantir les conditions optimales de l'exercice. Les acquis de Skhirat : substantielle dotation de cinquante millions de DH, contrat programme, convention collective, organisme de justification de la diffusion ….

Aux professionnels de se donner les moyens d'accorder leurs violons ! Que la presse soit affranchie de l'affront de quémander sa survie à une poignée de médias planeurs véreux. Absents aux assises de Skhirat, ils sont omniprésents pour biaiser l'enjeu de la pluralité et de la diversité qui a depuis toujours fait de la presse marocaine un cas d'école dans le monde arabe ! Vivement des assises de la publicité ! Que le processus de mise à niveau, de modernisation s'engage dans la bonne voie. Que la sélection naturelle s'opère et que … les meilleurs restent! Amen !
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