L'humain au centre de l'action future

Purple Cane Road, James Lee Burke, traduit de l'anglais par Freddy Michalski : Ça ressemble à la Louisiane

31 Mars 2005 À 17:03

Nouvelle enquête de Dave Robicheaux, héros récurrent de James Lee Burke, sur les bords du Mississippi. Pour avoir tué son violeur, une jeune femme attend son exécution dans les couloirs de la mort. Peine abusive qui dissimule une histoire de corruption marécageuse et pleine d'alligators.

"Aucun auteur n'a autant influencé le roman noir contemporain ”, affirme l'écrivain de polars américain Michael Connelly à propos de James Lee Burke. Celui-ci est pourtant tard venu à la littérature. Né en 1936 à Houston, au Texas, il a fait des études de littérature anglaise et de journalisme à l'Université de Louisiane avant de publier, en 1954, son premier roman, Half of Paradise. Ses deux romans suivants ne trouvant pas d'éditeur, James Lee Burke a accumulé les petits boulots, travaillant tantôt sur des plates-formes pétrolières, tantôt comme éducateur social à Los Angeles, et écrivant quelques articles dans un journal de Louisiane.

C'est Dave Robicheaux, son personnage fétiche, son héros récurrent, qui lui a apporté enfin une reconnaissance en 1986, avec La pluie de Néon. Depuis, ce flic lousian, vétéran du Vietnam, ancien alcoolique humaniste habite les thrillers de James Lee Burke comme Pepe Carvalho ceux de Manuel Vasquez Montalban, ou Fabio Montale ceux de Jean-Claude Izzo. Des figures climatiques pourrait-on dire, autour desquelles se dessine un environnement que leur regard, leurs préoccupations et leurs enquêtes rendent immédiatement sensible, palpable, fécond. A Montalban les ramblas barcelonaises, à Izzo les bas-fonds marseillais.

Et à James Lee Burke la Lousiane, son bayou, ses lacs aux alligators bordés de saules et de gommiers, ses maisons à moustiquaires sous les chênes verts et les pacaniers, ses identités noires, blanches, créoles, cajunes, ses parties de pêches, ses saloons aux cocktails serrés et ses œufs au piment arrosés de thé glacé. Mais aussi ses Buick et ses Cadillac luisant de pluie au bord de routes encore poussiéreuses, ses dancing abandonnés, ses plates-formes pétrolières, la pègre locale, les flics corrompus, des tueurs à gages, des mafieux, et des couloirs de la mort.

Lutte contre la perte

C'est dans l'un de ces couloirs que se concentre le mystère de Purple Cane Road, roman écrit en 2000 par James Lee Burke dont la traduction en français vient de paraître aux éditions Rivages. Letty Labiche a été condamnée à la peine capitale pour avoir trucidé un certain Vachel Carmouche qui abusait d'elle et de sa soeur jumelle quand elle était petites. Du fait de sa mauvaise réputation, personne ne croit à son histoire. Mais Dave Robicheaux, qui connaît les Labiche depuis toujours, n'est pas certain que cette décision pénale ne vienne pas, à titre d'exemple, camoufler une vaste histoire de corruption.

" Lorsque je touchais le fond, au pire de mes beuveries, j'incluais souvent les deux sœurs dans mes prières, en regrettant profondément de n'être qu'un ivrogne alors que j'aurais pu, qui sait, faire une différence dans leur malheur ”. Pour tenter de tirer Letty d'affaire, il s'enfonce dans les marécages criminels de New Iberia à la Nouvelle Orléans. Et, comme une histoire ne vient jamais seule, il tombe sur un autre os qui le ramène au meurtre de sa propre mère.

" Il y a bien longtemps déjà, j'avais accepté la perte de la famille dont j'étais issu, la perte de mon enfance et de l'innocence du monde cajun qui m'avait vu naître. On traite la perte comme on traite la mort. Elle rend visite à chacun de nous, et on ne la laisse pas prendre le pas sur la vie ”. C'est cette lutte des individus contre la perte, la mort, l'humiliation, l'injustice, qu'illustre Purple Cane Road. Un roman humaniste certes, mais tout en nuances, en demi-teintes, en complexité, en doutes réaffirmés, en amertume ravalée et en capteurs à fleur de peau. James Lee Burke, reconnu comme l'un des maîtres actuels du roman policier, est salué par la presse américaine pour la beauté et la puissance de son style. Des compliments qu'il n'a pas volés : son écriture est charnue, dans les mots comme dans ce qu'ils évoquent.

Ici, il campe une atmosphère : " Chaque soir, le ciel au-dessus du Golfe dansait d'éclairs de chaleur dont les lames blanches ondulaient silencieusement l'espace d'un clin d'oeil à travers des centaines de kilomètres d'énormes cumulus d'orage. ” Là, il plonge dans un état intérieur : "Mes genoux cédèrent sous moi, et une vague de douleur se leva comme un ballon gris veiné de rouge du creux de mes reins, chassant l'air que j'avais dans les poumons, pour venir se répandre jusque dans mes mains ”. Et entre, il intercale des dialogues au parler populaire ou canaille, pittoresques à tous points de vue. De cette succession de plans sensibles et d'échanges puissamment expressifs naît une impression de cinéma : déroulé d'un film noir, ondoyant entre la douceur et le cauchemar.

Purple Cane Road, James Lee Burke, traduit de l'anglais par Freddy Michalski, Editions Rivages, 336 p.
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