Quand les corps et les âmes se dévoilent
25 Septembre 2005
À 17:24
Le corps est le sujet le plus privilégié de la peinture. Il exprime l'heur et le malheur, la beauté et la laideur, la violence et la tendresse. Le corps désiré ou haï représente dans la création picturale le médium à travers lequel le peintre exprime ses fantasmes, ses rêves ou encore ses tendances les plus cachées.
Les cinq artistes que nous présentons aujourd'hui ont choisi de communiquer leurs charges émotionnelles à travers le corps et ses différentes postures.
Ils utilisent des matériaux différents, des supports divers, ce qui donne à leurs expressions des tonalités personnelles. De l'encre ou de la peinture, sur la toile ou le carton, la texture du corps change, elle attire ou repousse, elle éveille le désir ou la répulsion.
Partagés entre l'envie de faire valoir le côté érotique ou celui de la démence, les artistes nous livrent leurs expressions profondes de la nature humaine. Ballottés entre le désir et la répulsion ils se réfugient, tantôt dans la tendresse du corps asexué tantôt dans la mise en valeur du côté dévorateur des âmes humaines. Le corps que privilégiait la peinture de tout temps est bien celui de la femme.
Mais dans cette exposition le corps prend des formes extraordinaires, il est traité d'une manière telle que l'on ne reconnaît que difficilement. Si dans le travail de Housbane il est respecté dans sa dimension et sa forme habituelle, car la démarche est esthétique, dans les travaux de Ghaline, Sahaba, Nadif et Sayed, il est disloqué, torturé, désossé, rallongé afin qu'il exprime la véritable profondeur de l'artiste.
Pour la première fois au Maroc une telle exposition se tient, car l'on posé le problème de la restitution du corps dans sa dimension et son expression réelles sans se soucier de la possibilité de le traiter en tant que prétexte pictural.
Ghaline est un cas spécial dans le paysage de la peinture marocaine. C'est dans les années soixante dix que l'on commença à voir se profiler ces silhouettes qui suscitent autant de désir que de répulsion ; Le corps est certes au centre de son travail, mais de quel corps s'agit-il ? Certains se plaisent à le rapprocher de Modigliani ; c'est un jugement qui émane d'une ignorance de la peinture et de son histoire. Ghaline est un onirique tout comme Saladi.Il évoque le rêve, interroge le féminin qui hante l'inconscient de l'homme ( le mâle ).
Dans son travail noir des années soixante dix (et exclusivement ), il extirpe son inconscient LA FEMME et la met en face de son symbole l'arbre. Ce dernier n'illustre-t-il pas le cycle de la vie par ses feuilles qui tombent et repoussent ? Par ailleurs, tout comme la femme, l'arbre met en communication les trois éléments du cosmos : les profondeurs souterraines, la surface du globe et la voûte céleste vers laquelle tend sa cime.
Said Housbane est né en 1957, après des études d'art et de littérature il se consacre à l'enseignement de l'art et de son histoire. Il aime beaucoup insister sur sa principale source d'inspiration. Il évoque souvent sa grand-mère. Eloquente, elle manipulait avec aisance un registre particulier sur l'e esthétique du corps féminin. Tout jeune, Said écoutait poétiser sa grand-mère, adulte, il s'efforcera de restituer puis de visualiser le patrimoine de cette grande dame.
Il nous offre ainsi des corps, qui tout en étant érotisés, demeurent aériens, angéliques et épurés. Maîtrisant bien sa technique, il fait chanter les délices chromatiques pour le plaisir du spectateur. Il a beaucoup exposé au Maroc.
Khalid Nadif est un jeune artiste. Il est l'enfant de l'ère de l'image par excellence. Né en 1978, il n'a pas encore la trentaine. Les artistes de sa génération préfèrent travailler sur d'autres moyens d'expression : l'installation, l'art vidéo, lui choisit la peinture comme moyen et le corps comme champ de réflexion. Après un bac en Arts Plastiques il suit une formation pour l'enseignement. Il est actuellement professeur d'éducation plastique. Tout comme Sahaba, il fut révélé par la biennale de la jeune peinture marocaine. Deux de ses œuvres figurent dans la revue Cimaise.
Il est à l'affût de la tendresse, de la férocité et du paradoxe dans le corps. Selon son humeur, le spectateur peut trouver les scènes de Nadif tout aussi bien sadiques, poétiques que masochistes. Son expression est douce comme son tempérament.
Aziz Sahaba est né en 1965. Dès son jeune âge il fût interpellé par le graphisme et la forme. Après des études primaires et secondaires il s'inscrit à l'Ecole des Beaux-Arts de Tetouan. A partir de la deuxième moitié des années quatre vingt dix il alla se consacrer entièrement à sa carrière artistique. Sa peinture se fera remarquée lors de la cinquième biennale de la jeune peinture marocaine qu'organisait la fondation Wafabank.
Deux œuvres portant sa signature figurent dans la prestigieuse revue artistique Cimaise qui avait consacré un numéro spécial à cette manifestation. Aziz Sahaba travaille exclusivement sur le corps : le portrait, le corps dans sa nudité aussi bien physique que psychologique. Son expression est forte et son langage est poétique.
Aziz Sayed n'est plus à présenter. Après des études secondaires à Oujda, il s'inscrit à L'Académie des Beaux-Arts de Cracovie en Pologne. Après un passage remarqué en Pologne, il rentre au Maroc où il travaille comme décorateur à la télévision marocaine.
Son travail est dédié entièrement au corps. Il interroge le rêve, le phantasme, les souffrances qui agitent l'individu en tant que tel. Il charge ses supports de matière rugueuse et d'éclats chromatiques, une manière à lui de symboliser l'explosion de la libido. Il a exposé à travers le monde ; de la Chine à l' Allemagne, de Bahrein à Casablanca.