Naissance de SAR Lalla Khadija

Souvenirs d'un grand projet : la construction du siège social du Groupe OCP

20 Janvier 2005 À 15:25

Après le lancement du concours d'idées parmi les architectes et la réception des maquettes et prototypes des huit concurrents, le projet de réalisation du nouveau siège social de la direction générale de l'OCP, est entré dans sa phase de concrétisation avec le choix de l'offre Patrick Collier qui a retenu l'attention d'une commission composée des directeurs centraux de l'Office, de quelques architectes conseillers et d'artistes de renom.

Les prix prévus par le cahier de charges ont été distribués. Je me souviens avec quel regret j'ai assisté à l'élimination de l'offre architecturale du Cabinet Benmbarek de Rabat dont les plans d'exécution et les coupes avaient prévu des bâtiments étalés en surface, contrairement aux schémas retenus qui avaient proposé la construction d'un immeuble de grande hauteur (IGH).

Presque unanimement, les membres de la fameuse commission présidée par le directeur général M. Mohamed Karim-Lamrani, assisté de son conseiller personnel l'architecte DPLG M. Louis Riou, ont opté sans hésiter pour la création Patrick Collier dont le cabinet était à Agadir et qu'il partageait avec le jeune Patrick Letixerand. La décision prise a tenu compte de l'évolution et de l'état des relations diplomatiques et économiques entre le Maroc et la France, particulièrement en matière de phosphate et dérivés et aussi dans le domaine de la coopération technique et financière.

Au terme de cette phase, la maquette retenue aura traduit un choix quasi définitif et inéluctable qui a brillamment démontré la faisabilité technique de la création IGH et symbolisé les espoirs d'innovation et de révolution socioprofessionnelle au sein de l'OCP.

Le moindre faux pas aurait été impardonnable. Il fallait parvenir assurément et rapidement à un produit irréprochable pour que les hautes autorités soient séduites et s'en fassent les avocats. C'était de l'aptitude des responsables OCP à mobiliser des ressources technologiques et humaines qu'allait dépendre en grande partie la réussite de ce projet dont la direction avait été confiée à M. Abdelwahed Benchekroun, premier ingénieur marocain diplômé de l'Ecole nationale supérieure des Mines de Paris et premier directeur du Centre d'exploitations de Khouribga avant d'être nommé en janvier 1971 directeur du personnel et des affaires sociales.

La capacité de l'OCP à nouer à ce stade des partenariats technologiques d'envergure devait lui permettre d'épargner du temps et de l'argent.
Déjà, grâce au poids personnel de M. Mohamed Karim-Lamrani, le terrain destiné à recevoir ce siège au sud de Casablanca, d'une superficie de 18 ha, a été acheté par l'office au prix de 20 DH /m2.

Les préoccupations du staff de direction générale n'étaient pas d'ordre financier. Il a fallu surtout acquérir la maîtrise de la technologie, diversifier ses sources en travaillant avec plusieurs entreprises nationales, françaises surtout et européennes, disposant de compétences analogiques ou similaires, repérer chez celles-ci les hommes-clés détenteurs de ce savoir-faire et rechercher la possibilité de les "transférer” au profit de l'OCP.

Une réelle confiance a été accordée au directeur du projet à qui il appartenait de surveiller les ressources consommées et de savoir stopper ces dérapages importantes en délais et en coûts.

M. Benchekroun était conscient de son rôle. Il savait parfaitement que la conclusion d'accords et de contrats bien équilibrés devait automatiquement être des sources inépuisables de progrès pour le Groupe OCP. Aussi veillait-il à éclairer continuellement les intervenant sur les choix et les options technologiques.

Réunir les compétences nécessaires et coordonner leurs interventions constituaient l'un des temps forts des programmes de construction. Surtout que les technologies ne s'achetaient jamais prêtes à l'emploi: il fallait toujours se les approprier et les adapter aux spécificités d'une entreprise à vocation industrielle et commerciale.

Il a fallu aussi se montrer très vigilant quant à la confidentialité des recherches et des marchés engagés ; pour se mettre à l'abri des copieurs, les précautions les plus simples étaient aussi les plus efficaces : ne pas trop communiquer, ne pas faire visiter le chantier à tout un chacun, mettre en lieu sûr les documents de travail (appels d'offres, plans, marchés, suivi des règlements, contrats des architectes et des bureaux d'études CTB, 116OTEC, COTEBA, COMEBA, etc.
La gestion de ce grand projet avait échappé à la direction des approvisionnements et marchés de l'Office.

Le directeur traitait directement avec le directeur général. C'était à la fois rassurant et très efficace. M. Mohamed Karim Lamrani signait tous les marchés et contrats, les situations de travaux et les factures correspondantes, les décisions importantes et les avenants, les ordres de virements et la plupart des correspondances adressées aux partenaires.

Le directeur du projet pensait qu'il valait mieux s'abstenir que réaliser une étude bâclée d'un lot technique qui apporterait des éclairages peu fiables, donc dangereux, à l'heure de la décision. L'examen des résultats ne devait négliger aucune donnée, tant qualitative que quantitative. En fait, aucune étude n'était définitivement bouclée. C'était tout au long du développement et l'avancement des travaux qu'il convenait de surveiller les frémissements susceptibles d'inverser les tendances de fond. Ainsi, les tests pratiqués au terme de chaque étape de concrétisation pouvait remettre en cause au dernier moment, certaines options.

J'ai suivi avec minutie et dans les moindres détails, la réalisation de ce grand projet qui a coûté en fin de compte 27 milliards de centimes, y compris le prix du terrain. Je me souviens du titre d'un quotidien de langue arabe, porte-parole d'un parti de l'opposition, qui occupait toute la largeur de la page et en immenses caractères gras, avait annoncé : " 100 milliards pour la construction d'un immeuble !… ” J'ai eu à travailler avec une soixantaine d'entreprises intervenantes ; le suivi de leurs règlements et quelquefois des litiges qui les ont opposées à l'architecte maître d'œuvre et par conséquent au maître d'ouvrage, m'auront permis, cinq années durant, de connaître à fond le monde des marchés de travaux.

D'ailleurs, j'ai dû élaborer, par la suite, un projet de manuel de gestion propre à ce domaine, que le directeur des approvisionnements et marchés avait officiellement soumis, pour avis et appréciation, à tous les départements concernés de l'OCP.

J'ignore ce qu'il est advenu de ce travail laborieux qui était accompagné de projets de cahier de clauses et conditions générales, de cahier de clauses particulières, d'une procédure des appels d'offres, d'une charte de chantier et de modèles de soumission et de comptes rendus de réception provisoire et définitive.

Une expérience enrichissante avec des responsables et des intervenants exceptionnels qui restera à jamais non seulement une réalisation de haute gamme, mais surtout une référence pour les nouvelles générations.

* Agent hors-cadres retraité
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