Un livre de Sadek Hajji et Stéphanie Marteau : Voyage dans la France musulmane
LE MATIN
03 Février 2005
À 14:54
«Aux côtés du catholicisme, du protestantisme et du judaïsme, l'Islam, officiellement représenté depuis 2002, devient une religion française, en voie de sécularisation». Ce constat dressé en fin de leur ouvrage aurait-il mérité que Sadek Hajji, correspondant entre autres du quotidien marocain Libération et Stéphanie Marteau, journaliste indépendante, entreprennent ce long «voyage dans la France musulmane» ? A l'évidence oui. Car, les Français ne semblent pas encore, dans leur grande majorité, intégrer cette réalité qui fait la France d'aujourd'hui.
Une France multiconfessionnelle où l'Islam tient une place importante. Le pays compte aujourd'hui sur son sol 5 millions d'hommes et de femme de culture musulmane, dont 2 à 3 millions sont de nationalité française. «Des chiffres qui pourraient placer la France au quinzième rang des 56 pays que compte l'Organisation de la Conférence islamique», lit-on dans l'ouvrage de Sadek Hajji et de Stéphanie Marteau.
La France officielle semble avoir beaucoup de mal à s'adapter à cette nouvelle réalité. Les événements du 11 septembre aux Etats-Unis 2001, ceux du 16 mai 2003 au Maroc ou ceux encore du 11 mars 2004 en Espagne ont jeté le discrédit sur cette tranche de la population française comme sur celle des musulmans du monde. L'implication dans ces actes terroristes de personnes issues de l'immigration a fini par forger, chez certains l'idée que l'Islam est une «religion violente». Les réactions ont été les plus marquées, les plus passionnées et souvent les plus radicales dans la France «laïque» qui montre ainsi, involontairement sans doute, l'image d'un conservatisme profond.
Par des raccourcis, des amalgames et des préjugés, tous les Français de culture musulmane sont mis dans la catégorie de «dangereux radicaux». Le débat sur le port du voile à l'école, sur la citoyenneté et la République et sur l'antisémitisme faisait ressurgir, parfois, des relents de haine et d'intolérance terrible dans le pays des droits de l'Homme et de la trilogie : «Liberté, Egalité, Fraternité». Cette devise, si chère aux Français de souche est celle à laquelle s'attachent fermement les «nouveaux Français» de culture musulmane pour revendiquer une «égalité des droits».
Avec leurs revendications, aujourd'hui visibles, grâce à une prise de conscience de leur part, à leur poids électoral et à leur implication active dans les affaires de la cité à travers l'action associative et, à une moindre importance, politique, ces Français de culture musulmane imposent aujourd'hui qu'on s'intéresse à leur sort, qu'on réponde à leur revendication d'emplois, d'éducation et d'une vie meilleure et avant tout qu'on leur reconnaissaît leur identité française et citoyenne.
Sadek Hajji et Stéphanie Marteau ont sillonné la France pour nous livrer des témoignages vivants de ces Français de «culture musulmane» dans leur diversité et leur différence. «La plupart des jeunes qui se déclarent français musulmans semblent en paix avec eux-mêmes. Ils sont parvenus à réconcilier leur histoire et leur culture, même s'ils ne fréquentent pas forcément les mosquées. Ils manifestent pourtant une solidarité sincère envers les musulmans pratiquants, car pour eux, la seule façon d'être pleinement accepté comme citoyen ne peut passer que par la reconnaissance de l'Islam de France». Cette dernière vérité est, en effet, à méditer.
L'Islam devient un argument, un faire-valoir et n'échappe pas à la manipulation et à l'instrumentation d'une part comme de l'autre. «Il devient moyen de pression» pour les uns et «argument de rejet» pour les autres. Les politiques, en premier lieu, sont appeler à prendre en considération cet élément.
Car, si une minorité de Français de culture musulmane s'enferme dans un radicalisme fanatique, souvent par manque justement de culture musulmane et mauvaise perception de la religion, poussée à cela le plus souvent par sa situation précaire et de marginalisation dans les ghettos, une large majorité des Français portent leur culture musulmane en parfaite harmonie avec les valeurs de la république et pratiquent leur religion dans la paix et la sérénité. Les profils des musulmans de France, d'origine étrangère ou de Français convertis à l'Islam, sont pluriels.
Leurs revendications sont le plus souvent liées à des questions de vie plutôt qu'à la religion qui reste, avant tout, une «affaire personnelle». Jeunes et moins jeunes ont montré par leur témoignage un seul fait tangible : leur attachement à la France. Cet attachement qu'une délégation du Conseil du culte musulman de France - une institution qui certes ne fait pas l'unanimité en France mais qui a le mérite d'exister- a démontré en se faisant émissaire de la paix en Irak revendiquant la libération des deux journalistes français alors pris en otage et aujourd'hui libérés. «Voyage dans la France musulmane» est un livre qui se base sur un travail de terrain, fait par des journalistes qui ont eu raison de souligner les limites de leur action.
Les témoignages cités dans le livre sont, en effet, à prendre tels qu'ils sont. L'ouvrage n'a pas et ne peut avoir la prétention de livrer des résultats définitifs sur la situation des Français de culture musulmane en France, ce qui relève d'une autre démarche scientifique d'enquête basée sur un sondage poussé et représentatif. Mais avec l'ouvrage de Sadek Hajji et de Stéphanie Marteau, la France découvre, pourtant, son «nouveau visage».
«Voyage dans la France musulmane».
Ed. Plon (en vente au Maroc depuis le mois de février 2005)