Zahra Ouaâziz, la gazelle de l'Atlas
LE MATIN
20 Novembre 2005
À 15:23
Comme Nawal El Moutawakil, Zahra Ouaaziz a créé un précédent : elle a été la première femme marocaine à avoir remporté une médaille mondiale sa distance de prédilection, le cross country. Polyvalente, elle a pesé de tout son poids sur d'autres distances notamment le 3.000 m plat, 5.000 M et le 10.000 m. malgré une carrière riche en réalisations, cette vedette du demi-fond mondial est restée à la pénombre des projecteurs.
Zahra n'est pas championne par hasard. La famille Ouaâziz est à 100% sportive. Le père et ses trois filles (Zahra, Salwa et Nadia) pratiquaient au départ le karaté avant de se convertir à l'athlétisme. Ce fut à la suite de l'exploit de Nawal El Moutawakil aux J.O de Los Angeles 1984. Vouloir est synonyme de pouvoir dans le cas de Zahra. Déjà au club de karaté, tout le monde admirait son endurance lors du footing hebdomadaire avec les … garçons. L'âge assez avancé pour un début (17 ans) n'était pas un handicap.
Les études non plus, du moins dans un premier temps, mais elle finira par abandonner à la dernière année du bac sciences ex. Dès l'entame en 1986, elle est sacrée championne du Maroc juniors du 3.000 m, suivi illico presto d'une médaille de bronze aux championnats arabes au Caire. Rentrée fracassante qui poussa son papa à préparer un diplôme d'entraîneur pour mieux encadrer ses filles qu'il a réussi à façonner en athlètes patentées, grâce à un entraînement méthodique quotidien, entre midi et 14 heures, au bourg de Khémisset. L'année suivante (1987), elle est championne du Maroc seniors et championne arabe à Alger.
La nouvelle étoile scintillait dans le ciel de l'athlétisme mondial. Mais la fatalité (ou mauvais œil), s'immisça pour l'astreindre au repos suite une vilaine blessure qui nécessita une intervention chirurgicale. Cette athlète d'exception avait des poumons de marathonienne mais des jambes de sprinter.
Une inadéquation qui l'exposait aux blessures récurrentes. Après deux longues années d'inactivité (1988 et 1999), elle reprit les entraînements et revient à l'équipe nationale en 1993. Grosse surprise, si en est une vraiment, Zahra remporta les médailles d'or du 3.000 m et du 10.000 m aux Jeux Méditerranéens. La gazelle de l'Atlas était au firmament. Elle éclatera de nouveau aux championnats du monde en salle de 1995, aux côtés de Hicham El Guerrouj qui faisait ce jour-là sa première rentrée internationale in door.
Elle aurait frappé un grand coup si elle n'avait trébuché. Elle eut le courage de reprendre la course et terminer 7e. Dans la même année, elle participa aux championnats du monde de Göteborg (5.000 m) après avoir obtenu le minima en Angleterre (15' 06''). A sa grande surprise et à la surprise générale, elle obtint la médaille de bronze au détriment de la reine de l'épreuve, la roumaine Gabriela Szabo. Une date à marquer d'une pierre blanche car le Maroc venait d'obtenir une médaille historique dans un championnat du monde féminin. Sur le plan arabe, elle rejoint ainsi l'Algérienne Belmarka et la Syrienne Ghada Chouaâ. La presse mondiale ne tarit pas d'éloges à l'égard de voter compatriote et la désignait déjà comme l'une des prétendantes au sacre aux JO d'Atlanta 1996. Mais sa blessure se réveillera subitement.
Zahra n'atteindra pas la finale. Il en sera de même l'année suivante aux championnats du monde d'Athènes. Pour les Marocains, la déception a été atténuée par la médaille d'or de Nezha Bidouane sur le 400 m haies, celle de Hicham El Guerouj sur le 1.500m et le bronze de Hissou Salah sur le 10.000m.
Deux années d'ermitage avant que Zahra ne revienne pour se préparer aux championnats du monde de cross country de Marrakech 1998. Conjurer le sort et démentir tous ceux qui l'avaient enterrée avant terme, était le sentiment de la gazelle. Sa victoire au cross court en France présageait de sa résurrection. Il en sera ainsi. Zahra livrera une bataille héroïque aux ténors mondiales et obtiendra la médaille d'argent.
Une médaille qui a permis au Maroc de remporter la première place au classement général de ces joutes planétaires. La star était renaît de ses cendres. Elle réalisera deux années de rêve (1998/99), avec le 2e chrono mondial du 3.000 m et du 5.000 m. Elle a été choisie pour représenter le continent africain aux championnats du monde en Afrique du Sud. Avec succès, car elle se talonnera la patronne du demi-fond mondial, Gabriela Szabo. L'année suivante (1999), Zahra est sacrée de nouveau vice-championne du monde, en salle, au Japon. La Marocaine flirtait avec le record mondial du 3.000m et du 5.000m. Le pulvériser, n'était que question de temps. Malheureusement, et pour la 3e fois, son tendon d'Achille lâche. Zahra n'avait que les yeux pour pleurer.
Une malédiction qui fait d'elle la seule athlète à être passée au bistouri à trois reprises. En bonne croyante, Zahra confie son sort au Créateur mais sans pour autant baisser les bras. Témérité folle, elle décida de concourir aux championnats du monde de cross de Vilamoura 2.000 (Portugal). Mirobolant, la gazelle est de nouveau vice-championne du monde ! Une femme venue d'une autre planète, estime t-on, dotée d'une puissance de caractère pas du tout ordinaire. Si jamais elle serait guérie, la médaille olympique de Sidney serait la sienne, prédisaient les spécialistes. Non, la blessure de Zahra s'est aggravée davantage, les opérations chirurgicales ont fini par déformer son allure et chambouler ses repères.
Elle reportera sa sortie à l'année suivante (2003) pour les championnats du monde de Paris 2003. Par devoir national, car cela devait permettre de consolider l'actif points du team national. L'heure de la pré-retraite avait sonné pour Zahra et pour toute une génération conduite par Gabriela Szabo et Sonia O'Sullivan qui ont été battues également à Paris. Elle fit un baroud d'honneur aux championnats du monde de Bruxelles 2004, gagnant une honorable 12e place. La championne décrochera pour de bon en 2005. Zahra ne pouvait cacher son affliction, estimant qu'elle a encore du jus dans les jambes et donc capable de dominer les pistes pour des années encore.
Revancharde, elle décida de continuer sa bataille, par jeunes athlètes interposés, à l'Institut National d'Athlétisme où elle a été admise en tant que cadre. Elle reste confiante en l'avenir de notre athlétisme. «Certains avancent à tort que l'athlétisme marocain a reculé. Non, il s'agit d'un passage à vide naturel que tout le monde vit à la fin d'une génération. Il faudrait s'armer de patience avant l'arrivée de nouveaux champions. Il ne faut pas oublier qu'il a fallu plus de 10 ans après la performance de Nawal El Moutawakil pour qu'une athlète marocaine ne gagne une médaille mondiale et ce fût moi.
Actuellement, de nombreux prodiges sont retenus par leurs parents qui préfèrent les orienter vers les études. La fédération a essayé la formule de sport-études mais sans résultats palpables parce que les moyens font défaut. Aujourd'hui, nous encadrons des jeunes qui se consacrent exclusivement au sport. Une partie de l'opinion sportive a été déçues par les résultats de nos cadets aux championnats du monde de Marrakech. C'est humain, mais cela ne veut pas dire que nos cadets sont nuls. De toute façon, un bon cadet ne fera pas automatiquement un bon junior.
L'exemple est celui de Nezha Bidouane qui a été championne du monde seniors sans l'avoir été dans la catégorie juniors».
Forte d'une expérience de 12 ans de sport de haut niveau, Zahra prévient contre l'excès de confiance quand la réussite se présente pour la première fois. La championne est restée la même, humble, courtoise, franche. Une athlète exemplaire qui n'a pas eu malheureusement la part qu'elle méritait, médiatiquement parlant.
Elle en souffre sournoisement malgré les apparences. Même pas un poster pour l'éterniser. A la question de savoir pourquoi son portait n'est accroché nulle part dans les locaux de l'Institut ou de la fédération, gênée, Zahra, répondit par un … sourire.