Spécial Marche verte

Le mouton de tous les sacrifices

Chômeurs, veuves ou démunis, les Marocains s'acharnent

26 Décembre 2006 À 17:18

Qui parmi nous ne pense pas au mouton à quelques jours de l'Aïd Al-Adha ? Certainement pas ceux qui ont déjà acheté ou reçu le fameux mouton ou encore ceux qui, ne se sentant pas concernés par cette fête religieuse, projettent d'aller en voyage pour fêter dûment la fin d'année. Les autres demandent à droite et à gauche, sillonnent les marchés et les fermes à la recherche de la perle rare.

Les budgets diffèrent et tous crient à la cherté des beaux ovins cette année. Il y a bien sûr ceux pour qui l'argent compte peu. Que ça coûte 5.000 ou 10.000 Dhs, ils achèteront une ou plusieurs belles bêtes. Par contre, il y a d'autres pour qui ce sont justement les moyens qui posent réellement problème. Et Dieu sait qu'ils sont nombreux. Ces derniers ne dorment pas la nuit tellement ils réfléchissent à la manière de dénicher les centaines de dirhams qui suffiront à l'achat d'un mouton, n'importe lequel.

La taille ne leur importe pas ou peu. Le plus important c'est que leurs enfants n'aient pas à avoir honte devant leurs semblables du quartier, leurs cousins ou leurs camarades de cours. «J'ai deux petits garçons, 5 et 7 ans, et depuis plus d'une semaine, chaque soir quand je rentre sans ramener le mouton, ils pleurent et ça me rend malade. Sans travail, je ne vois pas comment je vais faire», se lamente Larbi qui s'est retrouvé au chômage depuis 6 mois et toutes ses économies y sont passées.

L'usine de confection dans laquelle il a travaillé pendant 16 ans a mis la clé sous la porte sans verser d'indemnités aux salariés. Il est à Laqriâa de Casablanca, depuis 7h du matin essayant sans succès de vendre quelques pièces de ses meubles et de ses vêtements pour ramasser ne serait-ce qu'une petite somme. «Ma femme a bradé sa bague et ses boucles en or au noir et il me faut encore au moins mille dirhams pour pouvoir acheter si ce n'est qu'un semblant de mouton», lance-t-il sur un ton coléreux.

Il n'est pas le seul dans cette situation.
Une jeune femme Rkia, vêtue en blanc en signe de deuil, les yeux larmoyants, tente de vendre les matelas de son salon marocain. Devinez pourquoi. Veuve depuis à peine trois mois, elle se sent obligée d'offrir à ses deux jumeaux le «haouli». «Leur père, que Dieu ait son âme, achetait tous les ans le plus beau mouton du quartier, je ne peux pas les en priver après sa mort. Et pour cela je préfère vendre tout ce que j'ai que de demander l'aumône à leur famille.

Je travaille tous les jours de la semaine à faire le ménage dans les maisons mais comme j'ai vu que je ne peux pas réunir une somme suffisante, je suis là à essayer de vendre mon propre salon pourvu qu'il me rapporte un bon prix», dit-elle avec beaucoup de fierté. Etant en procès avec ses beaux-frères sur l'héritage qu'a laissé son mari, elle ne peut se permettre de leur demander quoi que ce soit.
D'ailleurs, trop fière, elle ne veut même pas accepter l'aide que lui ont proposée ses voisins. «Le bon Dieu nous a demandé de garder notre dignité en toutes circonstances alors j'essaie de sauver la mienne et celle de mes enfants», ajoute-t-elle.

C'est du quartier Oulfa qu'elle a fait le déplacement jusqu'à Derb Sultan, pour éviter de croiser une de ses connaissances. De la bravoure, certes, mais aussi de l'obsession pour le sacro-saint mouton. Tout comme c'est le cas pour ceux qui prennent un crédit ou empruntent d'importantes sommes pour se pavaner avec une belle bête le jour de la fête.

Devant autant d'acharnement à s'acheter le «haouli», il y a de quoi croire la fameuse anecdote racontée quasiment dans toutes les villes marocaines sur un tremblement de terre survenu la veille de Aïd Al-Adha où des gens au lieu de porter leurs enfants et les sortir des maisons, ils ont préféré prendre le mouton !
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Quand on a les moyens

Le sacrifice d'une bête le jour de l'Aïd est «sunna». C'est-à-dire que c'est un acte recommandé à toutes les familles musulmanes mais celles qui en ont les moyens.
«Allah ne peut exiger de ses créatures ce qu'elles ne peuvent offrir, l'offrande du mouton de l'Aïd n'est obligatoire que pour ceux qui en ont les moyens.

A défaut, les gens peuvent sacrifier simplement un poulet, il n'est nullement recommandé que les musulmans s'endettent ou se privent de quoi que ce soit pour sacrifier obligatoirement un mouton, c'est contraire à la tolérance et à «el yousr» les bases mêmes de notre religion», confirme Hadj Daoudi, imam d'une mosquée.

Arrêtons alors les frais d'un acte religieux devenu chez nous une réelle frénésie du paraître.
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