Quand monsieur daigne retrousser ses manches !
Fainéants et démotivés au foyer, les hommes prennent du poil… du mouton
LE MATIN
29 Décembre 2006
À 16:00
"Vivement l'Aïd El Kébir !", s'exclame Leyla, fonctionnaire au ministère de l'Education nationale. Serait-elle masochiste sur les bords ? Ce serait le cas si l'on se fiait à la charge de travail qui escorte Aïd Al-Adha. Mais Leyla sait très bien de quoi elle parle avant de sauter de joie à l'approche de la fête du sacrifice.
"C'est peut-être le seul jour où j'ai "l'insigne honneur" de voir mon époux contribuer aux tâches ménagères. Fainéant de nature et gâté durant son enfance, principalement sur ce point, Abdelatif croise les bras quand il s'agit d'effectuer un quelconque travail à la maison. C'est bizarre, mais c'est une nature, j'ai appris à faire avec…", explique Leyla.
Du coup, la jeune femme se retrouve avec trois emplois sur les bras : son métier de professeur de sciences naturelles, celui de femme au foyer, aux fourneaux pour préparer à manger et s'occuper des enfants, faire la vaisselle et le linge, puis celui de convoquer et d'assister le plombier ou le menuisier quand il s'agit de retaper ce qui ne tourne plus rond.
Seulement voilà. Aïd Al-Adha apporte bien des changements au sein de ce couple. "C'est vrai que je suis fainéant quand il s'agit des tâches ménagères, je crois que c'est un comportement inhérent au stress accumulé lors de l'exercice de mon métier, mais à vrai dire, j'avoue que je suis un peu maladroit et, faire un truc à la maison, je trouve cela assez compliqué", se justifie l'époux inactif, Abdelatif, médecin de son état.
Pourtant, le jour de l'Aïd, ce dernier fait preuve d'une mobilisation exemplaire. Il descend dans la rue en quête d'un dépeceur pour égorger le mouton, lui met la main dessus et donne un sacré coup de main.
"Le travail du boucher se limite à transformer le mouton en carcasse prête à la consommation, il faut assurer le reste et, comme c'est un travail physique, je m'en charge volontiers, vu que ce n'est pas à mon épouse de s'en occuper et que, pendant que je m'en charge, elle s'occupe à nous préparer de bonnes brochettes !", poursuit Abdelatif.
Pour Kacem, cadre supérieur dans un établissement public, le jour de l'Aïd Al-Adha est une occasion de faire ce que sa fonction ne lui permet pas. Il faut reconnaître que le jour de l'Aïd, notre ami devient un champion national en matière de partage des tâches familiales. "Depuis le jour de notre mariage, il s'est toujours occupé de la plus grande partie du travail le jour de l'Aïd : il assiste le dépeceur, donne un coup de main à ma fille pour laver l'endroit où s'est déroulé le sacrifice et c'est lui qui nous a toujours préparé les brochettes pour le déjeuner. Il découpe le foie en morceaux qu'il enfile sur les broches, allume le barbecue et assure la grillade. Que demande le peuple ?", s'extasie Rokia.
Kacem ne s'arrête pas cependant en si bon chemin. Après la sieste, il se saisit de la carcasse du mouton et se rend chez le boucher du coin, pour procéder au découpage final. De retour à la maison, il se charge aussi de faire le tri et de tout mettre en sachets destinés à séjourner dans le congélateur. Par ailleurs, Abdelatif et Kacem ne sont pas les seuls à changer de comportement, l'espace d'une journée.
Bon nombre de Marocains mettent la main à la pâte ce jour là. Est-ce par solidarité avec l'épouse ou bien cela est-il légitimé par la charge de travail conséquente inhérente à l'Aïd Al-Adha ? La seconde option semble la plus plausible, d'autant plus que c'est la seule fête religieuse durant de laquelle les hommes retroussent leurs manches.
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Quelle mouche les a piqués ?
L'Islam est certainement pour beaucoup dans le comportement exemplaire, le jour de l'Aïd Al-Adha, de la majorité des hommes marocains. Principalement ceux qui ont adopté la paresse au foyer comme sport favori. En effet, l'Islam stipule que le sacrifice doit être accompli par l'homme, la femme n'étant pas habilitée à le faire.
Du coup, l'époux se retrouve dans l'obligation de faire le chef d'orchestre lors de cette journée. Les Marocains doivent également en tirer une sorte de fierté, vu que c'est quelque chose dont ils détiennent l'exclusivité.
Sinon comment expliquer le fait qu'un flemmard invétéré se transforme en bon "homme au foyer", enfilant le tablier et passant des coups de balai, de raclette et, dans certains cas, prenant à sa charge la préparation du déjeuner le jour de l'Aïd ?
Visiblement, si cet aspect religieux n'était pas de rigueur, les épouses des tire-au-flanc auraient certainement été contraintes d'aller au souk, acheter le mouton, l'égorger, le dépecer et l'étriper, avant de préparer à manger et tout remettre en ordre… Bref, une journée "ordinaire" de femme quoi !