Il y a 20 ans disparaissait l'écrivain argentin Jorge Luis Borges
Il y a vingt ans, mourait en exil l'écrivain le plus célèbre de la littérature argentine, Jorge Luis Borges, poète lumineux, ironique et grand essayiste, malheureux de ne pas avoir su goûter la vie.
«J'ai commis le pire des péchés qu'un homme puisse commettre, je n'ai pas été heureux», a un jour confessé l'écrivain au sourire triste mais à la pensée fulgurante.
Il est mort à l'âge de 87 ans, le 14 juin 1986 loin de son Argentine natale, dans cette Genève qui avait su l'accueillir dans son enfance de prodige précoce. A sept ans, il avait déjà écrit un petit essai sur la mythologie grecque et à neuf ans une traduction du «Prince heureux» d'Oscar Wilde.
Mais c'est de Buenos Aires et de l'Argentine qu'il a su le mieux parler.
«Ce n'est pas l'amour qui nous unit, sinon la peur, serait-ce cela qui nous la fait tant aimer», a-t-il ainsi écrit à propos de la capitale argentine.
Sa vie et son œuvre ressemblent souvent à un labyrinthe, où les contradictions sont nombreuses. Il salue l'arrivée au pouvoir du dictateur Jorge Videla en Argentine en 1976, mais s'en repent ensuite, horrifié par les crimes commis par l'une des dictatures les plus brutales de l'histoire argentine, en signant l'une des toutes premières dénonciations du régime, parue en 1980 dans la presse argentine.
Fils d'un philosophe anarchiste et descendant de héros de la guerre d'indépendance, Borges se montre tout autant fasciné par les codes d'honneur de ses ancêtres que par ceux en vigueur dans les bas-fonds de Buenos Aires. De cette rencontre entre deux mondes, l'écrivain sait forger un langage à part définissant l'«argentinité». Sa maîtrise de l'anglais qu'il sait lire avant l'espagnol l'influencera profondément tout comme les femmes qui jalonneront sa vie.
Plusieurs figures féminines se détachent: sa grand-mère maternelle, Fanny Haslam, qui lui enseigne l'anglais, sa dernière épouse, Maria Kodama, et bien sûr sa mère, Leonor Acevedo, sa première lectrice quand il commence à perdre la vue. Conteur et essayiste, il se rend célèbre dans les années 40 et 50 avec les œuvres «Fictions» et «L'Aleph» ou encore «L'histoire universelle de l'infamie». Récompensé partout sur une planète qu'il parcourra longuement, Borges n'obtiendra pourtant jamais le prix Nobel de littérature, victime de ses positions très conservatrices et de son soutien initial à la dictature argentine.
Toute sa vie, il sera ennemi du péronisme, le mouvement politique aujourd'hui dominant en Argentine, comme il l'était déjà dans les années 50. «Les péronistes ne sont ni bons ni mauvais, ils sont incorrigibles», avait-il coutume de dire. Ennemi déclaré du football dans un pays qui lui voue un véritable culte, il s'attirera la haine de beaucoup de ses contemporains pour ses positions iconoclastes, avant de recevoir le jour de sa mort l'hommage d'une nation toute entière.