Spécial Elections 2007

Le football maghrébin en perte de vitesse

15 Février 2006 À 15:39

Le football maghrébin ne cesse de briller par son irrégularité et sa précarité. Hier, deux équipes maghrébines, en l'occurrence la Tunisie et le Maroc ont émergé du lot lors de la CAN-2004 et crevé l'écran ; aujourd'hui, ils ont raté le coche en Egypte.

La performance honorable des «Aigles de Carthage», la contre-performance des «Lions de l'Atlas», la non qualification des «Fennecs» algériens à cette compétition continentale et le niveau du football maghrébin, continuent à susciter des réactions à Tunis et à alimenter les conversations. Certes le temps a assoupi, quelque peu, l'émotion, la déception et l'amertume, mais les critiques continuent à défrayer la chronique.

Hier sur le podium et aujourd'hui en perte de vitesse, le football maghrébin passe par des hauts et des bas. La Tunisie, championne d'Afrique en 2004, a fait mieux que les «Lions de l'Atlas» à la CAN-2006 en Egypte. La Libye a montré le bout du nez. Disposant d'individualités, les Libyens ont besoin de plus d'expérience pour aller de l'avant.

De A, comme Attouga, le légendaire gardien de but tunisien, à Z, comme Zaïri, le magicien attaquant marocain, la Tunisie et le Maroc ont fait presque le même parcours et réalisé les mêmes performances depuis le démarrage de la Coupe d'Afrique des Nations et du Mondial.

Tout comme l'Algérie, la CAN n'est pas leur point fort, comme en témoigne leur palmarès qui ne compte qu'un seul sacre pour chaque équipe maghrébine: Maroc (1976), Algérie (1990) et Tunisie (2004).

Ce palmarès reflète-t-il le niveau du football pratiqué dans les trois pays ? Bien des observateurs répondent par l'affirmative. Distancé par l'Egypte qui a battu le record avec cinq sacres (1957, 1959, 1986, 1998 et 2006), le football marocain, algérien et tunisien ressemble à un coureur très en retard sur le peloton composé, outre les Pharaons, du Ghana (1963, 1965, 1978, 1982) et du Cameroun (1984, 1988, 2000, 2002).

Qu'elles en sont les raisons ? Des observateurs constatent le manque d'une planification à long terme et d'une politique décentralisée de formation de jeunes qui profite aux clubs et à leur mise à niveau et partant aux équipes nationales toutes catégories confondues. On relève que la continuité fait défaut et la déperdition fragilise le football et le rend vulnérable.

A titre d'illustration, la sélection marocaine juniors s'est classée 4e au Mondial hollandais en 2005, derrière l'Argentine, le Nigeria et le Brésil, avant de donner des signes d'essoufflement par la suite. C'est la relève qui en pâtit le plus.
La valse des entraîneurs et l'exode presque massif des joueurs talentueux n'arrangent pas les choses. Parfois on ne change pas en mieux.

C'est un football à deux vitesses: les équipes qui ont les moyens financiers caracolent en tête et celles démunies n'arrivent pas à joindre les deux bouts.

Elles jouent pour éviter la relégation. Il existe plusieurs transferts: inter-clubs et inter-africains, en plus de l'exode des joueurs africains vers l'Europe. Des clubs d'un même pays, au Maroc ou en Tunisie par exemple, relativement riches, sollicitent des talents qui évoluent dans des équipes à ressources financières limitées ou pauvres.

Ils sont dans deux logiques contradictoires: les premiers visent à améliorer leurs performances et la qualité de leur jeu, les autres à combler leur déficit budgétaire.

Pour certains observateurs, la «migration sportive» ou «l'exode de talents» exigent l'harmonisation des réglementations pour éviter que le football ne soit phagocyté par le genre du business qui ne cherche que le profit et à court terme. Le sociologue français Jean Marie Brohm a relevé que «le sport n'est plus un jeu qui représente une fin en soi, c'est un secteur du monde des affaires...».

Selon d'autres, cette réglementation doit interdire la sortie des jeunes de moins de 20 ans pour améliorer le niveau des championnats nationaux et éviter l'exploitation des jeunes par les recruteurs et les intermédiaires de mauvaise foi ou que le joueur «mineur» de surcroît ne se transforme en une «marchandise». Des transferts ont porté leurs fruits.

Les clubs d'origine ont amélioré leur situation financière, les joueurs ont construit un avenir meilleur et tiré profit de l'encadrement technique à l'étranger et des cours théoriques et pratiques des centres de formation. Ces talents ont constitué l'ossature de leur équipe nationale, un apport inestimable, voire une valeur ajoutée.

Le mauvais état de certains terrains boudés par le public complique la situation. Les efforts ne manquent pas pour remédier à la situation car qui n'avance pas recule.

Ces échecs qui ne cessent de se répéter ont d'autres raisons non moins importantes: le football maghrébin est plus technique que physique alors que les équipes africaines détentrices du record (Egypte, Ghana et Cameroun) ainsi que le Nigeria et la Guinée pratiquent un football alliant jeu athlétique et technique caractérisé par la combativité et l'endurance qu'exigent les compétitions africaines qui sont dures, éprouvantes et pénibles.

Par contre, des joueurs maghrébins, fin techniciens, éprouvent de la répugnance pour le jeu agressif, aiment les espaces et dorment souvent sur leurs lauriers.

A chaque pic succède généralement une éclipse qui dure longtemps. Les mondialistes marocains (1970, 1986, 1994 et 1998), algériens (1982, 1986) et tunisiens (1978, 1998, 2002 et 2006) ont fourni des prestations ayant défrayé la chronique: la Tunisie en 1978, l'Algérie en 1982 et le Maroc en 1986. Au bout du compte, une seule prestation brillante dans le palmarès de chaque équipe. C'est largement insuffisant.

Concernant les CAN, deux coupes ont été gagnées à domicile, par l'Algérie en 1990 et la Tunisie en 2004. Quant au Maroc, il a remporté la CAN-76 en Ethiopie à l'issue d'une compétition comprenant deux tours et une poule finale auxquels ont pris part la Guinée, l'Egypte, l'Ethiopie, l'Ouganda, le Nigeria, le Soudan et le Zaïre (actuelle RDC).

Trois coupes ratées à domicile: l'équipe tunisienne de Attouga et Abdelmajid Chetali a été battue à Tunis par le Ghana (3-2 a.p), en finale le 21 septembre 1965 au Stade Zouiten. Les «Aigles de Carthage» avaient également raté le coche à Tunis en ne parvenant pas à accéder au 2e tour de la CAN-94 organisée à domicile.

Lors de la CAN-1988, organisée au Maroc, les «Lions de l'Atlas» ont été battus par le Cameroun de Roger Mila par un but à zéro en demi-finales.

Des experts estiment que ces performances en dents de scie nécessitent la mise en place de structures de formation et d'encadrement technique plus performantes en phase avec l'évolution du football au niveau mondial, un cahier des charges obligeant tous les clubs à accorder un surcroît d'intérêt aux jeunes, l'organisation d'un championnat national des jeunes de façon régulière et de compétitions inter-maghrébines de haut niveau, la construction de plus de centres de formation, l'intensification de l'échange d'expertises aux niveaux horizontal (afro-africain) et vertical (euro-africain) afin d'éviter l'exode précoce des jeunes talents et les rechutes et de bâtir le football sur des fondements solides.
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