Spécial Marche verte

Quand beauté rime avec danger en Egypte

15 Avril 2006 À 13:25

«Le nez de Cléopâtre, s'il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé», disait le philosophe français Blaise Pascal. Dans son pays, la reine d'Egypte pourrait aujourd'hui se faire un petit nez pour une poignée de dollars, à condition qu'elle en sorte indemne. Une rhinoplastie en effet y coûte quatre fois moins cher qu'aux Etats-Unis et trois fois moins qu'en France.

Mais les centres de beauté proposant ces prix imbattables sont accusés par les spécialistes de fautes déontologiques graves. Une journaliste de l'AFP, qui s'est vue refuser une telle intervention par le Dr Ibrahim Iyada, professeur à l'Université du Caire, parce que son nez «ne pose aucun problème», a été accueillie à bras ouverts dans l'un de ces centres situé dans le quartier cairote Mohandissine.

«Je vous ferai un nez à la Néfertiti», lui dit le médecin, dont aucun diplôme n'orne les murs de son bureau. Le centre a aussi une unité «pour les troubles de la virilité», qui propose aux hommes d'«harmoniser leurs organes de reproduction, avec ou sans intervention chirurgicale, en un seul jour». Pour trouver un tel établissement, il suffit de feuilleter l'un des nombreux journaux locaux. «Réductions importantes jusqu'à la fin avril : liposuccion des bras ou des cuisses à partir de 1.500 LE (260 dollars)», annonçait la publicité pour ce centre-là, donnant uniquement un numéro de téléphone.

La personne intéressée doit décliner son identité et prendre rendez-vous pour une consultation, avant d'obtenir l'adresse. Un plasticien égyptien qualifié facturera 5.000 LE (869 dollars) pour une liposuccion, dont le coût atteint 2.000 dollars aux Etats-Unis et 3.000 dollars en Grande-Bretagne. «90 % de ces publicités sont un attrape-nigaud», accuse le Dr Mohammad Kadry, membre de l'Association égyptienne de la chirurgie plastique et réparatrice.

L'Association, qui regroupe 160 plasticiens spécialisés sur un total de 400 en Egypte, tente depuis des années, sans succès, de publier un encart pour sensibiliser les candidats à la chirurgie plastique. «Les centres paient des millions de livres par an et accaparent l'espace publicitaire», déplore-t-il.

Les clients, nombreux, viennent même de l'étranger.
«Les prix en Egypte peuvent être de 60 à 70 % inférieurs à ceux pratiqués en Grande-Bretagne», indique un site Internet britannique spécialisé dans les soins privés. Il conseille aux intéressés de se faire opérer en Egypte «pour réduire les coûts et profiter en même temps des richesses de ce pays magnifique».

Des dizaines de personnes sont opérées chaque jour dans certains centres, «qui emploient des étudiants en médecine ou des généralistes, tout en adoptant une alternance rapide du personnel» explique le Dr Kadry. «Ainsi, en cas de problème, le propriétaire du centre peut dire: ‘‘Désolé, mais ce médecin ne travaille plus chez nous”», ajoute-t-il. Et les problèmes sont innombrables, pouvant entraîner la mort.

Deux femmes sont décédées la même semaine, en septembre 2003, en subissant des liposuccions. «Ce n'est pas la compétence des médecins qui fait éviter la catastrophe à chaque fois, mais plutôt l'intervention divine», note avec ironie le Dr Iyada, qui dit recevoir au moins une personne par mois victime d'une opération ratée. Pourtant, la majorité de ces centres (une trentaine) ont des permis délivrés par le département des établissements médicaux privés du ministère de la Santé.

«Nous tentons de contrôler la situation autant que possible», assure Mohammad AbdelChafi, responsable au sein du département.

Il reconnaît, toutefois, que plusieurs centres, impliqués dans des plaintes et fermés par les autorités, ouvrent dans d'autres locations et sous un nom différent, mais avec les mêmes méthodes de travail. «Nous voulons que le département ait aussi une autorité pénale et pas seulement administrative», ajoute ce responsable. Mais, note le Dr Kadry, le ministère de la Santé ne considère pas cette question en tête de ses priorités.
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