L'humain au centre de l'action future

Clint Eastwood explore une haine «oubliée»

24 Octobre 2006 À 17:17

Soixante ans après leur lutte féroce pour Iwo Jima, vétérans américains et japonais fraternisent sur cette petite île volcanique, alors que sort le film que Clint Eastwood a consacré à la bataille épique de la Guerre du Pacifique dont ils furent les vrais acteurs.

«Je haïssais votre peuple !» Lance Keith Renstrom, un ancien Marine de 85 ans, à une équipe de la TV japonaise filmant son retour à Iwo Jima, îlot perdu à 1.200 km au sud de Tokyo et théâtre en février 1945 de combats acharnés qui firent 6.821 morts côté américain, et 22.000 côté japonais.

«Mais j'ai chassé cette haine de moi, c'est ça le code du guerrier», poursuit ce mormon de l'Utah, qui porte encore dans ses chairs des éclats de la grenade d'un soldat nippon au onzième jour de la bataille. «Je respectais les Japonais car ils mouraient pour ce en quoi ils croyaient. En tant que guerrier, on est entraîné dans un seul but: aller tuer les bêtes féroces d'en face», dit-il.

La prise d'Iwo Jima est immortalisée par la célèbre photo de Joe Rosenthal, montrant six soldats américains hissant la bannière étoilée sur le champ de bataille. Elle est aujourd'hui le sujet du dernier film de Clint Eastwood, «Flags of our fathers» («Mémoires de nos pères»).

Ce film raconte les combats du côté américain. Mais pour rester fidèle à l'histoire, le cinéaste a réalisé un autre film sur Iwo Jima mais vu cette fois-ci du côté japonais. «Letters from Iwo Jima» («Lettres d'Iwo Jima») sortira fin 2006 au Japon.

Assis près d'un mémorial érigé en l'honneur des morts des deux camps, l'ancien combattant japonais Takeshi Arai a surmonté lui aussi les démons de la guerre. «Je n'aurais jamais imaginé que cela pourrait arriver. Nous avons été élevés en entendant que nous ne serions jamais vaincus. Je suis si content que les anciens ennemis redeviennent amis», se réjouit-il.

Au sommet du mont Suribachi (166 mètres) qui surplombe Iwo Jima, les vétérans américains et leurs familles reconstituent fièrement la fameuse scène du drapeau de la photo de Rosenthal, embrassant la bannière étoilée. Peu font attention au petit sanctuaire shintoïste voisin dédié aux kamikazes nippons.

La conquête d'Iwo Jima, qui symbolise aux yeux des Américains l'héroïsme de leurs soldats pendant la Guerre du Pacifique, octroya un avantage décisif aux Etats-Unis en mettant les principales cités japonaises à portée de leurs bombardiers.

Les Japonais se préparèrent pendant des mois à une invasion de l'île, creusant des kilomètres de souterrains et de tranchées, remplis de milliers de soldats prêts à mourir plutôt que de se rendre. Le lieutenant-général Tadamichi Kuribayashi, personnellement chargé par le Premier ministre Hideki Tojo de défendre Iwo Jima, chercha et trouva la mort au cours d'une charge à la fin de la bataille. Il était pourtant un fervent admirateur des Etats-Unis, où il avait fait ses études.

Dans le deuxième film de Clint Eastwood, Kuribayashi est incarné par Ken Watanabe, l'acteur le plus célèbre du Japon. «Kuribayashi était un homme qui adorait les Etats-Unis et ne voulait pas les combattre, mais qui pourtant s'est battu contre les Etats-Unis avec ferveur», raconte Watanabe, selon qui Eastwood «veut montrer le dilemme qui déchirait cet homme, et les soldats envoyés au combat».

«La plupart des anciens films de guerre, ceux avec lesquels j'ai grandi, étaient manichéens. Il y avait les méchants d'un côté, et les gentils de l'autre. La vie n'est pas comme ça, la guerre n'est pas comme ça», a plaidé Clint Eastwood lors d'une récente visite à Tokyo.

Pour mieux comprendre le point de vue japonais, le réalisateur américain a consulté le petit-fils du général Kuribayashi, le parlementaire Yoshitaka Shindo, qui dirige une association d'anciens combattants d'Iwo Jima.

«Ce film n'est pas qu'un film de guerre», explique M. Shindo. «Ce qu'il raconte, c'est pourquoi les soldats japonais se sont battus : pour leurs familles et pour leur pays, la même chose que les Américains. Ils pensaient comme nous, mais ils devaient combattre aussi. Cela fera du bien aux deux camps de regarder le film».
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