L'humain au centre de l'action future

«Indigènes», un film engagé

30 Septembre 2006 À 18:15

Le cinéma n'est pas que rêve, glamour et paillettes. Il ne se contente pas non plus d'œuvrer exclusivement dans le divertissement et la légèreté. À force de s'entendre répéter que l'industrie cinématographique est une monumentale machine à sous, on serait tenté de penser que le cinéma ne considère que la rentabilité seule des sujets traités. À tort.

Et quand le septième Art se fait particulièrement le témoin de nos sociétés et de l'histoire, notamment contemporaines, à travers le prisme de cinéastes n'ayant pas peur de se mouiller, la politique n'est souvent pas bien loin.

Films de guerre, biographies sur grand écran des sommités de ce monde, affaires et scandales politiques, les sujets exigeant un sens politique dans le traitement d'une œuvre cinématographique abondent. Nombre de réalisateurs se sont risqués à cet exercice de style qu'est le film engagé, de Costa-Gavras à Youssef Chahine, en passant par Abel Gance, Stanley Kubrick, Oliver Stone ou Michael Moore plus récemment, s'en sortant, tantôt critiqué, parfois même aussi avec les honneurs, mais rarement indemnes. L'apport du septième Art à ces nombreux sujets est incontestablement le regard, aussi subjectif soit-il, d'un cinéaste. Là réside la force d'un film engagé.

Celui de traiter un sujet avec du recul, mais aussi de l'humanité et de l'émotion. Les faits seuls ne font pas des films à trame dramatique, mais des documentaires. Le regard personnalisé d'un scénariste et d'un cinéaste, greffant des histoires particulières sur des pans de l'Histoire, transcende des images souvent connues mais banalisées. Voilà tout l'intérêt du cinéma: revisiter les époques et les thématiques politiques en impliquant le plus possible le spectateur.

Certes les dérives existent, car il est alors aisé de sombrer dans la propagande. Qui se souvient que «Le Cuirassé Potemkine», ce chef-d'œuvre de Sergueï Eisenstein, fut au départ, une commande du parti communiste pour commémorer le jubilé de la révolution russe manquée de 1905 ? Outre ce cas, nombreux sont les films qui permettent une lecture différente d'événements marquants.

Plus rare, certaines productions ne se contentent pas de susciter une réflexion, mais imposent le changement : un parfait exemple pour l'illustrer (et, qui plus est, fait l'actualité) est le long métrage «Indigènes», très attendu sur les écrans du Royaume. En 1943, Saïd, Abdelkader, Messaoud et Yassir vont s'engager comme 130.000 autres «indigènes» dans l'armée française pour libérer «la mère patrie» de l'ennemi nazi.

Réalisé par le cinéaste Rachid Bouchareb, «Indigènes» a été remarqué au dernier festival de Cannes où le film crée la surprise au moment de la rituelle cérémonie de remise de prix. Pour la première fois dans l'histoire de ce festival, un prix collectif d'interprétation est remis aux cinq interprètes masculins du film.Quatre mois après, voilà qu' «Indigènes» réapparaît sur le devant de la scène, mais politique cette fois-ci.

Mercredi dernier, la sortie du film dans l'Hexagone fut accompagnée par une nouvelle attendue et espérée depuis des décennies par les anciens combattants issus de l'empire colonial : la revalorisation de leurs pensions à la même hauteur que leurs compagnons d'armes français.

À défaut d'être le principal responsable de cette heureuse décision, on pourra toujours concéder à ce long métrage d'avoir été un catalyseur qui, sait-on jamais, pourrait faire cas d'école. Si, pour Aristote, «la politique a pour fin, non pas la connaissance, mais l'action», «Indigènes», en film militant, semble avoir pleinement rejoint cette doctrine.

Et puisque nous en sommes à citer les philosophes, une citation d'Alain semble encore mieux coller au propos : «La gloire, en politique, est le salaire de l'injustice».

Sans commentaires.
Il y a certes de quoi se réjouir, mais la décision du dégel des pensions demeure pour le moins surprenante, et ce pour deux raisons.
D'une, elle arrive un peu tard pour ces laissés-pour-compte, après près de cinquante années d'attente.

Certes, on peut comprendre les réjouissances qui ont accompagné cette heureuse (quoique tardive) nouvelle, mais l'on comprend tout autant la hargne de ceux qui regrettent que cette décision survienne aussi tard.
Et qu'elle ne soit pas rétroactive. Deuxième particularité singulière de cette décision : le fait d'avoir été annoncée le jour même de la sortie d'«Indigènes».

Certes le long-métrage a mis le doigt sur l'héroïsme et la participation de ces hommes, oubliés de l'histoire et des manuels scolaires, et l'équipe du film a manifesté plus d'une fois son désir de voir le gouvernement français rétablir la donne, et réparer cette injustice flagrante.

C'est à se demander si les choses auraient été différentes, dans le cas où le film «Indigènes» avait été réalisé plus tôt.

Et par l'annonce du dégel des pensions, le jour même de la sortie, on finit inévitablement par se demander à qui profite la promotion et le battage médiatique : au film ou au gouvernement français ?
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