Le cercle des scénaristes disparus
Le 7e Art marocain souffre d'un réel manque d'imagi110n
LE MATIN
28 Octobre 2007
À 12:21
Le cinéma marocain va mal. Durant tout son parcours, ‘'véritable traversée du désert'', il n'a pas réussi à se départir du mot «crise» qui lui colle comme une malédiction. Le secteur n'arrive toujours pas à décoller ni à attirer beaucoup de monde, il tâtonne et trébuche encore. Les spécialistes multiplient les prétextes pour justifier une situation qui perdure.
Problème de moyens, manque de vision claire, crise d'imagi110n, insuffisance d'infrastructures…les raisons fusent et ne se ressemblent pas sans que la vraie cause de la crise ne soit réellement découverte. Au milieu de ce magma de problèmes, le nombre de films augmente mais la quantité ne rime pas toujours avec la qualité. Dans le lot des productions qui voient le jour chaque année, seules quelques-unes méritent d'être applaudies. Les spectateurs, eux, sont souvent déçus par le manque de la créativité, caractérisée essentiellement par une redondance des thèmes et une pauvreté d'invention au niveau de la forme. En effet, suivisme et recherche de la facilité gangrènent notre cinéma. Parfois, même si le film plaît par sa thématique, il est rare que l'enchantement et l'éblouissement, que devrait provoquer toute œuvre cinématographique, soient au rendez-vous. Hicham Lasri, auteur et réalisateur, avait dit un jour que "dans un film, tout commence avec un rêve et se termine également par un rêve ».
Finalement, pourquoi un film ne toucherait-il pas les gens? Le romancier, dramaturge et scénariste Youssef Fadel nous répond : « Il ne s'agit pas uniquement d'un problème de scénario ou de cinéma, c'est un problème général d'une 116iété qui se cherche encore. A part le cinéma, c'est une grande question qui se pose pour tous les domaines politique, artistique…. Il s'agit en fait d'une crise d'imagi110n globale qui n'est pas spécifique au cinéma uniquement». Loin de la réalisation, du montage, de la bande originale, des moyens techniques et même du jeu des acteurs, c'est la dose d'imagi110n qui fait défaut dans nos films.
Ce germe de création qui fait que la chose soit artistiquement et esthétiquement correcte et porteuse de nouveautés n'est pas suffisant pour tran114er le spectateur dans un ailleurs artistiquement meilleur. C'est dire que la crise demeure au niveau du scénario. Dialogues insipides, récits ennuyeux… le cinéma marocain souffre d'une absence évidente de scénaristes.
Pourtant, ces derniers constituent une des clés de voûte de toute production cinématographique de qualité. «Si nous sommes en manque de scénaristes, c'est que le métier est encore nouveau. On ne l'a jamais considéré comme étant un métier à part. Qui dit métier, dit apprentissage et formation… Ce sont des choses qui se font petit à petit. Ce n'est pas le seul métier qui fait défaut au cinéma, même les directeurs de plateaux et les directeurs de photographie n'existent pas. Chez nous, tout le monde veut diriger, tout le monde veut devenir réalisateur…Chose qui n'est pas normal», nous explique
Youssef Fadel.
Au fil des années et à travers les films produits, on réalise que les cinéastes tentent de plus en plus de faire un cinéma qui nous ressemble. D'un cinéma d'auteur inaccessible qui a marqué les premières années du 7e art marocain à un cinéma qui se veut proche du public, les réalisateurs, tous azimuts, n'ont pas cessé de montrer leur bonne volonté de créer des histoires où une personne lambda peut se retrouver et se situer même si les thèmes ont tendance à se répéter. En gros, ce sont des films où le drame bat son plein.
Des intrigues peuplées de personnages écrasés sous le poids d'autres qui les persécutent sans pitié. Le spectateur tombe alors dans le piège du mélo, sympathise avec les gentils et hait les méchants…sans que le plaisir aille plus loin. «Ce que je reproche aux films marocains, c'est qu'ils ont toujours la même structure, on peut deviner la fin du film à partir des premières 20 minutes de son début. Aussi, les sujets sont traités avec légèreté et une fois que tu quittes la salle de cinéma, tu ne gardes plus aucun instant de ce que tu as regardé.", nous confie Loubna, une jeune cinéphile. En effet, dans nos films, l'action est ordinaire, les personnages sont « plats », le déroulement monotone…Bref, le scénario est vide, passif et souvent sans rebondissements. Or, la magie du septième art dépasse largement les simples messages diffusés en images sur grand écran. Si les spectateurs désertent les salles noires, c'est parce que nos films manquent d'originalité. Pour Youssef Fadel, il n'y a pas de recette pour faire un bon scénario, il faut surtout avoir du talent et une bonne connaissance de la 116iété et du spectateur.
«Ecrire un scénario, c'est la même chose qu'écrire un roman. Il faut avoir une idée claire de ce qu'on veut raconter avant de commencer et avoir de l'imagi110n qui représente la touche personnelle de l'auteur », ajoute-t-il. Une bonne maîtrise des techniques cinématographiques, une bonne dose d'imagi110n et un peu plus d'audace restent donc des ingrédients indispensables qui font défaut à notre production locale. On ne peut parler du scénario et des scénaristes sans évoquer le public qui reçoit les textes scénaristiques.
Ce dernier a beau déploré le manque de renouveau au niveau des films marocains mais il occulte souvent sa part de responsabilité dans cette situation. Habitué à une logique de la facilité qui l'oriente dans les films, le spectateur marocain n'accepte pas toujours les nouvelles expérimentations stylistiques des cinéastes.n
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Une espèce rare… Au nombre limité et à l'incapacité à couvrir la demande d'un marché de plus en plus grandissant, les scénaristes sont comptés sur le bout des doigts et sont très sollicités. Quant à leur savoir-faire, il reste très discutable. Nawfel Barraoui, réalisateur et comédien, déclare:« En tout, nous avons trois scénaristes de métier et de formation, les autres, ce sont des réalisateurs qui écrivent eux-mêmes leurs films ou des
gens qui proviennent du monde de la littérature, de la critique d'art…Je pense que la vraie problématique du scénario réside au niveau de la formation».
En effet, il n'existe au Maroc aucune formation dédiée aux scénaristes. Afin que le domaine puisse s'améliorer, une formation spécialisée s'impose. D'après Nawfel Barraoui, il faut qu'il y ait des formations continues pour les scénaristes, que les instituts
de cinéma fassent appel à des spécialistes du script des écoles étrangères pour dispenser des formations aux romanciers, nouvellistes afin qu'ils apportent un nouveau souffle au cinéma marocain.