L'humain au centre de l'action future

Match Point de Woody Allen Jeux d'amour et de hasard

Retour en force de Woody Allen avec Match Point, film terriblement romanesque où il marie avec virtuosité la satire sociale et le mélodrame criminel. D'abord pessimiste et enlevé, le film retombe dans une intrigue convenue qui empêche le réalisateur de se

06 Janvier 2006 À 16:10

En France, où le ludion juif-new yorkais est adulé, «tu as vu le dernier Woody Allen» est une phrase qui revient comme un rituel anniversaire. Avec un ton pourtant moins enthousiaste ces dernières années qui ont vu le talent du père de Annie Hall (1977) et de Meurtre mystérieux à Manhattan (1993) se tasser.


Depuis Harry dans tous ses états (1997), même les plus alléniens se sont faits assez tièdes. D'où l'emballement suscité par Match Point qui, depuis le festival de Cannes où il a été projeté en avant-première, marque un singulier retour en force du réalisateur. Les signes ? Virtuosité de la réalisation, sophistication du scénario, grâce du casting, décalages des genres, humour et grincement de dents : premier film tourné par Woody Allen en Europe, Match Point mobilise une alchimie et vise une hauteur qui le sort immédiatement du lot.

Le titre du film soutient une métaphore clé : une balle de tennis heurte le filet. Selon le côté où elle retombe, le match prend une orientation différente. Cette image permet à Woody Allen de mettre en oeuvre une réflexion autour du hasard et du déterminisme. Son champ d'action ? La haute société anglaise dans laquelle il catapulte Chris, un jeune professeur de tennis (Jonathan Rhys-Meyer) bien de sa personne, mais d'origine modeste. Celui-ci devient rapidement ami d'un richissime héritier (Matthew Goode), prétendant de sa soeur (Emily Mortimer) et gendre parfait pour leurs parents. Tout cela sans que le spectateur ne sache si Chris est un parfait arriviste ou un jeune homme sincère.

Toute la subtilité de ce film réside dans sa façon de ménager les doutes, d'orchestrer les rencontres sans lever les ambiguïtés, de marier les décalages.
Dans sa première partie, Match Point est une démonstration de tact et de maîtrise technique. Savant alliage qui décuple la puissance de suggestion de plusieurs scènes. Mais après un bon tiers, le film bascule dans un canevas nettement plus convenu.

Woody Allen avait réussi à surprendre en se livrant à une satire sociale à la fois réaliste (du moins, voulue comme telle) et pessimiste : qui profite de qui ? Au point que certains pourront d'abord avoir du mal à reconnaître la patte du réalisateur. Mais la charge retombe vite au profit d'une histoire d'adultère d'une banalité désolante : Chris tombe amoureux de la promise de son nouvel ami, une ravissante comédienne débutante (Scarlett Johansson), américaine qui plus est, et du même milieu que lui.

On s'attendait à une furieuse revanche sociale ou amoureuse, à une lutte en tout cas, où chaque classe déploierait le meilleur de son jeu pour arriver à ses fins. Mais Woody Allen préfère scruter avec une gourmandise balourde les combines d'un jeune ambitieux qui trompe sa femme.

Comme il ne sait pas comment sortir de ce guet-apens, le réalisateur revient à ses fondamentaux : le film noir teinté d'humour et d'immoralité. Vers la fin de Match Point, il retombe sur ses pattes, notamment dans une parenthèse d'anthologie avec deux policiers hilarants dont on regrette qu'ils n'aient pas davantage pris part à l'histoire. Dans le registre «étude clinique des rapports de classe», Woody Allen rate son tournoi, bon portraitiste mais piètre sociologue et pas meilleur psychologue.

Mais dans celui du romanesque où il déploie la noirceur des personnages, distille le mal tapi en chacun, et tente une intrigue à la Dostoïevski présentée dans du papier glacé, il marque des points. Mais pour remporter la partie, il eût fallu exploiter sur sa terrible tactique du début sur la longueur.

Le noir lui allait pourtant si bien sous les masques d'anges de ses personnages, tous très bons acteurs. Finalement, Woody Allen échoue à prolonger cet instant critique que figurait la balle suspendue au-dessus du filet, et sur lequel son film reposait.

Match Point, film américain réalisé par Woody Allen. Avec Jonathan Rhys Meyers, Scarlett Johansson, Matthew Goode, Emily Mortimer. (2 h 03.)
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