Fête du Trône 2006

L'inspection du travail entre l'extinction et la non-reconnaissance de sa particularité professionnelle

03 Juin 2006 À 13:00

Récemment, et dans le cadre de l'opération des départs volontaires, environ 70 inspecteurs du travail ont reçu leurs attestations de fin de carrière au ministère de l'Emploi. Ces derniers ont été investis d'un certain nombre de responsabilités au rang des chefs de divisions. Aussi, l'encadrement technique des différents services centraux et extérieurs du ministère a été assuré par un nombre important de cette même composante.

Cette perte humaine et professionnelle, qu'a subi ce corps est irremplaçable, au moins, dans le court et le moyen termes, compte tenu du savoir et savoir-faire accumulés durant des années d'exercice par ces cadres.
En effet, et contrairement à ce que croit certains, la formation d'un inspecteur du travail performant et opérationnel exige un minimum de dix ans de pratique professionnelle et de fréquentation et d'assimilation des problèmes de l'entreprise.

Placée par définition au cœur du fait social, l'inspection du travail a vu, au fil des années, s'y élargir et s'y multiplier ses missions par les effets conjugués de la dynamique des textes juridiques (notamment le nouveau code du travail), de la croissance économique accélérée, de la diversité et la pluralité des syndicats professionnels, et des besoins exprimés sans cesse par les partenaires sociaux employeurs et syndicats), mais aussi sous l'influence de l'environnement international.

Aujourd'hui, la moindre d'entre elles n'est-elle pas l'action dans les domaines du contrôle de l'application de la législation du travail ou le règlement des conflits individuels du travail (en moyenne 34.000 par an) ou collectifs du travail (en moyenne 1.400 par an) évités ou déclenchés. Bien plus, dans les phases paisibles de la vie professionnelle, une négociation collective réussit, abolit et anéantit les risques d'affrontement qu'aurait pu provoquer un échec de négociation avec tous ses répercussions négatives sur l'entreprise, les salariés, l'économie nationale, le budget de l'Etat et les recettes de la C.N.S.S., en raison des fermetures d'établissements, compression de personnel, réduction de la durée du travail, grèves et lock-out.

Lorsque l'inspecteur du travail a sa part dans cette réussite, en animant le débat et en adoptant des procédures diverses (conciliation, médiation, arbitrage) son actif de point de vue (savoir et savoir-faire), s'accroît au fur et à mesure.

Etant consciente de ces lourdes et ardues tâches et responsabilités, l'Association marocaine des inspecteurs du travail (AMIT), a déjà tiré à plusieurs reprises la sonnette d'alarme pour mettre les autorités publiques en garde des conséquences négatives pouvant résulter du non renouvellement du corps de l'inspection du travail le moment opportun et aussi du non remplacement des retraités par un nombre suffisant de cadres. Lesquelles mesures permettent d'assurer la continuité de cette profession et l'exercice des missions touchant ainsi un nombre important des domaines du droit du travail, parmi lesquels on peut retenir:
-le contrôle de l'application des dispositions du code du travail dans les entreprises du secteur privé ;
-la mission de mise en place des procédures de conciliation, de médiation et d'arbitrage dans les conflits individuels ou collectifs du travail (pour cette mission, les interventions évidemment préventives généralement passent inaperçues en dehors des intéressés) ;
-la mission de constat d'atteinte au droit syndical et au fonctionnement de l'établissement ;
-le contrôle de licenciement des salariés et des délégués du personnel ;
-la fonction de conseil et d'information en direction des employeurs, des salariés et des représentants du personnel ;
-la participation aux travaux d'établissement des conventions collectives avec les partenaires sociaux ;
-la mission de rapporter les travaux des commissions techniques d'enquête et de conciliation et d'assurer leur secrétariat permanent ;
-la collecte et le traitement des données économiques et sociales du marché du travail, climat social… etc.).
Qu'il s'agisse de conseiller, d'accompagner ou de contrôler les conflits collectifs et individuels du travail, le champ d'action de l'inspecteur du travail est le lieu où les affrontements sociaux sont très intenses entre employeurs et travailleurs pour la défense d'intérêts qui coïncident rarement. C'est là où résident les problèmes qui le perturbent, les tensions qui se résolvent au détriment de sa santé. Sans évoquer toutes les séquelles pathologiques dues au stress et surmenage, il y a lieu de confirmer que le métier de l'inspecteur du travail est un métier à haut risque.

Par ailleurs, ce contexte sociologiquement contraignant met en opposition des concepts réconciliés au niveau des textes ; il force aussi incontestablement l'adaptation des structures en place. C'est donc, dans cette position exceptionnelle qu'il faut apprécier le climat social dans lequel se situe le travail de l'inspecteur du travail.

Une telle vocation, beaucoup plus sociale qu'administrative – unique d'ailleurs pour un fonctionnaire – devait tout naturellement conduire les parties à solliciter l'inspecteur du travail pour les aider au règlement de leurs différends et par conséquent maintenir la paix sociale. Ainsi, est apparue et s'est développée l'une des caractéristiques de sa particularité professionnelle.

Face à cette situation, et suite aux diverses revendications de l'AMIT de renforcer quantitativement l'effectif existant (300 inspecteurs pour tout le territoire national dont 50 % seront à la retraite à l'horizon 2010 et le reste sera proche de la cinquantaine), que les pouvoirs publics ont procédé au recrutement de 40 personnes diplômés du 3e cycle aux profils diversifiés et à la reconversion de 21 cadres supérieurs en agents d'inspection du travail, après une formation générale de six mois à l'Institut du travail au ministère de l'Emploi et ce, dans plusieurs disciplines en relation avec la profession.

A quoi, il faut ajouter la promesse (depuis le deuxième semestre 2004), des services de la primature – vivement saluée par les professionnels – relative à l'octroi de 50 postes budgétaires supplémentaires au titre de l'exercice 2005 qui n'a pas vu le jour comme prévu.

Il est clair, cependant, que ces mesures ne peuvent prétendre mettre fin au phénomène d'extinction menaçant le corps des inspecteurs du travail dans son existence, en raison du déficit accumulé jusque-là. En effet, le départ volontaire d'environ 70 inspecteurs du travail et la mise à la retraite des 20 autres, l'année écoulée, qui resteront irremplaçables dans l'immédiat, laissent douter de la volonté politique de sauver le secteur d'un déclin imminent ressenti comme une atteinte au moral du corps et confirmer la problématique du retour à la case de départ.

Dans la perspective de permettre à ce secteur d'accomplir ses missions, tellement larges et diversifiées, dans de bonnes conditions et selon les normes reconnues par le Bureau international du travail, il y a lieu de rappeler les engagements pris par les pouvoirs publics à l'occasion de l'instruction des revendications qui sont présentées par les différentes instances représentatives des professionnels durant l'année 2005, il s'agit de :
1- Faire sortir le statut du corps de l'inspection du travail, en guise d'introduction vers la reconnaissance de la particularité professionnelle du secteur et ce, en application des dispositions des conventions internationales n° 81 et 129 relatives à l'inspection du travail approuvées par le Maroc depuis plusieurs décennies et des recommandations issues de la déclaration sociale du 30 avril 2003, signée par tous les partenaires sociaux.

2- Assurer la protection juridique de l'inspecteur du travail contre les risques de poursuite judiciaire à l'occasion de la rédaction des PV et ce, en définissant juridiquement la relation de l'inspection du travail avec l'organe judiciaire dans le domaine des procès-verbaux d'infractions relatives au code du travail. Laquelle protection permettra d'éviter une éventuelle affaire semblable à celle de notre confrère Kacha Zine El Abidine et de souffler un air nouveau de confiance et d'espoir pour l'exercice de cette noble profession.

3- Doter le ministère d'une stratégie de planification des ressources humaines et de gestion prévisionnelle des compétences et des emplois pour anticiper les risques du déficit qui menacent constamment le corps de l'inspection du travail.
Ces revendications s'inspirent du souci légitime de l'Association de mieux conforter un service public social confronté, comme on le sait, à de graves problèmes.


* Président de l'Association marocaine des inspecteurs du travail
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