Fête du Trône 2006

Pour en finir avec le «grand jeu» du pétrole, il faut d'autres solutions que celle de Bush

30 Septembre 2006 À 16:47

On en revient toujours au pétrole. Les interventions incessantes et mal inspirées des États-Unis et du Royaume-Uni au Moyen-Orient ont leurs racines profondément enfouies dans les sables d'Arabie. Depuis que Winston Churchill a fait passer la marine britannique du charbon au pétrole au début XX ème siècle les puissances occidentales n'ont cessé de se mêler des affaires du Moyen-Orient pour que l'or noir continue de couler.

Des gouvernements ont été renversés et des guerres manipulées pour dominer le "grand jeu” des ressources énergétiques. Mais ce jeu est presque terminé car les méthodes à l'ancienne conduisent à l'échec.

Juste au moment où l'on se laisse aller à croire que ce n'est pas le pétrole qui a motivé l'intervention en Irak des Américains et des Britanniques, la réalité nous remet brutalement les pieds sur terre. C'est ainsi que le président Bush a récemment invité des journalistes à imaginer le monde tel qu'il sera dans cinquante ans. Il ne s'intéressait ni à l'avenir de la science ou de la technologie, ni aux problèmes que va poser l'augmentation jusqu'à neuf milliards d'humains de la population de la planète. Il ne se souciait pas non plus des défis posés par les changements climatiques et la biodiversité. Non ! Il voulait savoir si les islamistes radicaux finiraient par contrôler le pétrole mondial.

Quelles que soient nos préoccupations dans cinquante ans, celle-ci sera sûrement tout en bas de la liste. Et si ce n'est pas le cas, le fait d'avoir renversé Saddam Hussein pour garantir à l'Occident un demi siècle d'approvisionnement en pétrole est la moins crédible des stratégies. Pourtant, toute une batterie de preuves montre que c'est bien ce que Bush avait à l'esprit lorsque son gouvernement s'est détourné de la chasse à Oussama Ben Laden pour aller faire la guerre en Irak.

Il y avait déjà longtemps que l'organisation néo-conservatrice "Projet pour un nouveau siècle américain " caressait l'idée de renverser Saddam. Dès les années quatre-vingt dix, les penseurs de ce " Projet " affirmaient que Saddam risquait de confisquer "une proportion significative des réserves mondiales de pétrole.” Le vice-président Dick Cheney devait à nouveau évoquer le spectre de cette menace pour justifier la préparation de l'intervention en Irak. Il proclama alors que Saddam Hussein construisait un immense arsenal d'armes de destruction massive afin de "prendre le contrôle d'une grande part des réserves d'énergie mondiales.”

Les faits dont disposait Cheney étaient de toute évidence erronés, de même que sa logique. Les dictateurs comme Saddam gagnent leur vie en vendant leur pétrole, pas en le bloquant sous la terre. En revanche, il était clair que, vu de Washington, Saddam était trop désireux de vendre ses concessions à des sociétés françaises, russes ou italiennes plutôt qu'à des entreprises britanniques et américaines.

Il reste que ce n'est pas la guerre en Irak qui permettra d'assurer la protection des réserves pétrolières mondiales pour les cinquante ans à venir. Le risque est bien plus grand que cette guerre ait seulement pour résultat de nourrir ce même extrémisme qu'elle prétend combattre. Nous ne réussirons pas à obtenir une véritable sécurité énergétique en envahissant et en occupant le Moyen-Orient, ou en essayant d'imposer des gouvernements malléables, mais en reconnaissant les réalités profondes de la problématique énergétique.

Tout d'abord, notre stratégie énergétique doit répondre à trois objectifs : des coûts bas, des réserves diversifiées et une réduction drastique des émissions de dioxyde de carbone. Ce constat implique des investissements massifs dans de nouvelles technologies et de nouvelles ressources, et non un combat jusqu'au-boutiste pour contrôler le pétrole du Moyen-Orient.

Les technologies qui doivent être développées sont connues : conversion du charbon en liquides (comme l'essence), utilisation du sable asphaltique et de l'huile de schiste, augmentation des sources d'énergie renouvelables. Nous disposons d'un excellent potentiel d'utilisation de l'énergie solaire à bas prix, de techniques industrielle fondées sur le charbon sans émission de CO2, d'une énergie nucléaire sûre et fiable.

Les rayonnements solaires pourraient couvrir 10.000 fois notre consommation énergétique actuelle. Et nous utilisons cette énergie de nombreuses manières: pour la production agricole, l'énergie éolienne, l'énergie hydroélectrique, le chauffage, l'électricité, les panneaux solaires. Aujourd'hui, les possibilités d'accroître considérablement notre utilisation de l'énergie solaire sont énormes. Or cette énergie a toutes les qualités : elle est bon marché, largement disponible et elle respecte l'environnement.

Le charbon est aussi largement disponible. Il n'est pas très cher, mais il est plutôt solide que liquide, pollue beaucoup et c'est une source d'émission de gaz à effet de serre. On peut pourtant résoudre tous ces problèmes, en faisant les investissements pour la recherche d'autres méthodes d'utilisation. La gazéification du charbon permet de supprimer les polluants dangereux. Le charbon peut être également transformé en carburant à bas prix ; une société sud-africaine commence à exporter cette technologie en Chine.

L'énergie nucléaire, fondée à la fois sur la fission et sur la fusion, constitue une autre possibilité d'énergie primaire à grande échelle : fiable, sûre et écologiquement sans danger. Là aussi il existe naturellement des obstacles technologiques, mais ils paraissent surmontables. Les gouvernements devront évidemment prendre en compte un certain nombre de facteurs politiques et mieux organiser la sécurité des centrales.

Il est décidément paradoxal qu'une administration américaine obnubilée par les périls du Moyen-Orient ait choisi de dépenser des centaines de milliards de dollars pour payer des approches militaires qui finissent toujours par échouer. La solution on la trouvera, pour un coût beaucoup plus bas, à travers la recherche scientifique, la réglementation publique et des incitations financières.

La plus grosse crise énergétique c'est celle qui a été crée par l'énergie mal dirigée d'une politique étrangère américaine bâtie sur la guerre plutôt que sur l'innovation scientifique et le progrès technologique.

(*) Jeffrey Sachs enseigne l'économie et dirige l'Institut de la Terre de l'université Columbia, à New York.

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