L'échiquier politique entre champ de ruines et ressaisissement
La Koutla et le Wifaq ne détiennent plus le monopole du pouvoir >Etats-majors, bureaux politiques des partis, experts en sciences politiques et observateurs patentés de la scène politique nationale ne tarissent pas de commentaires sur le scrutin
LE MATIN
04 Juin 2007
À 17:56
Sur le mode d'une sempiternelle valse d'hypothèses, ou d'un jeu de balancier penchant d'un côté et de l'autre, ils s'échinent à tracer l'avenir, tirant des plans de comète, dessinant la future chambre et sa majorité parlementaire. A coup sûr parce qu'elle semble évidente et partant naturelle, une donnée ne semble pas être prise en compte, ni mise en relief.
Et pourtant, elle constitue une sorte de timide rupture, un signe frileux : il s'agit de la «résurrection» - comme le phénix de ses cendres - de la « majorité non gouvernementale », ou de l'opposition libérale. Et l'élection à la tête du Rassemblement national des indépendants (RNI), plutôt que le mutisme, voire une indifférence abasourdissante, devrait porter à conséquence et susciter des interrogations.
Car elle prélude à une perceptible recomposition de ce qu'on appelle la «droite», longtemps recluse dans un champ de ruines. Rien - ou peu seulement - n'a été dit du processus d'élection de Mustapha Mansouri, dont les gens avertis soulignent le caractère absolument démocratique et impartial.
D'aucuns même n'hésitent pas à décrire son élection comme exemplaire, ce qui traduit manifestement non seulement un changement notable mais une rupture au sein d'un RNI que les observateurs, dans le sillage des partis adverses, ont bon gré mal gré constamment entouré d'une méprisable condescendance.
La «révolution de velours» que connaît apparemment le RNI est typique d'une évolution «à la portugaise» ! Un parti, un Etat même figé des décennies durant sous le syndrome du salazarisme se débride et se libère sous la tornade de la liberté, à charge pour les successeurs - portugais en avril 1974 -, partisans de Mustapha Mansouri en 2007.
Quand bien même le parallèle eut semblé abusif, puisqu'au Portugal ce fut une révolution du Copcon et au RNI un vote à bulletin secret, la «normalisation institutionnelle» reste pour les deux cas le caractère commun. Et dans l'un comme dans l'autre, c'est la démocratie qui a force de loi.
Aujourd'hui, l'échiquier politique national ressemble à une toile d'araignée tant les formations y sont nombreuses et revendicatives d'un statut et d'une légitimité. Au mieux, c'est un champ bigarré qui, pour justifier une diversité démocratique, n'en pose pas moins une question essentielle, à savoir la cohérence ! Non qu'il faille au nom de celle-ci, et surtout d'une logique de cohésion – qui est le contraire de l'atomisation – des forces, invoquer un quelconque darwinisme en la matière.
Mais le pullulement des formations n'assure pas la cohérence, il aboutit à l'éparpillement, surtout des innombrables petites formations livrées en dernière analyse à un jeu de combinaisons aux résultats inattendus. Le seuil de 5% fixé par la loi pour conférer une éligibilité ne résout pas pour autant toute la question de légitimité, il ravive les passions entre les formations capables d'accéder au champ de bataille.
De toute évidence, ce dernier sera dominé par les six ou sept formations traditionnelles et en leur sein même par deux blocs – la majorité et l'opposition – aux périphéries tracées, avec toutefois un enjeu nouveau : la composante du PJD dont quelques-uns s'empressent d'ores et déjà, sans même respecter les précautions d'usage, à annoncer la victoire.
Jusqu'ici, la bataille entre la majorité au gouvernement et l'opposition, disons entre la « gauche » et les « libéraux » se jouait sur un répertoire de langage et de vocabulaire.
La gauche traditionnelle n'est plus la gauche parce qu'en accédant aux affaires en 1997, a misé et parfois gagné sur des politiques de droite – notamment les privatisations –, l'alignement sur un libéralisme social mâtiné de déclarations engagées, alors que la droite s'est vu obliger de peaufiner son profil par des touches de gauche. Les élections législatives de 2002 ont encore davantage brouillé les repères, car elles ont marqué une autre transition au nom du pragmatisme et d'une culture inspirée tout droit d'Alexis de Tocqueville, autrement dit la démocratie avec son corollaire social et économique.
La bataille, s'il en fut, ne pouvait qu'être molle et moins acharnée. La Koutla incarne toujours un regroupement plus ou moins homogène, mais n'en traverse pas moins une crise d'identité qui tient à ses disparités structurelles, elle est déchirée, voire fissurée par des courants forts de contestation en interne – et les deux dernières années en ont illustré l'évolution – et par l'émergence sur ses bordures de formations qui se réclament du même héritage. Le Wifak est bel et bien homogène, un tantinet renforcé par un consensualisme prononcé, mais reste interpellé gravement par une mise à jour, par le besoin impératif de compter ses forces et de savoir surtout si le socle idéologique emporte toujours l'adhésion de tous les partenaires du bloc.
A tort ou à raison, les deux blocs ont incarné dans l'esprit de l'opinion la « gauche » et la « droite ». Or, rien n'est moins sûr, parce qu'un tel clivage n'a plus de mise et se heurte, c'est le moins que l'on puisse dire, à une réalité moins tranchée et certainement pas définitive ni juste. Ces deux pôles, la Koutla et le Wifaq, ne détiennent plus le monopole du pouvoir sur l'échiquier national, non plus celui d'incliner ou d'infléchir le mouvement dans un sens puis dans l'autre. Les électeurs n'ont jamais été aussi insaisissables et imprévisibles qu'ils le sont aujourd'hui, ils n'ont jamais été aussi disséminés et flous qu'à présent.
Or, ils seront pourtant les maîtres du verdict d'une consultation que les pouvoirs publics tiennent à entourer de la plus grande rigueur et de la totale transparence, puisqu'il est question – ce qui ne réjouit pas forcément nos cœurs et nous fait comparer à des « républiques bananières » - d'assurer la présence d'observateurs internationaux.
Les deux pôles en compétition n'ont pas d'autre choix aujourd'hui que de dresser le constat implacable de leurs forces et faiblesses à quelques trois mois du scrutin. Ils ne peuvent, sous peine de verser dans l'aveuglement suicidaire, occulter cette troisième force qui bénéficie des bonnes grâces d'une certaine opinion, de certaines ambassades, voire d'une certaine presse qui, le scalpel du bon docteur dans une main et le glaive du justicier brandi dans l'autre, taille des croupières à tout le monde et prépare le lit au populisme et au PJD. Des promesses et des engagements souvent teintés de démagogie sont prodigués ici et là, invoquant pureté et moralisation, à charge pour la même presse de lancer des horions et des coups bas.
Le gouvernement finalise, amendements et cosmétiques à l'appui, le cadre réglementaire d'une élection attendue par tous ! Il vient d'annoncer la somme de 200 millions de dirhams en faveur des partis, dont une première tranche livrable sous peu pour la campagne électorale. Cette disposition vient après tant d'autres, précipitant chaque jour un peu plus la concrétisation de l'alternance, rapprochant en effet la date butoir du 10 septembre et interpellant les formations et les états-majors politiques.
Quel sera, en effet, le jeu des diverses formations politiques au cours des prochaines semaines dont aucune, quelles que soient sa force et prétentions, ne saurait échapper à une certaine ambiguïté ? Les calculs de ralliement, s'ils n'ont déjà pas commencé, sont présents dans tous les esprits et font même l'objet de scénarios croisés dans les salons et les dîners en chaumières. «Alliés» ou «ralliés», ils pèseront pour ce qu'ils sont, sans toutefois influer sur la donne qui est une continuité institutionnelle et dont le scrutin de septembre constitue à la fois la marque et le changement.
Quel que soit le résultat des élections législatives, il convient de souligner que c'est d'abord aux plus graves problèmes de la nation qu'il faut s'atteler, laissant aux vestiaires les fidélités partisanes ou les chicaneries inutiles. La lutte contre le chômage, la justice sociale, l'expansion économique lancée déjà, la formation, l'équipement et la santé en constituent le premier palier. De toutes ces problématiques, il faut commencer à débattre, au niveau des programmes des partis, des cercles et des rassemblements, en attendant les antennes de la télévision et des radios, car le citoyen est forcément en attente, jugera sur pièce, comparera à loisir entre les nombreuses et différentes propositions qui lui sont soumises et se prononcera.
C'est en définitive essentiellement sur leurs programmes économique et social que les partis devraient faire campagne et les électeurs les élire, car sur les autres grands sujets, il n'est pas de différence en matière de politique étrangère, régionale ou internationale. Le Maroc, engagé dans la batille multiforme du progrès, du développement, de l'intégrité territoriale, de la construction d'un modèle de société tolérant et ouvert, ne peut prendre le risque ni se payer le luxe d'interrompre sa marche.