L'humain au centre de l'action future

Un monument de la littérature arabe tire sa révérence

30 Août 2006 À 15:55

L'une des plus grandes figures de la littérature égyptienne et arabe n'est plus. Naguib Mahfouz, s'est éteint mercredi à l'âge de 94 ans. Seul auteur de langue arabe à avoir reçu le Nobel de littérature, en 1988, Mahfouz est décédé dans un hôpital public de la capitale égyptienne des suites d'une insuffisance rénale, d'une pneumonie et de problèmes liés à son âge avancé.

Presque sourd et aveugle, ayant survécu, en 1994, à une tentative d'assassinat perpétrée par un groupe extrémiste, Mahfouz est mort mercredi matin à l'hôpital de la police du Caire, sa ville natale et la grande scène de sa création littéraire.
De simple romancier, il est passé au rang d'icône incontournable de la métropole égyptienne.

Des lieux comme Khan Al Khalili ou le café El Fishawi sont devenus célèbres dans le monde arabe parce que fréquentés par l'éminent écrivain et son cercle d'amis qu'il appelait " Al Harafich " pour marquer une marginalité volontaire, composé de figures imposantes de l'art, de la culture, voire de la sphère politique de la société cairote. Ils s'y réunissaient régulièrement pour discuter de littérature, de politique et de faits de société.

De ce rendez-vous hebdomadaire, sont issus de nombreux intellectuels et artistes de renommée. Des noms imposants comme l'acteur Ahmad Madhar, les écrivains Jamal El Ghitani et Oussama Anouar Oukacha, le poète Ahmad Abdel Mouâti Hidjazi étaient des inconditionnels de ce café devenu un véritable club de la pensée moderne au cœur du Caire ancien. Son disciple, Jamal Ghitani, affirme "être, avec d'autres, sorti du manteau de Mahfouz". La récupération touristique de ce lieu mythique reste à déplorer car cela a contribué à vider l'endroit de sa portée intellectuelle. Son approche de la littérature, qui lui a valu l'obtention du prix Nobel, est une écriture qui puise ses éléments de fiction dans la réalité sociale du Caire, à différentes époques.

C'est l'un des premiers à avoir délaissé l'élégance de l'expression pour créer, par un langage accessible à tous, des personnages dont la vraisemblance permet de croire qu'il a instrumentalisé des tranches de vie tirées de personnes ayant réellement existé. Cette conception de l'écriture, qui était une véritable révolution dans le paysage littéraire arabe de l'époque, lui a valu de nombreuses critiques de la part des gens de lettres égyptiens.

Une cinquantaine de romans plus tard, Naguib Mahfouz est devenu en 1988 le premier écrivain de langue arabe à recevoir le prix Nobel de littérature. Il en est le seul lauréat arabe à ce jour. Il s'est dit l'héritier des égyptiens Taha Hussein, Mohammed Hussein Haykal ou Tawfiq al-Hakim. Il affirmait avoir apprécié la poésie antéislamique et lu avec passion le Russe Tolstoï, l'Anglais Dickens ainsi que les Français Zola ou Camus.

Après des études de philosophie, devenu fonctionnaire, il s'était progressivement adonné à la littérature. Il n'a été reconnu que dans les années cinquante après la parution d'un énorme roman de 1.500 pages, la " Trilogie ". Dans ce triptyque (" Bayn al-Qasrayn ", " Qasr al-Chawq ", " Al-Sukkariyya "), il décrit les espoirs et les désillusions politiques d'une famille bourgeoise cairote sur trois générations entre 1917 et 1944.

Naguib Mahfouz s'est toujours intéressé à la politique et sympathisé avec le Wafd, l'ex-grand parti nationaliste et libéral, qui luttait contre le colonialisme britannique avant la Révolution nassérienne de juillet 1952.
En 1959, il termina son chef d'œuvre " Awlâd hâratinâ ", roman parabole dans lequel Dieu est symbolisé par un patriarche régentant ses descendants, les prophètes des trois religions monothéistes. Parce qu'un quatrième personnage semble annoncer la mort du divin, le livre est alors interdit en Egypte par Al-Azhar, la plus haute autorité de l'islam sunnite, qui a jugé l'œuvre " blasphématoire ".
La capitale égyptienne et ses quartiers étaient pour lui non seulement une métaphore de l'Egypte, mais de l'humanité tout entière, avec ses passions, ses vices, ses certitudes, tout autant que ses doutes, politiques et religieux.

Mahfouz a été l'un des rares intellectuels égyptiens et arabes a avoir approuvé les accords de paix entre l'Egypte et Israël, signés par Anouar Essadate en 1979, tout en se déclarant totalement solidaire des Palestiniens. " Je suis du côté de la connaissance, seule voie de salut dans cet océan houleux d'ignorance dans lequel nous sommes appelés à vivre ", avait résumé d'un trait Mahfouz, partisan d'un islam modéré, farouchement opposé à l'intégrisme.

En butte aux attaques d'extrémistes, il a été la cible de plusieurs agressions verbales et musclées. Depuis la tentative d'assassinat à l'arme blanche par un intégriste, en octobre 1994, Mahfouz était paralysé de la main droite et avait cessé d'écrire, dictant ses textes.

Il avait provoqué en début d'année la consternation d'intellectuels égyptiens pour avoir demandé l'imprimatur d'al-Azhar pour faire enfin publier "Awlâd hâratinâ ", au Caire alors qu'il n'avait pu être édité en arabe qu'à Beyrouth.
Malgré ses positions sur Israël, son œuvre littéraire est devenue un classique, diffusée et étudiée dans tous les pays arabes.
Hospitalisé à la suite d'une chute, le 16 juillet dernier, il a été victime d'une série de complications aux reins, aux poumons et au colon, son organisme s'affaiblissant peu à peu.

Les obsèques auront lieu aujourd'hui à midi heure locale, dans la mosquée Al-Rashdan du Caire. Cette mosquée accueille de nombreuses funérailles de personnalités auxquelles l'on rend les honneurs militaires. Le Président égyptien Housni Moubarak est vraisemblablement attendu aux funérailles.

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