Le Pentagone publie les noms des détenus de Guantanamo
Le Pentagone a rendu publics pour la première fois, le nom et la nationalité de la plupart des centaines de prisonniers du centre de détention militaire américain de Guantanamo, après en avoir reçu l'ordre par un juge fédéral de New York.
Le Pentagone n'a pas diffusé une liste proprement dite des noms des quelque 490 prisonniers toujours détenus à Guantanamo, sur l'île de Cuba, mais a publié environ 5.000 pages de scripts d'auditions concernant leur statut d'"ennemi combattant” où apparaissent ces informations.
Cette publication est le résultat d'une requête déposée auprès de la justice par l'agence de presse américaine Associated Press. Les noms et les nationalités des détenus étaient jusque-là masqués dans ces documents qui avaient déjà été publiés en juin 2005.
Le centre de détention de Guantanamo a été ouvert en janvier 2002. Ses détenus, originaires d'une trentaine de pays, ont été capturés pour la plupart en Afghanistan à l'automne 2001 et sont incarcérés en dehors des règles et garanties judiciaires internationales classiques.
Bras de fer autour des droits des prisonniers
Les prisonniers de Guantanamo (Cuba) font l'objet d'un nouveau bras de fer, l'administration Bush souhaitant leur barrer la route des tribunaux, y compris en cas de tortures. Fin décembre, l'adoption de l'amendement du sénateur John McCain sur le traitement des détenus (Detainee treatment act) aurait pu paraître prometteuse pour les droits des quelque 490 prisonniers de la base navale: il avait pour but de bannir "tout traitement cruel, inhumain ou dégradant”. "La loi dit que vous ne pouvez torturer ou maltraiter les prisonniers, quel que soit l'endroit où qu'ils se trouvent, y compris à Guantanamo”, a déclaré Tom Malinowski, l'un des responsables de l'organisation de défense des droits de l'Homme Human Rights Watch à Washington.
Mais c'était compter sans l'amendement "Graham-Levin”, voté à la même occasion, qui interdit aussi presque tout recours des prisonniers de Guantanamo devant les tribunaux américains. En vertu de cet article, les "ennemis combattants” détenus à Guantanamo n'ont aucun recours pour contester en justice leurs conditions de détention.
Tout juste la Cour d'appel de Washington peut-elle se pencher sur leur dossier pour examiner leur statut d'"ennemi combattant”. En conséquence, des centaines de plaintes pourraient être annulées. L'"habeas corpus”, principe sacro-saint du droit anglo-saxon et de l'Etat de droit en vertu duquel tout détenu peut saisir un juge sur ses conditions de détention, n'est pas, selon l'administration, applicable. L'affaire Mohammed Bawazir, du nom d'un prisonnier yéménite de 37 ans, a illustré cette semaine la portée de la loi.
Les avocats de M. Bawazir ont saisi le tribunal fédéral de Washington le 24 février, pour contester une nouvelle méthode d'alimentation forcée sur un détenu en grève de la faim, relevant selon eux de la torture. Entre le 11 et le 22 janvier, M. Bawazir a notamment été attaché à une chaise deux fois par jour et alimenté de force avec un tube plus large qu'à l'accoutumée. L'administration a confirmé qu'elle avait recouru à cette méthode, selon elle "humaine” et non douloureuse.
Le détenu affirme toutefois que cette technique d'alimentation forcée le fait souffrir et l'humilie : il serait forcé d'ingérer des quantités importantes d'eau avant d'être interdit de se rendre aux toilettes, au point de se souiller. "La douleur et l'humiliation (...) l'ont amené à abandonner provisoirement sa grève de la faim”, disent ses avocats, alors que d'autres prisonniers auraient recommencé à se nourrir en raison de cette méthode.
L'administration a nié tout mauvais traitement et a surtout affirmé, dans un document présenté mercredi à la justice, que les détenus n'avaient de toutes manières pas la possibilité de contester leurs conditions de détention, quelles qu'elles soient.
"La loi sur le traitement des détenus (...) amende la législation sur l'habeas corpus pour retirer toute compétence (à cette cour) pour entendre ou examiner des plaintes d'étrangers détenus à Guantanamo”, argumente le gouvernement.
La juge saisie a, pour l'instant, refusé de se déclarer incompétente et a demandé des mémoires complémentaires aux deux parties.
Dans une autre affaire, "Hamdan contre Rumsfeld”, portant cette fois sur la légalité de la procédure d'exception mise en place pour juger les détenus de Guantanamo, le gouvernement a, aussi, demandé à la Cour suprême de se dessaisir.
Celle-ci n'a pas encore tranché. "Nous devons attendre de voir ce que la Cour décide”, a résumé M. Malinowski. A l'étranger en revanche, les alliés de l'administration s'impatientent.
A Rome, un important cardinal du Vatican, Renato Raffaele Martino, a estimé vendredi que la "dignité de l'Homme n'était pas du tout respectée à Guantanamo”.
"J'espère qu'une procédure judiciaire pourra être mise en place et que Guantanamo pourra fermer”, a déclaré pour sa part le Premier ministre britannique Tony Blair mercredi.