Quand la photo se marie au verbe
Des portraits de poètes marocains dévoilés à l'Institut français de Casablanca
LE MATIN
19 Mars 2007
À 15:02
Cheveux noirs bouclés, regard perçant et sourire discret, Ghita el Khayat en costume noir, la posture droite et la tête levée est fière d'être femme, d'être
écrivaine et fière également d'être parmi les poètes marocains dont les photos sont exposées actuellement à l'Institut français de Casablanca.
Ils sont, en effet, trente poètes de chez nous à avoir posé devant l'objectif du célèbre photographe Jean-Claude Laffite. La collection conçue et réalisée par ce dernier ne date pas d'aujourd'hui. Elle a, en fait, été montée en juin 2006 par l'Institut français de Kénitra pour saluer la sortie du livre de Jean Pierre Koffel "Anthologie de la poésie marocaine" (Ed. Aïni Bennaï). Presque une année plus tard, les photographies voyagent de l'ancien Port
Lyautey où elles ont été exposées pour la première fois à la ville blanche, à l'occasion du printemps des poètes.
Elles seront exposées, cette fois-ci, à la médiathèque de l'Institut français jusqu'au 31 mars.
Le journaliste et artiste photographe Jean Claude Laffite est un grand amoureux du Maroc. Rappelez-vous l'année dernière, il avait publié un ouvrage intitulé "Le Maroc à contre-jour" qui présente une sélection des multiples clichés accumulés pendant 15 ans et réalisés au hasard des rencontres. Dans ce livre, véritable promenade poétique à travers le temps et l'espace, l'artiste a dressé le portrait d'un pays qui l'a fasciné et qui le fascine encore.
Cette exposition en est la preuve irréfutable. Encore une fois, l'artiste nous dévoile un autre côté mystérieux de notre pays, un côté qui nous est dévoilé cette fois-ci par de simples visages de grands poètes de l'ère actuelle. Béret sur la tête, costume enfilé avec un désordre artistique voulu, regard profond, la personne assise majestueusement sur une chaise en fer forgé met le poignet sous le menton, …le modèle ne peut être que poète... Les regards enchanteurs de certains, les rides qui marquent les années vécues par d'autres et les sourires discrets mais révélés devant l'objectif de l'artiste…, autant de petits détails qui ressortent de ces photos vous approchent du monde secret du poète.
Ce personnage qui nous éblouit tous par son imaginaire fertile, son lyrisme et sa grande sensibilité. Ces éléments sont mis en exergue grâce au noir et blanc utilisé par le photographe. Le choix de ces couleurs n'est pas fortuit, puisque l'artiste veut montrer un fort contraste et mettre en valeur certaines parties de sa composition. Le photographe ajoute, par ailleurs, une touche artistique par le choix des lieux. Un homme en costume-cravate posant devant un mur en céramique marocaine transforme l'œuvre en un patchwork de contrastes : tradition et modernité.
Certains, plus proches de la nature, ont été pris en photo dans des jardins, tandis que d'autres, fidèles à leur compagnon de prédilection, le livre, ont préféré poser dans des bibliothèques. Cette exposition se nourrit de chaque lieu et s'enrichit à chaque étape de nouveaux poèmes car, au regard de chaque portrait, figure le manuscrit d'un texte. Chaque poète a choisi quelques-uns de ses vers pour les écrire à côté de sa photo.
Le visiteur peut ainsi lire une partie de l'œuvre tout en contemplant la photo de son créateur. Comme si le poète
ne saurait être complet que si le langage des mots venait rejoindre celui de l'image.
Un seul souci persiste, le fait que tous les textes ne soient pas tous lisibles. Habib El Amrani, un des participants à l'exposition, déclare «C'est une exposition touchante et qui flattera certainement l'ego des auteurs, mais il est dommage que tous les textes ne soient pas à la hauteur des yeux, ce qui en aurait grandement facilité la lecture»
L'exposition intitulée «Le printemps des poètes», fait découvrir également de nouveaux auteurs. Aux côtés des maîtres des vers comme Mohammed Khaïr Eddine, Josiane Lahlou ou encore Fatéma Chahid, on trouve les jeunes poètes comme Abdelmajid Benjelloun, Rachid Khaless et Karim Boukhari.
Il est à rappeler que cette promenade poétique a été poursuivie par un café littéraire tenu le jeudi 15 mars. L'évènement a rendu hommage aux grands poètes de la littérature francophone. Une littérature qui a encore de beaux jours devant elle, surtout que la plupart des poètes d'aujourd'hui conçoivent la poésie de langue française comme une aventure risquée, au seuil de l'exil et de l'interdit.
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Autour du portrait
La photographie a toujours exploré la totalité des sous-genres du portrait.
Des portraits officiels commandés par les puissants de ce monde aux portraits de nu, en passant par les images de célébrités artistiques ou intellectuelles, le portrait familial, et l'autoportrait… au fil du temps, le portrait s'est déplacé du professionnel vers l'amateur et de l'espace public vers le privé.
A ce changement, correspond un autre. Le portrait sera conçu plus comme un genre familial, puis comme un genre personnel. Enfin, les frontières entre portrait "posé" et instantané "volé" ont fini par s'effacer dans cet usage privé. L'évolution du portrait ne fera que reconduire sa place importante, il sera de tout temps un des usages sociaux majeurs de la photographie.