10 mai, symbole de la prise de conscience d'une communauté noire
La commemoration nationale, le 10 mai, de l'abolition de l'esclavage, encore impensable il y a quelques années, symbolise à la fois la prise de conscience de la mémoire des traites négrières et la montée en puissance de la communauté noire dans le débat politique français. Christiane Taubira, députée de Guyane et auteur de la proposition de loi pour «la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité» adoptée le 10 mai 2001, se félicite de cette commémoration.
«On n'est plus dans le conflit, dit-elle. C'est enfin l'histoire de la France assumée par toute la communauté nationale». La population noire de France est généralement estimée à environ cinq millions de personnes. Le 10 mai sera en effet la première commémoration en France continentale de l'abolition de la traite négrière et de l'esclavage. Des commémorations, à des dates différentes, existaient déjà dans chacun des quatre départements d'outre-mer (Guyane, Guadeloupe, Martinique et Réunion) auxquelles le 10 mai ne se substitue d'ailleurs pas.
Pour l'ancienne candidate radicale à la présidentielle de 2001, «la mémoire de l'esclavage a provoqué une faille qu'il s'agit de combler». «C'est un enjeu essentiel pour notre société, dit-elle. On sous-estime en général les risques considérables que cela représente pour la cohésion nationale».
L'enjeu de la mémoire de l'esclavage et les risques de désagrégation sociale qu'elle comporte semblent être bien entendus non seulement par des intellectuels, comme le sociologue Michel Wieviorka, l'historien Benjamin Stora ou le démographe Hervé Lebras, mais aussi par une partie de la classe politique.
Le week-end dernier, des personnalités allant du parti au pouvoir UMP au parti communiste se sont en effet rendus aux premiers Etats généraux des populations noires qui étaient organisés par le Cran (Conseil représentatif des associations noires).
Le Cran, fondé en novembre 2005, rassemble des sensibilités différentes et réfute toute idée de communautarisme. Aux Noirs, d'origine ultramarine ou africaine, venus nombreux à cette occasion réclamer une meilleure place en France, Patrick Devedjian, conseiller politique du ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy, a répondu qu'il voyait dans leur mouvement «l'espoir d'un très puissant instrument d'intégration et d'amélioration de la situation des Noirs» en France.
Au-delà des échéances de l'élection présidentielle de 2007, Michel Wieviorka, voit dans le Cran un mouvement qui «pose de vraies questions en termes sociaux et culturels». Loin d'être un mouvement «communautariste» dans le sens d'un repli sur soi, il se situe, dit-il, «dans une vision positive de la communauté noire». Pour Pap Ndiaye, chercheur à l'Ecole des Hautes études en sciences sociales, il est important qu'à côté des commémorations officielles qui auront lieu le 10 mai - le Président Jacques Chirac inaugurera un monument dans le jardin du Luxembourg - la fête devienne aussi celle de «tous les Français». Cet unanimisme souhaité par beaucoup a pourtant été mis à mal par l'initiative de quarante députés de l'UMP qui ont demandé l'abrogation d'un article de la loi «Taubira» sur l'esclavage.
Ils justifient leur initiative par la similitude formelle entre cet article et celui abrogé dans la loi sur les rapatriés, qui évoquait le «rôle positif» de la colonisation et avait suscité la colère, notamment en Algérie.
Par ailleurs, la mémoire de l'esclavage, après celle de la Shoah, mobilise de plus en plus l'école française, notamment dans les banlieues à forte population d'origine immigrée ou antillaise où le thème des origines est devenu l'une des principales préoccupations des élèves. «Nous avons eu un colloque en décembre organisé par la direction de l'enseignement scolaire (Desco) où le thème de l'esclavage était traité.
Il a montré que l'enseignement de la mémoire de la Shoah est « réglé » mais que la traite négrière pose toujours problème» analyse Dominique Comelli, professeure d'histoire à Saint-Nazaire (ouest) et membre du «groupe histoire» au syndicat d'enseignants Snes.
Aujourd'hui, constate-t-elle, «on prend de plus en plus en compte une revendication pour cette mémoire là».
Selon la spécialiste, «il y a quinze ans, personne ne parlait de l'enseignement de la Shoah. Notre société veut mettre désormais en avant sa mémoire et toutes les mémoires ont envie de se faire connaître». Sur le terrain, le thème de l'esclavage, en banlieue parisienne notamment, passionne les collégiens.
«Les gamins, ils adorent ce thème. Ils sont très curieux sur l'esclavage, ils se posent des tas de questions et ne se positionnent pas très bien dans sa définition», s'étonne Laurence, une jeune prof d'histoire dans un collège de Créteil, en banlieue est. «Il y a une sensibilisation croissante du corps enseignant pour les questions de l'esclavage, notamment après les émeutes de novembre qui ont remis sur le devant de la scène la question des origines», analyse de son côté Luc Bérille, secrétaire général du syndicat des enseignants SE-Unsa.
Selon le ministère de l'Education nationale, les programmes du primaire, qui balayent les siècles à chaque niveau, font une mention explicite au problème de la traite des noirs quand on en arrive au XV Dans l'enseignement secondaire, les programmes d'histoire font peu de place à ce thème.