Spécial Marche verte

Quand la rumeur circule…

01 Juillet 2006 À 19:12

Dimanche 25 juin à 17 h à Rabat. La panique gagne plusieurs maisons r'baties. Les langues se délient, les téléphones ne cessent pas de sonner, tout le monde veut savoir ce qui se passe au Méga Mall. Apparemment, une fusillade aurait eu lieu dans le centre commercial, mais très vite on entend qu'il s'agit d'un groupe de terroristes. Ensuite, on apprend que ce sont en fait des braqueurs armés de mitraillettes, à bord de deux voitures, qui sont entrés par la porte numéro 4 du bâtiment pour voler la recette du Méga Mall…

En fait, il s'agit tout simplement d'une bande criminelle, composée de quatre ressortissants britanniques, qui a été arrêtée par les services de police. Donc pas d'armes, pas de fusillade, et pas de vol. Il n'y a pas si longtemps non plus, le 25 mai dernier, le Maroc entier était en état d'alerte, plusieurs personnes s'étant déplacées au centre du pays pour échapper au … TSUNAMI qui allait ravager les côtes atlantiques du Maroc.

Cette rumeur, reprise par plusieurs journaux, a fait le tour du pays en un rien de temps. Plusieurs personnes n'ont pu fermer l'œil pendant trois jours au moins. Une femme a même déclaré à la télévision marocaine qu'elle et ses proches s'étaient habillés et étaient restés éveillés toute la nuit. Le 26 mai au matin, tout était encore en place : le tsunami n'a pas eu lieu et après vérification et démentis officiels, l'info s'est révélée être une rumeur qui circulait sur Internet. Les rumeurs qui ont provoqué la panique et déstabilisé la société pendant un laps de temps sont nombreuses.

Au lendemain du 16 mai, et pendant plusieurs mois, la population n'avait à la bouche que la peur d'attentats éventuels. Les rumeurs les plus folles ont circulé sur des découvertes d'armes, de supposés attentats déjoués, etc. Le renforcement des mesures de sécurité et les contrôles routiers plus fréquents ont contribué également à nourrir ces rumeurs. Résultats des courses : beaucoup de gens se sont terrés chez eux. Une des plus vieilles rumeurs, qui jusqu'à aujourd'hui n'a jamais pu être démentie, date des années 50. Alors que la Famille Royale était en exil, un bruit a couru comme quoi on pouvait voir le visage de feu Mohammed V dans la lune.

Des théories ont été élaborés sur ce phénomène et aujourd'hui encore, alors qu'il a été prouvé que ce n'était en fait qu'un effet d'optique, une illusion, plusieurs personnes encore y croient dur comme fer. Considérée comme le plus vieux média du monde, la rumeur commence généralement par une conversation et puis un jour, la nouvelle arrive jusqu'aux oreilles des médias avec insistance. Un coup de fil, puis deux, puis trois ! Et la machine s'emballe. Les nouvelles technologies contribuent également à véhiculer l'information nullement vérifiée. Et pour peu qu'on l'ait lue ou cru la lire, la rumeur devient vérité.

La rumeur, un fantasme inconscient

D'après le Larousse, la rumeur est un bruit confus, une nouvelle qui se répand dans le public. Selon Jalil Bennani, psychiatre : «Le dénominateur commun de toutes les rumeurs est l'imaginaire qui fait dire à quelqu'un quelque chose et dont on ne connaît pas la source». Il s'agit également de la mise en scène d'un fantasme qui se joue dans un théâtre qui est celui de la rue. Dans le cas de situation de catastrophe, tel que le Tsunami ou le Méga Mall, si les gens sont prêts à y croire, c'est qu'ils ont au fond d'eux-mêmes une attente anxieuse, une angoisse qui se trouve dans le quotidien.

La situation de catastrophe est donc un ancrage de leur angoisse, explique Jalil Bennani. La rumeur a également un intérêt affectif et un côté ragot, ce qui provoque de la fascination et la stimulation de la curiosité. Autre caractéristique de la rumeur, la déresponsabilisation. «Les gens disent» non m'a dit", «on raconte que» ... et n'y sont pour rien. Ceci montre que la personne en réalité n'a pas de parole propre.

Il y a toujours un autre qui se cache derrière. En fait dans la rumeur, il y a toujours de l'imaginaire, la question est la mise en scène collective des rêves. Tout dépend de comment les individus font jouer leur imaginaire pour assouvir leurs fantasmes. Et souvent, les foules sont prêtes à s'emporter avec des rumeurs, des imaginaires qui deviennent des liens entre les individus. Des liens latéraux qui n'ont pas de chef ni de but», souligne Jalil Bennani. Il faut, toutefois, se méfier de la rumeur. Elle entretient le lien social et permet d'échanger entre nous.

Mais, il arrive cependant qu'elle soit nuisible. D'ailleurs, dans certains cas, l'un de ses objectifs consiste à faire mal. A déstabiliser. Si le phénomène est universel, faisant partie intégrante de la «civilisation» humaine, au Maroc, il s'agit véritablement d'un sport national. Cela ne coûte pas en argent, ne demande pas d'effort, il suffit juste d'être un peu malveillant.
La rumeur peut aussi être à l'origine de guerres, de coups d'Etat, de discorde familiale, d'actes irréversibles.

Elle est surtout une arme redoutable de propagande et de manipulation. L'exemple de feu Mohammed V dans la lune est une propagande qui a été utilisée par les nationalistes du temps du protectorat pour rallier la population à la cause. «Mohammed V était un libérateur, un chef charismatique, tout était donc réuni pour attendre le retour de la personne aimée. Lever les yeux vers le ciel veut dire qu'on attend son retour et qu'il jouit d'une protection divine», continue notre psychiatre. Seul le temps peut mettre fin à une rumeur.

Mais encore faut-il qu'il n'y ait pas de relais ! Les médias sont le meilleur vecteur de celle-ci, sans compter les démentis : lorsqu'on dément une rumeur, il y a un pourcentage de personnes qui la colporte à nouveau et d'autres qui se disent que si c'est démenti, c'est que c'est vrai. «Pour qu'une rumeur meurt il faut instaurer le principe de réalité (cas du tsunami) et tout ce qui peut provoquer le réveil, La psychanalyse peut également être un moyen, mais seules les personnes, qui se sont remises en question, iront analyser leurs fantasmes.

Toutefois, lorsqu'il y a un doute, il faut introduire un esprit critique» conclut notre psychiatre. En d'autres termes, fantasme ou pas, avant de s'emballer et de provoquer un remue-ménage autour de vous, pensez à vérifier la source de l'info d'une part et sa plausibilité d'autre part !
Copyright Groupe le Matin © 2025