«Balak ! Balak !» ou l'éternel cri de la vieille médina
"Balak! " veut dire quelque chose comme " Ecartez-vous ! " ou " Attention ! ", et c'est ce cri que ressasse, de part en part des principales artères, tout porteur ou transporteur à dos d'âne de la médina de Fès.
En fait, le crieur ne fait qu'avertir les usagers des étroites ruelles de la présence d'ânes bâtés, chargés de ballots pouvant les accrocher, les érafler ou les bousculer. Cela signifie aussi qu'il y a dans les parages immédiats le porteur d'une lourde charge, pressé d'aller la déposer chez son client.
Logiquement ou humainement, le passant est tenu de dégager le chemin pour laisser passer à l'aise l'âne ou l'homme chargé. Avec le temps, le cri a fini par entrer dans le registre de l'identification des ruelles de Fès et, aujourd'hui, il est pratiquement impossible d'imaginer la vieille ville sans ses multitudes de cris, dont " Balak ! balak ! ".
Fès a d'ailleurs ses ânes bien à elle, qui savent cheminer, le pas pressé ou lent, à travers son dédale de ruelles, inextricable pour le visiteur venu d'autres cieux, car les Fassis les connaissent comme leurs poches. Sinueuses à merveille, elles s'entrecroisent et s'emmêlent pour qui n'est pas de la ville et finissent par le ramener à la case départ ou le fourvoyer dans une impasse.
Heureusement pour l'étranger que la cité est polyglotte et qu'on finit toujours par y rencontrer qui pourrait vous renseigner en français, en espagnol ou en anglais, voire en néerlandais et autres langues peu courantes.
Les venelles sont souvent si étroites que le transporteur est obligé d'y adapter le fardeau de ses petits ânes qui, curieusement, trottent allègrement malgré leurs charges qui ont l'air parfois trop lourdes pour leurs jambes frêles. Les fardeaux touchent les murs, y traçant des éraflures qui s'ajoutent à d'autres laissées par le passage d'autres ânes.
Au " Balak, Balak ! ", les passants sont parfois obligés de se précipiter aux entrées des vieilles demeures pour éviter d'être bousculés par des équidés pressés, dont la vue est limitée par les œillères.
Dans les principales et étroites voies en pente tantôt raide, tantôt assez douce, mais jamais commode, les parois ne sont qu'une suite de boutiques, les unes assez vastes, les autres en niche, où s'affairent des marchands de toute la gamme de l'artisanat marocain, aimables et prêts à vous concéder, sans se fatiguer, une bonne séance de marchandage pour vous céder un ou plusieurs de ses objets, de la jellaba au service à thé, en passant par de menues choses que le touriste ne peut s'en aller sans en emporter quelques spécimens pour le souvenir.
Dans ce désordre apparent, il y a quand même un certain ordre : les commerces sont souvent groupés par spécialités. Il y a la rue du tissu et vêtements, où toutes les niches miroitent de soies roses, bleues, orange ou capucine, de broderies d'argent et d'or - et où stationnent les mannequins en dames blanches, voilées et drapées sous leurs djellabas blanches...
Il y a la rue de la maroquinerie, où pendent des milliers de harnachements multicolores pour les chevaux, les mulets ou les ânes, toutes sortes d'objets de chasse et de guerre de formes anciennes et étranges, poires à poudre pailletées d'argent et de cuivre, bretelles brodées pour les fusils et les sabres, sacs de voyage.
Et partout où l'on va dans le dédale, on ne peut échapper au fameux " Balak! Balak ! Balak ! ", aux petits ânes et mulets pressés de parvenir à destination. Têtu comme une mule n'est pas ici un adage creux car, lorsqu'une mule est prise de colère dans l'une de ces rues étroites, il faut que le monde des marchands s'y mette pour de bon pour l'obliger à reprendre le chemin. Rue des cuivres, le " Balak " n'intervient que par intermittence dans les interminables coups de marteaux que donnent les maîtres artisans de la spécialité sur les objets à façonner.
Chez les brodeurs, occupés dans leurs petites niches à donner du relief au tissu, c'est plutôt calme. Il y a beaucoup à dire, bien entendu, des forgerons, des teinturiers, des marchands d'épices et leurs fameux arômes exotiques. Ce qui est merveilleux dans cette vieille ville, c'est que tout a l'air immuable. Le XXe siècle a tout chamboulé au Maroc, mais ses ambitions de tout changer dans les vieilles villes semblent s'être arrêtées à leurs vieilles portes. En témoigne le mode de construction dans les nouvelles villes, faites de bâtiments modernes, alors que dans les médinas, les vieilles méthodes semblent avoir dit aux nouvelles :
" Balak ! Balak ! Balak ! ".