La résistible ascension de Segolene Royal
LE MATIN
13 Février 2006
À 15:52
Ségolène Royal n'est officiellement candidate à rien, mais, à deux ans de la présidentielle française, cela ne l'empêche pas de s'envoler dans les sondages. D'après l'enquête d'opinion effectuée par BVA le 4 février, elle serait la mieux placée des socialistes au premier tour, sans toutefois devancer Nicolas Sarkozy au second. Mais, selon le CSA, 51% des sondés envisageant de voter pour elle au second tour, elle pourrait donc se retrouver en position de battre le même Sarkozy.
C'est plus qu'il n'en faut pour que les autres candidats socialistes à la candidature, qui l'observent de près, sortent de leur prudente réserve. Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn, ont dans un premier temps donné à leurs troupes la consigne de continuer «sans s'occuper des autres».
Mais, irrité de la «ségomania» dans les médias, DSK s'est indigné de la rupture du «code de bonne conduite» qui veut que, pour l'instant, les prétendants taisent leurs ambitions.
Soupçonnant un complot entre Ségolène et François Hollande, l'homme dont elle partage la vie et qui est en même temps secrétaire général du PS, Strauss-Kahn a grogné sur RTL: «Hollande nous demande d'attendre novembre pour parler. Mais, tout près de lui, sa compagne est déjà en campagne.» Quel parcours pour cette fille d'officier, née à Dakar en 1953 et mère de quatre enfants ! Député depuis déjà 18 ans, elle a été ministre quatre fois et, comme présidente de la Région Poitou-Charentes, elle tient aujourd'hui le fief de Jean-Pierre Raffarin, l'ancien Premier ministre de Jacques Chirac.
Les couteaux sont sortis. Les concurrents socialistes de Ségolène ont ainsi dénoncé son hommage à Tony Blair lors d'une interview au quotidien britannique «Financial Times». La Présidente de la Région Poitou-Charentes avait en effet constaté que le Premier ministre britannique «avait remporté de réels succès pour l'emploi des jeunes en utilisant plus de flexibilité».
En donnant raison à Blair, l'une des figures les plus contestées au sein du PS qui lui reproche d'avoir trahi la gauche en s'inspirant du modèle «Thatcher», Ségolène Royal ne s'est pas fait de nouveaux amis dans son camp. Ses déclarations tombaient au plus mauvais moment puisque les socialistes étaient en train de livrer bataille contre le CPE, le nouveau contrat qui est supposé faciliter l'embauche des jeunes et que Dominique de Villepin vient de faire voter à la hussarde par l'Assemblée nationale.
Les «royal sceptiques» ont pris un malin plaisir à rappeler que, lors d'un débat organisé fin novembre par «The Economist» et l'Institut Montaigne, Ségolène Royal n'avait pas eu de mots assez durs pour critiquer le CPE.
Elle l'avait qualifié de «contrat de nouvelle débauche» puisque, tout au long de ses deux ans de validité, les employeurs sont libres de licencier sans motif. Les «éléphants» du PS ne se privent pas d'ironiser sur le vague des convictions de Ségolène Royal.
Elle dit ne pas être bloquée par les «trente-cinq heures» qu'avait instituées Martine Aubry, une autre star mais ancrée à la gauche du parti. Elle soutient la démocratie participative de Michelle Bachelet au point d'avoir fait le voyage de Santiago pour soutenir celle qui quelques jours plus tard fut élue présidente du Chili.
Dans une confidence au Monde, Dominique Clément, qui était l'un des adjoints de Jean-Pierre Raffarin quand celui-ci quitta la présidence de la région Poitou-Charentes pour devenir Premier ministre, ne voit dans Ségolène Royal qu'un produit de marketing: «Un nom qui claque comme une marque, deux idées à la mode, la famille et l'environnement.» Les amis de Ségolène, eux, la décrivent comme «ni archéo de gauche, ni libérale à tout crin».
Elle-même rétorque que «le débat d'idées, à gauche, n'est pas un petit supplément d'âme plus ou moins ornemental mais une nécessité vitale». On en saura peut-être plus à la lecture d'un livre qu'elle doit publier en avril. Pour l'heure, au regard de ses prises de position, il est bien difficile de la situer précisément sur l'échiquier socialiste.
Il n'est donc pas étonnant qu'au sein du PS, et même au-delà, un certain agacement se développe.
André Rossinot, co-président du Parti Radical, dénonce par exemple le «leurre» que constituerait «une candidature de façade de Ségolène Royal alors que la maison serait tenue par les «Fabiusiens».
Dominique Strauss-Kahn, on l'a vu, réclame «une compétition équitable» à François Hollande qui, ne faisant pas mystère de ses ambitions présidentielles, se retrouve supplanté dans les sondages par sa propre femme!
Mais, «égérie» contestée par ses pairs, Ségolène plaît aux Français.
Elle leur plaît même beaucoup. Pourquoi ?
Alors que les Français, lassés des jeux politiciens, aspirent au renouveau, elle est sûrement servie par le fait qu'elle est une femme et une femme plutôt jolie.
Ségolène Royal sait user de son charme, et d'un savoir-faire médiatique qui la distingue de Martine Aubry, longtemps très bien placée dans les sondages, mais symbole de cette rigidité idéologique qui fut la cause du passage en force des 35 heures.
La seconde raison qui porte Ségolène Royal au firmament des enquêtes d'opinion tient aux divisions du parti socialiste, qui ont atteint leur apogée avec le référendum sur la Constitution européenne: les caciques comme Hollande ont voté oui, les militants ont voté non.
Les divergences sont telles qu'elles laissent présager le trop plein des candidatures. Au point que même Lionel Jospin, pourtant battu à la présidentielle de 2002 et officiellement retraité de la politique, songe à se représenter. Un Joker ? Il est vrai que, comparée à François Hollande, à Laurent Fabius ou à Dominique Strauss-Kahn, Ségolène Royal tranche. Bien qu'elle soit député depuis dix-huit ans et qu'elle ait été ministre plusieurs fois, elle présente toutes les apparences d'un changement possible.
Avec d'autant plus de crédibilité que Ségolène Royal ne doit rien de sa réussite à l'appui de François Hollande. Celui-ci est bien trop occupé à se faire obéir de ses troupes qui doutent visiblement de sa légitimité.
Le troisième facteur en faveur de Ségolène Royal, c'est évidemment l'état de la droite française qui est secouée par le choc des ambitions entre Villepin et Sarkozy : l'un s'affichant comme le continuateur du gaullisme, le second prônant la rupture.
Ségolène Royal a du talent, mais a-t-elle l'étoffe d'une présidentiable ?
Alain Duhamel, fin connaisseur et analyste de la politique française, ne lui a pas accordé l'honneur de figurer parmi les quinze portraits de présidentiables qu'il brosse dans un livre particulièrement enlevé, «Les Prétendants».
Il la qualifie de «candidate imaginaire». Il est vrai qu'elle ne s'est jamais vraiment exprimée sur les sujets traditionnellement réservés au Président de la République (la politique étrangère et la défense) et elle reconnaît elle-même manquer d'expérience en matière économique.
Peu importe, apparemment ! Lucide sur ses lacunes, Ségolène Royal réplique à ses détracteurs : «Gouverner, c'est savoir s'entourer».