Villepin décidé à «maintenir le cap»
LE MATIN
05 Mars 2006
À 15:26
A la veille de la grande journée de grèves et de manifestations qui risque de paralyser la France, demain, Dominique de Villepin se lance dans une offensive tous azimuts. Parce que le mécontentement de l'opinion se concentre sur le CPE, ce contrat de première embauche que le Premier ministre avait décrit comme un remède pour réduire le chômage des jeunes, c'est autour de ce dossier qu'il organise sa riposte.
A quatorze mois de l'élection présidentielle qu'il compte bien contester à Nicolas Sarkozy, le favori des sondages, Dominique de Villepin affiche donc sa détermination à résister aux pressions de la rue.
Lors de sa conférence de presse du 1er mars n'avait-il pas répété quatre fois qu'il tiendrait le cap ?
Gaulliste pour défendre la place de la France dans le monde mais champion de l'Etat providence quand il s'agit de traiter des problèmes sociaux, il avait affirmé dès son arrivée à Matignon, il y a neuf mois, qu'il voulait « faire avancer la France en la rassurant ». Mais le CPE, un contrat à durée déterminé assorti d'une période d'essai de deux ans, a brouillé cette image.
Accusé par la gauche de s'être converti au libéralisme à l'anglo-saxonne et donc à la loi impitoyable du marché, il affirme le contraire dans une interview publiée hier par le «Parisien-Dimanche » : « Je veux conjuguer plus de souplesse et plus de solidarité. Plus de protection pour chacun et une chance pour tous ». Mais il se dit « inflexible » sur le CPE car « avec du temps et de la persévérance » ce projet finira par porter ses fruits.
La gauche ne se montre pas moins déterminée. En prévision des protestations de mardi, toutes les organisations syndicales et la plupart des mouvements du secteurs, étudiants ont appelé à la mobilisation. Des préavis de grève ont été déposés à la RATP (métro et autobus parisiens) la SNCF (les trains dans tout le pays), Air France (ce qui annonce des perturbations majeures dans les aéroports). De plus 14 universités sont en grève depuis plusieurs jours.
Bernard Thibault, le secrétaire général de la CGT, a averti : « Nous ne lâcherons pas sur le CPE. Il focalise tout le rejet de la précarité du travail ». De son côté Jack Lang, qui rêve de représenter le parti socialiste dans la course à l'Elysée et qui, depuis son passage aux ministères de la Culture et de l'Education, reste très populaire dans la jeunesse, n'hésite pas à déclarer dans une interview au « Journal du Dimanche » : « Le gouvernement Villepin est un Titanic qui prend l'eau de toute part ».
Comme il l'a dit le 1er mars, Dominique de Villepin entend «combattre sur tous les fronts ». Ceux-ci sont nombreux. Depuis un mois, en effet, le climat a complètement changé. Les difficultés à imposer le CPE même si l'Assemblée Nationale et le Sénat ont voté le texte ; les chiffres du chômage repartis à la hausse; l'affaire du Clémenceau, ce porte-avions qui tourne en rond sur les océans faute de trouver un pays où se faire désamianter; l'impact de la grippe aviaire sur le revenu des agriculteurs ; l'épidémie de Chikungunya dans l'île de la Réunion dont la mauvaise gestion par les pouvoirs publics vient d'obliger Dominique de Vilepin à se rendre sur place …. sont autant de défis à relever dans l'urgence.
A tout cela, s'ajoute la fusion précipitée de Suez-GDF qui, dénoncée dans les rangs de l'Union européenne, apparaît moins comme la marque du patriotisme économique qu'un réflexe protectionniste. Ce qui semble démontrer que le gouvernement souffre du même syndrome que celui dont il veut guérir le pays face à la mondialisation, la France est frileuse.
Résultat : Dominique de Villepin subit une nouvelle chute de six points dans le dernier baromètre BVA-Express. Et un sondage publié dimanche par CSA- Le Parisien, constate que deux Français sur trois (69 % exactement) ne font pas confiance au gouvernement pour faire baisser le chômage des jeunes.
En héritier du gaullisme, Dominique de Villepin cherche aussi dans le long terme la solution à son dilemme. Il compte présenter le 16 mars un projet de loi sur la «participation », autrement dit le développement de l'actionnariat salarié.
Il s'agit de lutter contre les OPA en privilégiant les notions de dividende du travail et de dialogue social au sein des entreprises. Le MEDEF n'y est pas totalement acquis et, paradoxalement, la gauche y voit l'accentuation d'un « virage libéral ».
Les difficultés rencontrées par Dominique de Villepin et la baisse de sa cote de popularité alors qu'il n'y a pas un an qu'il est Premier ministre conduisent à s'interroger sur la fameuse « fatalité » de Matignon : actif ou passif, le Premier ministre ne fait que des mécontents.
Les exemples sont frappants. Michel Rocard, après avoir instauré « la Contribution Sociale Généralisée » (CSG), s'est contenté de dilapider les fruits de la croissance et a conservé sa popularité encore trois ans. Lionel Jospin, après avoir sacrifié à la démagogie les trente-cinq heures, a fait preuve d'un attentisme qui lui a valu une continuité de sa cote de popularité.
En revanche, les Premiers ministres qui, comme Dominique de Villepin aujourd'hui, ont proposé des réformes, que celles-ci aient été menées à bien ou non, ont connu une vive impopularité. Ce fut le cas de Jacques Chirac avec la loi sur l'Université, d'Edouard Balladur avec le CIP, d'Alain Jupé avec la réforme de la Sécurité sociale, et enfin de Jean-Pierre Raffarin pour les retraites.
En grand connaisseur de la politique française, l'actuel Premier ministre n'a pas la mémoire courte.
Il a choisi le chemin difficile de l'action tout en étant évidemment conscient d'une autre constante de la politique française. Jamais sous la Ve République, un Premier ministre n'a accédé à la fonction présidentielle en sortant directement de Matignon. Jacques Chirac Premier ministre dut s'incliner devant François Mitterrand et Edouard Balladur devant Jacques Chirac.
Lionel Jospin fut lui aussi battu et, lui aussi, par Chirac. La fonction de Premier ministre, chargé de la gestion au jour le jour, entraîne forcément l'usure de la popularité. Les Présidents de la République le savent bien et, à l'exemple de Mitterrand et de Chirac, n'ont pas hésité à en tirer parti en cherchant d'avance à déstabiliser ce rival potentiel.
Ce ne peut pas être le cas entre Jacques Chirac et Dominique de Villepin, vrai couple pour le meilleur et pour le pire. Mais le fait de se montrer aussi courageux que volontariste n'aidera pas nécessairement l'actuel Premier ministre à devenir le futur Président de la République.