L'humain au centre de l'action future

«C'est avec beaucoup de peine que je me retire»

16 Août 2006 À 16:27

Frédéric Damgaard, l' homme qui a mis sur rails une pléiade d'artistes - peintres souiris qui, grâce à son dévouement, sont arrivés à être sollicités dans des endroits des plus prestigieux au Maroc et à l'étranger.

Ceci est, également, le fruit de son grand investissement dans la Galerie Frédéric Damgaard, qu'il a ouverte à Essaouira en 1988 et qui a été pour beaucoup dans la découverte et la promotion de ces plasticiens de la cité magique, dont M. Damgaard s'est épris depuis sa première visite touristique alors qu'il était encore étudiant en art islamique.

Une drôle de passion qui l'a amené aussi à étudier l'Histoire de la Cité des Vents, à connaître ses mystères et encourager ses artistes, dont il a entrepris de faire une collection des œuvres, surtout celles en rapport avec la spiritualité des lieux, le patrimoine culturel et la magie de la ville.

Aujourd'hui, Frédéric Damgaard, pour des raisons de santé, quitte tout ce qu'il a construit et vend la galerie avec ses œuvres, espérant que ses successeurs continueront ce qu'il a bâti avec amour, passion et professionnalisme.

Ainsi, il a choisi de s'éloigner d'Essaouira et de s'installer à Taghazout (Agadir) pour ne pas vivre les souvenirs de ces trente dernières années et ressentir cette nostalgie que nous avons bien décelée chez lui et qui lui pèse énormément, mais sans oublier pour autant, avant de céder la galerie, de faire signer aux nouveaux propriétaires l'engagement de garder l'ensemble des artistes et des employés pour une succession en douceur et sans coupure.

Le matin : Est-ce que ce départ d'Essaouira a été bien réfléchi, alors que nous savons tous que M. Frédéric Damgaard a fait énormément de choses pour les artistes souiris et que ce ne serait pas facile pour lui de les laisser après le gros travail fourni pour les mettre en orbite ?

Frédéric Damgaard :
Malheureusement, j'ai été obligé de prendre cette décision pour des raisons de santé causées par des petits problèmes cardiaques. Mais, je vous garantis que j'ai bien réfléchi avant d'accepter ce départ et c'est avec beaucoup de peine que je me retire. La Galerie était mon enfant et mes artistes sont également mes enfants. Mes employés sont mes amis et ma famille. C'est vraiment regrettable de devoir se plier à cette exigence. Ce monde qui était le mien et me manquera énormément.

Croyez-vous qu'ils peuvent maintenant voler de leurs propres ailes ?

Ces artistes comme Mohamed Tabal, Bouslai Regragui, Said Ouarzaz, Al Atrach, Brhis, Fatéma Talbi, Ali Mimoun, entre autres, ont aujourd'hui vingt années de bagages. Ils ont fait leur chemin et sont bien sur les rails avec un palmarès riche en expériences.

Certains ont même 25 à 30 œuvres à l'étranger dans des lieux prestigieux, tels des musées connus mondialement.
Ils ont eu l'honneur d'avoir réalisé douze prestations muséales et officielles pour l'année du Maroc en France et ont fait l'objet de nombreux articles dans des journaux et magazines et des émissions de télévision.

Ces artistes sont actuellement confirmés, leur talent aussi d'une manière officielle par les musées de Nice en France, de Wuppertal en Allemagne, d'Anvers, de Copenhague, de Paris, de Lisbonne, de Zurich, de Londres, de Martigny en Suisse et beaucoup d'autres manifestations dans des espaces de renom. Avec tout cela, ces artistes vont pouvoir suivre leur trajectoire sans aucun problème.

Parlez-nous un peu de cette belle expérience qui a duré plusieurs années.

Par chance, je me trouvais à Essaouira au bon moment où cet art allait émerger. J'avais une maison depuis déjà une dizaine d'années et puis j'ai installé un petit atelier juste au coin de la place de l'Horloge, l'endroit le plus charmant de la ville, pour participer un peu au renouvellement de l'art artisanal à base de bois de thuya.

J'ai dessiné quelques meubles dans le style art-déco et rénové des objets prestigieux demandant les meilleures mains de la ville et j'ai eu le plaisir d'accueillir dans mon atelier trois menuisiers de grand talent avec qui j'ai travaillé plusieurs années après.

Puis, par hasard, comme les choses se font toujours de cette manière dans la vie, j'ai connu le Français qui avait une belle maison au centre-ville où se trouve actuellement la galerie et dont le rez-de-chaussée restait inutilisé avec ses arcades et ses colonnes se situant dans l'ancien Méchouar d'Essaouira.
C'était le lieu idéal pour organiser une exposition d'artistes souiris.

Ainsi, j'ai réussi à convaincre le propriétaire de céder l'espace pour en faire un lieu d'exposition. J'ai fait ça pour l'amour d'Essaouira et de ces artistes.
Cette ouverture a coïncidé avec l'époque charnière où il y a eu une liberté dans le monde musulman, qui flotte aussi sur les arts plastiques, où on a commencé à autoriser la peinture figurative.

Ainsi, suite à une déclaration royale, j'ai vu ressortir tout ce qui a été caché depuis de longues années pour être proposé à la galerie.

C'était en majorité des peintures fauves, sauvages, insolites et très colorées, que j'aime particulièrement. J'ai donc encouragé ces artistes qui se sont développés, ayant su intéresser les organisateurs d'expositions à l'étranger, ainsi que les collectionneurs et les amateurs d'arts plastiques à travers l'Europe, l'Amérique et même plus loin jusqu'en Australie.

Ces artistes ont eu le vent en poupe à travers les médias qui les ont appréciés et encouragés et ont pu sortir de leur ville par la grande porte. Au Maroc, aussi, nous avons eu la chance d'être soutenus par les autorités, tels le gouverneur d'Essaouira de l'époque de l'ouverture de la Galerie, les ministres de la Culture qui se sont succédé et d'autres qui ont encouragé ces artistes dont le talent a fait le reste, puisque sans ce talent on n'aurait rien fait, ni moi ni les autorités.

Ce don hérité des traditions ancestrales marocaines qu'ils ont su mettre en valeur et exprimer d'une manière moderne, repensée et revue d'une façon extraordinaire en rapport avec leur intérieur et leur mémoire ainsi que celle de leurs ancêtres.

Ce qui a donné naissance à cette peinture très originale, bien ancrée dans le continent africain, sans avoir subi une influence de l'Europe, de l'Amérique ou d'ailleurs.

Elle a seulement ses racines en Afrique et dans le monde berbère avec un métissage des différentes cultures que connaît la culture marocaine.

Mais, durant cette retraite, disons imposée, qu'est-ce que vous envisagez de faire pour ne pas rester les bras croisés ?

En effet, en dehors de mes activités de galeriste, j'ai à mon actif la traduction de deux livres importants d'un Danois ayant vécu au Maroc au XVIIIe siècle et qui a écrit toute une encyclopédie concernant les arts, les traditions, la religion de cette époque, puis un autre ouvrage du Sultan Sidi Mohamed Ben Abdellah avec des témoignages authentiques et directs du l'auteur.

J'ai été, également, à l'origine des nombreux catalogues d'artistes d'Essaouira ainsi que d'écrits sur la culture de cette ville (Gnaoua, Regraga…) et d'un autre livre intitulé «Essaouira, histoire et culture», sorti cette année en quatrième édition chez La Porte. Par contre, j'ai mis en chantier plusieurs ouvrages et une série de photos d'illustration de beaux livres qui verront le jour prochainement.
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