Fête du Trône 2006

L'«immigration choisie», ticket d'entrée de Sarkozy à l'Elysée ?

06 Février 2006 À 16:21

Nicolas Sarkozy va présenter jeudi son plan d'«immigration choisie». Mais, en attendant de le défendre devant le Comité interministériel qui se réunira à Matignon pour rédiger le projet de loi dont le Parlement sera saisi en mai, le ministre de l'Intérieur a plaidé sa cause dans une interview au Journal du Dimanche. Sûr de son effet, il a insisté : «Nous ne voulons plus d'une immigration subie».

Fidèle à la stratégie de «rupture» qui lui vaut la faveur des sondages, Sarkozy prend délibérément le contre-pied de principes que bien des membres de la classe politique considéraient comme autant de tabous républicains.

A l'égalité devant la loi, il préfère une sorte de discrimination positive qui vaudra une carte de séjour de trois ans aux migrants hautement qualifiés. Dans son interview, le ministre donne même des exemples. Selon le résumé de la MAP, auront priorité ceux qui pourront contribuer au dynamisme économique de la France : les scientifiques, les informaticiens, les artistes ou des personnes ayant des compétences rares.

Même tri pour les étudiants : «une carte spéciale sera délivrée aux meilleurs». L'objectif est de sélectionner les jeunes qui se dirigent vers des filières en pénurie, les sciences et les techniques plutôt que les lettres ou le droit.
Sensible aux protestations des pays en voie de développement qui se plaignent du pillage des cerveaux, Sarkozy souligne que cette carte spéciale sera conditionnée

« par l'obligation pour ces étudiants de retourner chez eux afin qu'ils rendent à leur pays une partie du bénéfice de leur formation». Il s'agit d'une règle classique puisque dès la création des Bourses Fulbright, il y a cinquante ans, les Etats-Unis avaient précisé que les bénéficiaires, une fois leurs études terminées et leur visa d'étudiant expiré, devraient attendre deux ans avant de pouvoir prétendre au statut d'immigré.

Le regroupement familial sera plus sévèrement contrôlé. Les conditions de revenu minimales pour qu'un résident puisse faire venir femmes et enfants sont revus à la hausse.

Dans le total effectivement encaissé, les autorités ne tiendront plus compte des différentes allocations sociales. Restrictions encore pour limiter le risque des «mariages blancs» : le ministre a précisé que «le mariage avec un Français ou une Française d'un étranger en situation irrégulière n'impliquera plus de façon automatique la reconnaissance du droit au séjour. La personne devra attendre trois ans de vie commune».

Surtout, la réforme du ministre met un terme à la régularisation automatique dont tout clandestin pouvait se réclamer après dix ans de présence continue sur le territoire français. Cette mesure s'inspire des idées que Gerhard Schröder avait défendues en Allemagne pour, tout à la fois, compenser le déficit des naissances et mieux encadrer l'immigration. Mais c'est le contraire de la solution choisie par l'Italie, il y a deux ans, et par l'Espagne, cette année, qui ont procédé à une régularisation de masse : dans chacun de ces deux pays 700. 000 sans-papiers ont été légalisés d'un coup.

Comme le souligne Le Figaro, «cette décision fait voler en éclats un consensus auquel s'étaient ralliés la gauche comme la droite». En effet la régularisation automatique avait été arrêtée en 1998 par Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l'intérieur du gouvernement socialiste de Lionel Jospin, et jamais remise en question depuis.
La réaction négative de Laurent Fabius n'a rien de surprenant.

Prétendant socialiste à l'élection présidentielle de 2007, il n'a aucune raison de mâcher ses mots. Pour lui, Sarkozy s'est livré à une «provocation» car la formulation du ministre de l'intérieur ne résoudra pas le problème de l'immigration. Fabius affirme : «Dans le monde, les quotas n'ont jamais fonctionné. Quand on applique des quotas aux immigrés très qualifiés, on ne remplit pas les quotas. Et, pour ceux qui ne sont pas qualifiés, les quotas sont toujours dépassés».

En revanche, ce qui a surpris c'est la résistance à droite. Blandine Kriegel, la présidente, désignée par Jacques Chirac, du Haut Conseil à l'intégration a ainsi protesté quand Sarkozy a expliqué que l'«adhésion» aux valeurs de la République serait exigée pour la remise de la carte de séjour de dix ans.

Mme Kriegel lui a rétorqué que cette expression portait atteinte à la liberté de conscience. Finalement un compromis a été trouvé avec le mot «engagement». De même, le ministère de la justice avait mis son veto à la première version du texte sur le regroupement familial qui, initialement, allait jusqu'à fixer un nombre minimum de chambres par rapport au nombre d'enfants.

En réalité, le débat sur l'immigration ne peut pas être serein. Il est parasité par les arrières pensées électoralistes de tous les candidats potentiels au scrutin de 2007. Nicolas Sarkozy, est convaincu que sa doctrine restrictive de l'immigration constitue son ticket d'entrée à l'Elysée. La gauche ne lui fait donc pas de cadeau. Mais, Jacques Chirac, qui pousse son poulain, le premier ministre Dominique de Villepin, lui en fait encore moins.

Dans ce jeu de billard à trois bandes, c'est toute la classe politique qui se retrouve dans une impasse. Car il faudra bien finir par dire la vérité aux électeurs. Le corollaire logique de la porte fermée aux immigrants, c'est la porte ouverte aux délocalisations. Autrement dit à l'exportation des emplois pour que les pays du sud aient enfin une chance de se développer et de retenir leurs citoyens. Dire non à l'une et l'autre de ces deux options, c'est s'enliser dans la chimère.

S.M. le Roi Mohammed VI ne disait pas autre chose quand, au lendemain des tragiques événements de Sebta et Mellilia, cet été, il a réclamé un nouveau plan Marshall.

Le Maroc n'ayant pas les moyens de contrôler la frontière sud de l'Union européenne, c'est aux Européens d'aider économiquement les subsahariens à rester chez eux. Malgré les proclamations triomphalistes de Nicolas Sarkozy, une évidence s'impose : les Français ne trouveront jamais de solution au problème de l'immigration sauvage s'ils s'en tiennent à la politique du «Ni-Ni».
Copyright Groupe le Matin © 2025