Spécial Marche verte

Halima, Saïd et Lahcen : trois familles et une découverte

27 Juillet 2007 À 15:45

Très ému, Saïd, dont le nom en français signifie «heureux», ne pouvait être que super-heureux et super-content, car super-marié ce soir là. Tout à fait, «super-marié». Et pour cause. Des années durant, ses ambitions dans la vie se résumaient à désirer convoler en justes noces avec une fille de bonne famille, une «bent ennass» pour les gens qui ne seraient pas en très bons termes avec la langue de Molière. Mais passons.

La raison de ce bonheur aux saveurs nouvelles qu'éprouvait Saïd était, à raison d'ailleurs, son mariage avec Halima, la gracieuse beauté du village. Car, une fois n'est pas coutume, notre histoire a pour théâtre un village.
Comme quoi les villages ont aussi leurs histoires. Et, parfois, ce qui pourrait se tramer dans un village (quitte à répéter quatre fois ce mot dans un tout petit paragraphe…) dépasse de loin l'insolite que peuvent revendiquer les grandes métropoles, la diversité qu'impose leur taille aidant.

Trêve de délire, revenons-en à notre homme ravi, le Saïd. Mais auparavant, un simple coup d'œil à sa fraîche épouse ne ferait pas de mal.
Au sein du «mot qui peut se répéter quatre fois dans un
tout petit paragraphe», son passage dans les petites venelles ne laissait pas de marbre. Belle et gracieuse comme précisé précédemment, son déhanchement lorsqu'elle partait faire ses courses faisait couler bien de la salive.

Bref, pour ainsi dire, elle était trop coquette et les jeunes du douar, à l'unanimité, devaient penser à autre chose en lui lançant le coutumier «Salam, Halima…», tous sourires dehors.
Pour en revenir au super-marié de circonstance, ce dernier rêvait d'avoir une épouse, et sa patience allait être largement récompensée : il venait d'hériter de tout un pack.

Eh bien oui ! Ce n'est pas le propre des seuls opérateurs chevauchant les dragons voraces de la téléphonie. Le pack en question comprenait, bien entendu, Halima la belle, et ça pouvait suffire largement, en vertu de ses atouts pour lesquels Dame nature avait fait preuve de beaucoup de générosité. Sauf que le reste du pack, en plus des options offertes en série, allait enfanter le pire.

Le cérémonial arrivé à terme, le jeune couple allait goûter aux saveurs de l'intimité, en se retrouvanten tête-à-tête, pour la première fois, pour pouvoir s'exprimer de tout en toute quiétude, loin des regards des invités et, surtout, loin du tapage des haut-parleurs disséminés dans la tente caïdale où s'est déroulée la cérémonie de mariage.

Une nuit de noces ne valant pas plus que ce qu'elle vaut officiellement, les deux jeunes mariés devaient bien passer à l'acte. Saïd ne prêta pas plus d'attention qu'il n'en faut, au fait que sa belle mariée avait rompu avec sa virginité bien avant de lui accorder ce fort moment d'intimité. Lui, le villageois, le fellah sans diplôme ni formation, vivant dans le fin fond du conservatisme et des coutumes ancestrales, a passé l'éponge sans sourciller sur ce petit détail scellé, à mort et à tort, à la chasteté. Chose sur laquelle, en ce 28 juillet 2007, des Bac+beaucoup, costumés et cravatés à longueur de semaine, insistent encore et toujours avec vigueur et acharnement. Fascinants humains.

En d'autres termes, Saïd n'est lauréat d'aucune grande ou petite école et sa femme qui avait perdu sa virginité en chemin, comme lui avait perdu la sienne quelque part, ne lui posait pas de problème particulier. Cela ne le préoccupait aucunement. Elle était là, avec lui, pour lui, et cela le comblait. Sauf que... rien n'est éternel.
Halima avait un comportement bizarre.

Les vomissements qui affectaient la jeune femme et qui pouvaient intervenir en pleine discussion préoccupaient son mari. Les mystères de Halima n'allaient pas s'arrêter en si bon chemin. Sa poitrine enflait de jour en jour, son ventre aussi. Il était impensable que ces symptômes de grossesse se manifestent après deux semaines de mariage. Saïd chassa ces idées comme on chasserait un vulgaire moustique. D'autant plus que cette jeune et gracieuse demoiselle, réputée dans le village par sa bonne éducation et ses principes, lui avait été recommandé par son beau-frère.

Encore mieux, le beau-frère en question est l'imam de la mosquée du village. Y avait-il meilleure assurance pour des gens à la suspicion à fleur de peau ?

Sauf que, encore une fois, le ventre à Halima enflait de façon anormale. Ses attitudes, aussi, prenaient des allures loin d'être conventionnelles. Le doute ayant une réputation de rongeur par excellence, l'époux n'en pouvait plus. L'épouse également. Les principes de cette dernière et sa bonne foi n'ayant pas démérité, en ces temps où ses souffrances psychiques et physiques avaient atteint leur paroxysme, une simple question de Saïd allait défaire un nœud plus compliqué qu'il n'en avait l'air.

«Oui, je suis enceinte… tu n'y es pour rien, c'est Lahcen le responsable, il m'a menti et j'en ai fait autant avec toi… pardonne-moi et répudie-moi, je n'en peux plus… j'ai un compte à régler…», telle était la réponse de Halima à Saïd, quand ce dernier lui a fait des remarques sur son comportement de femme enceinte.

Cette dernière portera plainte contre Lahcen. Coup de théâtre, celui-ci sera poursuivi en justice pour atteinte à un lieu de culte. La raison ? Le père de l'enfant, le beau-frère et l'imam, c'était lui.
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Atteinte à un lieu de culte

Depuis son jeune âge, Halima avait tendance à se lever tôt. Matinale, elle ne l'était pas de nature. C'était juste que la mosquée du village se situe à quelques trottes de son domicile parental et que l'appel à la prière du muezzin lui faisait office de réveil. Malgré elle, dira-t-on.

Au petit matin, quand son père partait aux champs, la mère de Halima chargeait cette dernière d'aller chez le fqih du village, l'imam de la mosquée en l'occurrence, pour lui offrir un petit déjeuner comme le veut une coutume bien de chez nous. Halima était en phase terminale de l'adolescence et sa ligne n'avait rien à envier aux jeunes femmes du village. Plus encore, Halima avait du charme à revendre. La maman généreuse n'avait pas à craindre pour sa fille pour deux raisons d'ailleurs.

Primo : Lahcen est un homme pieux, à cheval sur les principes et qui s'est fait une réputation de bon imam dans le village.
Deuzio : il était marié et vivait avec sa femme et ses enfants dans une petite annexe de la mosquée. De jour en jour, Lahcen mit en confiance la jeune fille, jusqu'à entretenir une relation adultère avec elle.

Les poursuites pour atteinte à un lieu de culte résultent aussi bien du fait qu'il abusait de la jeune fille dans un local dépendant de la mosquée, que du fait de l'action de sa femme, qui n'a pas voulu le poursuivre pour adultère.
Un geste accompli sans aucun doute pour atténuer la sentence qui sera prononcée contre son fourbe de mari.
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