Naissance de SAR Lalla Khadija

L'Art-déco en péril à Casablanca

Création urbaine majeure du XXe siècle, Casablanca a été le lieu d'expérimentation de l'architecture moderne. Dès la signature du traité de protectorat en 1912, des architectes français y affluèrent, motivés par la fièvre immobilière qui a embrasé la vill

16 Novembre 2006 À 16:21

Encouragés par la politique colonialiste, ces architectes ont édifié des immeubles d'habitation combinant les grands principes d'une architecture moderne à la tradition architecturale marocaine.
Ce mariage a donné naissance à des ensembles architecturaux art-déco néo-mauresques aussi vastes que somptueux.

Ils se déploient le long de plusieurs artères, l'avenue Mohammed-V, l'avenue Hassan II, le boulevard de Paris, le boulevard Lalla Yacout et dans les quartiers alentours et présentent une majesté digne des plus grandes métropoles. Ce style est décliné là avec ses reliefs, ses ferronneries, ses superbes façades à encorbellement, couronnées de frontons à zelliges géométriques, le tout ponctué de places de compositions néo-mauresques, qui disent avec éloquence l'heureuse rencontre des deux cultures, marocaine et française. Tous ces beaux bâtiments sont malheureusement décrépits négligés pour la plupart.

L'incompréhension devant ce fabuleux héritage a fait que d'irréparables dommages ont fragilisé ces bâtiments qui sont, en outre, sous la menace de la voracité des promoteurs. Conscient du danger qui guette ce patrimoine, un groupe d'amoureux de Casablanca composé d'architectes, d'intellectuels et d'artistes se bat pour sa sauvegarde.

Déjà, plusieurs dizaines d'immeubles art déco ont été classés et plusieurs autres sont en instance de l'être. «Le classement est, certes, un premier pas pour la protection de ce patrimoine, mais il ne suffit pas. Il faut intégrer l'ensemble des édifices art déco dans un circuit économique rentable, c'est-à-dire les transformer en musée, hôtel, bibliothèque ou bureaux pour s'assurer qu'ils bénéficieront d'un entretien permanent », précise Rachid Andaloussi, ex-président de l'association "Casa mémoire". Ce choix est conforté par l'expérience réussie de certains édifices qui ont changé de vocation.

L'exemple de l'église du Sacré-Cœur transformée en salle d'exposition et celui de la Villa Zevaco devenue un salon de thé des plus chics, sont édifiants. Cette expérience devrait être élargie à d'autres sites qui tombent en ruine comme l'église espagnole situé à l'ancienne Médina et à Dar El-Makhzen. Ce dernier lieu a été l'objet d'un concours pour le transformer en centre culturel avec un musée et des ateliers de peinture et de danse. Le concours lancé au temps de l'ex-wali Driss Benhima a été remporté par les architectes Arabani et Mohamed Berrada. Mais le projet est resté sans suite. De son côté, Yasmina Filali avait proposé de restaurer l'église espagnole afin d'en faire une bibliothèque pour sa fondation Orient-Occident, mais sans résultat là encore.

La médina de Casablanca, qui devait être un lieu de prestige et un circuit touristique, n'est encore aujourd'hui qu'une véritable "cour des miracles" et un espace dangereux à fréquenter à partir d'une certaine heure.Cette architecture aussi complexe que somptueuse pourrait être érigée en produit touristique. « L'exemple de Barcelone qui exploite son patrimoine du XXe siècle ou celui de La Havane qui vit de son passé colonial sont à suivre», indique M. Andaloussi.

Des visites guidées, comme il se fait dans ces deux villes, sont en mesure de faire apprécier aux touristes la valeur architecturale de Casablanca. Cette mesure pourrait également rendre accessible l'architecture et l'urbanisme au grand public», a-t-il précisé.

REPÈRES
Architectes actifs à Casablanca au début de 20e siècle
Henri Prost : 1874-17 juillet 1959. Il est le père spirituel du premier plan d'aménagement de Casablanca, 1917-1922. Il est également le concepteur de plusieurs projets pour la plupart administratifs, ainsi que le projet d'aménagement de la place de France rebaptisée Place des Nations unies.
Michel Ecochard : 1905-1985. Il est l'auteur du plan d'aménagement et d'extension de Casablanca, 1949-1952. Il réalisa aussi des études d'aménagement pour la nouvelle médina, les carrières centrales.
Auguste Perret : 1874-1954. Associé au sein de l'entreprise Perret Frères avec ses frères Gustave et Claude. Il réalisa les magasins Paris-Maroc en 1913.
Hippolyte-Joseph Delaporte : 1875-1962. Il réalisa l'hôtel Excelsior et plusieurs autres ouvrages.
Georges-Ernest Desmarest : 1877-1959. Il est le concepteur des abattoirs municipaux de Casablanca.

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Premiers édifices

Les premiers bâtiments de la ville nouvelle sont liés à un essor commercial accéléré par le débarquement français. Les chantiers d'utilité générale comme celui de la Tour de l'horloge, construite en 1910, ont été lancés. Autres édifices bâtis, l'hôtel Excelsior qui marque une étape en matière de confort et d'élégance. En dépit de sa structure en béton, il utilise, sans les bouleverser, les thèmes décoratifs néo mauresques notamment dans le traitement des frises et des balcons. L'Excelsior enlèvera rapidement au Café du commerce sa fonction de centre de la spéculation. Les magasins Paris-Maroc, inaugurés le 17 novembre 1914, sont construits par les frères Perret. Malheureusement, ils ont été rasés. La faute bien évidemment à la spéculation foncière.
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